L’année 2023 a été marquée par une série d’attaques par le pouvoir sur l'opposition, jetant une ombre sur le paysage politique, déjà ébranlé depuis quelques années. En parallèle, des campagnes de haine et de violence raciale ont secoué la cohésion sociale,
dans un contexte où la question de la migration est de plus en plus sensible. Enfin, l'éclatement et la persistance d'une nouvelle attaque israélienne en Palestine a ajouté une dimension tragique à cette fin d’année.
Racisme et migration
La Tunisie, plaque tournante de la migration en Afrique, a cette année été le théâtre de discours racistes émanant de la présidence, et d’appels à la haine raciale sur les réseaux sociaux. À Sfax, ville au cœur de ces flux migratoires, des actes de violence
ont été perpétrés contre des personnes subsahariennes et des migrant·es, et ce, alors que les réactions des organismes internationaux se sont fait attendre.
“On vit dans la peur”. Depuis le communiqué publié par la Présidence contre l’immigration subsaharienne, la situation est intenable pour de nombreux·ses Subsaharien·nes. Terrifié·es, Anna, Pierre, Mélissa et beaucoup d'autres se terrent chez elles. En à peine quelques jours, ils et elles sont des centaines, voire des milliers à avoir perdu leur logement, leur emploi ou à avoir été agressé·es. Témoignages.
Le discours du Parti nationaliste et de Kaïs Saïed semblent donner le feu vert aux discriminations raciales envers les Subsaharien·nes, qui font face à une violente vague de haine. Depuis plusieurs jours, de fausses informations, ciblant les Subsaharien·nes en Tunisie, sont relayées sur les réseaux sociaux et les médias. Qu’en est-t-il réellement? Inkyfada fait le point.
“J’irai n’importe où, tant qu’on nous respecte.” En Tunisie, réfugié·es et migrant·es Subsaharien·nes attendent encore le soutien des organismes internationaux comme le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) et l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) à Tunis, tandis que des mouvements solidaires se mobilisent discrètement.
En février 2023, Chedly Ben Ibrahim commence à photographier le quotidien de personnes subsahariennes en Tunisie, dans le but de montrer leurs réalités, loin des clichés. Mais le 21 février, tout bascule. Kaïs Saied diffuse un discours raciste qui a des conséquences directes dans la rue. À travers son objectif, Chedly continue à raconter.
“C’est un crime contre l’humanité qui se déroule à Sfax”. Dans le centre de la ville, des centaines de Subsaharien·nes sont livrés à eux-mêmes après avoir été expulsé·es de leurs maisons, voire agressé·es. Des centaines d’autres ont été expulsé·es vers le désert, sous les applaudissements d’habitant·es, dans des conditions déplorables. Reportage.
Les oliveraies de la région d’El-Amra, au nord de Sfax, accueillaient depuis plusieurs mois des milliers de migrant·es. Entre conditions de vie insalubres, interceptions en mer et rapports pacifiés avec la population, un statu quo précaire s’était installé. L’équilibre a volé en éclat le 24 novembre, à la suite d’un violent accrochage entre migrant·es et forces de l’ordre. Ces derniers utilisent désormais une violence disproportionnée, aux objectifs flous mais aux résultats très clairs : l’évacuation galopante des campements de migrant·es.
L’écrasement systématique de la dissidence
Cette année la répression par le pouvoir a atteint des sommets, touchant hommes d'affaires, activistes, avocat·es, et journalistes. Pendant que certain·es sont impliqué·es et condamné·es dans des dossiers complotistes, d'autres ont fait face à des poursuites
en vertu du décret 54, qui musèle la liberté d’expression.
Les personnes concernées par “l’affaire des 17” font face à de graves accusations de “complot contre la sûreté de l’Etat”. Selon la loi antiterroriste de 2015 et le Code pénal, ces personnes encourent des condamnations allant jusqu’à la peine capitale. Dans cette enquête, inkyfada révèle les dessous de l’affaire.
La liberté d’expression est-elle menacée en Tunisie ? Vagues d’arrestations, surveillance sur les réseaux sociaux, décrets arbitraires… inkyfada analyse la situation de la liberté d’expression, presque un an après l’adoption d’un décret unanimement qualifié de “liberticide”.
Pendant deux semaines, depuis sa cellule de prison, l’opposant Jawher Ben Mbarek s’est mis en grève de la faim pour protester contre son incarcération. Il a été progressivement imité par de nombreuses personnalités politiques, du bloc islamiste à la gauche démocrate. Malgré la suspension de sa grève après son hospitalisation, ce mouvement a laissé des traces au sein de l’opposition, qui proteste de plus en plus contre le pouvoir de Kaïs Saïed.
Kaïs Saïed : le bilan d’un coup d’État
Deux ans après le coup d'État,
inkyfada dresse le bilan de la politique de Kaïs Saïed. Disparition de l'indépendance de la justice, économie en chute libre, et menaces grandissantes sur les droits et libertés… Malgré les promesses de réforme du Président, le pays traverse une
importante crise démocratique.
Il y a deux ans, Kaïs Saïed prenait le contrôle du pays en émettant des décrets lui conférant tous les pouvoirs. Il s'est érigé en législateur, choisissant à sa discrétion les domaines d'intervention de l'État, sans examen ni contrôle d'aucune autorité. Le nombre conséquent de ses décrets et les sujets qu'ils abordent mettent en évidence les priorités du président de la République, enfonçant toujours un peu plus la Tunisie, dans une crise démocratique. inkyfada fait le bilan.
Durant sa campagne électorale, Kaïs Saïed avait promis de respecter l’indépendance de la justice et de limiter les interférences avec le pouvoir politique. Mais après s’être arrogé les pleins pouvoirs le 25 juillet 2021, le chef de l’Etat a mis en place une destruction progressive, étape par étape, de l’indépendance de la justice tunisienne.
Deux ans après l’instauration de l’état d’exception de Kaïs Saïed, tous les acquis de la démocratie semblent menacés. Le président avait promis de garantir les droits et libertés, mais force est de constater qu’en deux ans, la Tunisie est en chute libre. Entre arrestations arbitraires, insécurité envers la société civile et menace sur la liberté d’expression, inkyfada fait le point.
Entre pénuries et inflation, les consommateur·trices tunisien·nes essaient de survivre. Sur le marché, pas de sucre, pas de semoule, ni même de riz ou de farine tandis que le taux d’inflation ne cesse d’augmenter. S’érigeant en sauveur de la nation depuis le 25 juillet 2021, Kaïs Saïed promet aux Tunisien·nes de les sauver de la faim. Deux ans après, qu’en est-il réellement ?
En Palestine, un énième combat pour la liberté
Le 7 octobre dernier, une énième guerre a éclaté en Palestine. Souvent en première ligne, les journalistes palestinien·nes, luttent sur deux fronts : sur le terrain face aux risques physiques, et contre la désinformation. À Tunis, la cause palestinienne
fait consensus et résonne mais le soutien reste limité. Pendant ce temps, en France, le traitement médiatique des voix de soutien à la Palestine génère un débat sur la diversité des opinions et la nécessité d'une couverture équilibrée dans les médias.
Depuis le début des bombardements d’Israël sur la bande de Gaza, les journalistes sur place sont en première ligne et plusieurs ont déjà perdu la vie. Pendant ce temps, dans le reste du monde, la machine médiatique s’emballe au point que des fake news ont été diffusées même à travers les plus grands médias. Au cœur de la crise, une véritable lutte pour l’information s’est mise en place.
La Tunisie a toujours été une fervente défenseuse de la cause palestinienne, que ce soit à travers sa posture à l'international ou son refus de normalisation avec Israël. Depuis le début de la guerre le 7 octobre, la mobilisation reste forte. Mais pour les Palestinien·nes qui vivent en Tunisie, ce soutien présente des limites. En Clair.
Depuis plusieurs jours, la politique occidentale en soutien à Israël, et notamment celle de la France, fait réagir aux quatres coins du monde. En choisissant d’instrumentaliser le conflit et d’interdire les manifestations en soutien de la Palestine, le ministre de l'Intérieur français Gérald Darmanin se positionne en première ligne dans une politique qui fait peser une menace d’abord sur le droit fondamental de manifester, et par la même occasion sur les étranger·es, qu’il menace d’expulser et qui se sentent désormais en danger.
Nos enquêtes phare de 2023
Révéler la corruption et dénoncer l’impunité font partie des obsessions d’
inkyfada. Cette année, nos équipes ont plongé au cœur du business des visas, mettant en lumière les pratiques opaques de l'entreprise TLS. Grâce à des schémas fiscaux complexes, cette société tire d'énormes bénéfices aux dépens des demandeur·ses
tunisien·nes.
inkyfada a également enquêté sur le célèbre complexe Ardjan, ce lieu de fête huppé, fermé par les autorités en octobre dernier, recèle de nombreux secrets, allant des irrégularités administratives aux conditions de travail précaires.
Enfin, pour cette fin d'année,
inkyfada est revenue dix ans en arrière, se plongeant dans le scandale d'une fraude à un concours de recrutement à la Banque Centrale. À l'époque, le directeur des ressources humaines n'était autre qu'Ahmed Hachani, l'actuel Premier ministre.
TLScontact, une filiale de Teleperformance Group, est devenu un prestataire de services incontournable pour les procédures de visas vers l’Europe, entraînant une augmentation des frais pour les demandeur·ses tunisien·nes. En 2019, les bénéfices de TLScontact Tunisie ont dépassé les 8 millions de dinars. Mais avant de remonter à Teleperformance, ces gains transitent par le Luxembourg, connu pour sa fiscalité privilégiée.
Le complexe Ardjan, lieu huppé de la banlieue de Gammarth, est au cœur de polémiques depuis plus d’un mois, dénoncé à la fois pour ses conditions de travail et l’opacité de son business. Mais l’enquête d’inkyfada, menée pendant plusieurs mois, révèle que les irrégularités sont diverses et bien plus anciennes.
En 2014, une affaire interne secoue la Banque Centrale. Un concours de recrutement fait l’objet d’une inspection pour de multiples irrégularités signalées par les syndicats. Les résultats de l’enquête sont formels : le concours doit être annulé. Mais au lieu de ça, les lanceur·ses d’alerte sont mis·es au placard et l’affaire est étouffée. À l’époque, le directeur des ressources humaines n’était autre qu’Ahmed Hachani, l’actuel Premier ministre.
Nos highlights
Pour cette rétrospective,
inkyfada vous propose de découvrir ou re-découvrir notre web documentaire sur le marché parallèle de la rue d’Espagne à Tunis. À partir de l'étude du Forum Tunisien pour les Droits économiques et sociaux (FTDES) intitulée
"Le marché de la rue d'Espagne, ou la démarche du commerce de rue à Tunis", nos équipes ont dévoilé le quotidien de cette rue singulière. Ce marché informel non reconnu par l’État propose une diversité de produits à des prix abordables. Les vendeurs
sont confrontés quotidiennement aux autorités et derrière l’apparent désordre, se profile un système bien organisé qui compense l'absence de l’État. Mais en septembre dernier, les autorités ont finalement fait disparaître ce marché.
Au cœur de la capitale tunisienne, Tunis, se trouve le marché de la rue d’Espagne, un marché informel non reconnu par l’Etat, qui offre une variété de produits à bas prix. Les vendeurs sont quotidiennement confrontés aux autorités. Derrière l’apparent
désordre, se cache un système bien organisé qui repose sur le concept de “asabiyya”, permettant de pallier l’absence de l’Etat. À partir d’une étude réalisée par le FTDES, inkyfada vous raconte le quotidien de cette rue si particulière.
Inkyfada Podcast
Côté podcast,
inkyfada n’a pas été en reste. Le mois de Ramadan a été marqué par la diffusion d’une nouvelle série sonore
“Ifriqiya à l’époque de la transition”, qui explore l’histoire de la province d’Afrique sous les régimes romain et byzantin, rebaptisée Ifriqiya par les Arabes.
Autre exclusivité sur notre plateforme, la série
“Borjoulia” réalisée par Mohamed Triki, vise à déconstruire le concept de la masculinité traditionnelle en vue de recréer une vision plus appropriée et plus inclusive. Elle critique les normes courantes de la masculinité et met en lumière les différentes
formes de domination qu’elle prend au quotidien.
Enfin, nous sommes heureux·ses d’annoncer le lancement d'
inkyds, notre nouvelle série d’histoires audio originales spécialement conçues pour les enfants. Le premier épisode,
“Les lucioles étoilées” est déjà disponible.
"Ifriqiya à l’époque de transition" est un podcast qui vous plonge dans l'une des périodes les plus insolites de l'histoire, celle de la province d'Afrique romaine et byzantine, rebaptisée Ifriqiya par les Arabes. Cette époque est marquée par les peuples autochtones berbères, qui ont su assimiler et faire évoluer les langues et les religions étrangères qui se sont invitées de gré ou de force – surtout de force- sur leur terres ancestrales, ainsi que les nouveaux arrivants, les Arabes, qui se sont installés après des décennies de guerres incessantes. Six éminents.e.s universitaires tunisien.ne.s, historien.ne.s et archéologues, ont eu l'extrême amabilité de nous accompagner lors de ce voyage dans le temps.
Borjouliya est un podcast tunisien qui vise à déconstruire le concept de la masculinité traditionnelle en vue de recréer une vision plus appropriée et plus inclusive. Il critique les normes courantes de la masculinité et met en lumière les différentes formes dominantes qu'elle prend dans notre vie quotidienne. Cette troisième saison de "Borjouliya" est une série de discussions réunissant des expériences de vie, des avis d'expert.es et de spécialistes issu.es de différents domaines, traitant de la santé mentale des hommes, de la paternité au-delà des stéréotypes masculins, du corps masculin, du cyberharcèlement et de la trans-masculinité.
Un podcast pour les petites oreilles avec une grande imagination ! Inkyds, la nouvelle série d’inkyfada Podcast publie des histoires audio inédites à destination des enfants. Une manière de découvrir de nouveaux contes et d’explorer des thématiques comme la liberté, la solidarité et la bienveillance.
Nos rubriques permanentes
Vous êtes nombreux et nombreuses à suivre cette rubrique : en 2023, les
“Stouchis” sont devenus mensuels. Un dimanche par mois, plongée dans le porte-monnaie d’un·e Tunisien·ne, chaque fois différent·e. Ils et elles racontentleur quotidien et leur lutte, plus ou moins difficile, face à l’inflation.
Cette année, la série
“Dessous des dates” a tiré sa révérence. L’ultime épisode nous emmène le matin du 8 février 1958. En pleine guerre de libération algérienne, la France bombarde Sakiet Sidi Youssef. La localité frontalière avec l’Algérie est quasiment anéantie, des
dizaines d’habitant·es, enfants et adultes, sont tué·es ou blessé·es et l'écrasante majorité des victimes sont tunisiennes. Depuis 2020, l’important travail d’archive d’Arwa Labidi nous a permis de réellement comprendre le présent à l’aune du passé.
Pour finir,
inkyfada a publié plusieurs photoreportages. Réalisés en collaboration avec photographes indépendant·es,
inkyfada vous a invité à découvrir des thématiques sociales, environnementales, économiques et politiques d’un autre oeil.
Du Pakistan à l'Irak, Shelby est photoreporter. Il parcourt le monde, muni de son équipement et collabore avec plusieurs médias internationaux. En Tunisie, il travaille comme fixeur et assiste plusieurs journalistes dans leur travail. Mais sa profession n'est pas reconnue dans le pays et n'est régie par aucun cadre juridique, ce qui l’angoisse particulièrement.
Il y a 65 ans, le matin du 8 février 1958, en pleine guerre de libération algérienne, la France bombarde Sakiet Sidi Youssef. La localité frontalière avec l’Algérie est quasiment anéantie, des dizaines d’habitant∙es, enfants et adultes, sont tué∙es ou blessé∙es. L'écrasante majorité des victimes sont tunisiennes.
Depuis plus de 40 jours, le monde a - encore une fois - les yeux rivés sur la Palestine. La bande de Gaza croule sous les bombes israéliennes, les morts se multiplient et dans le reste du monde, les narratives s’affrontent. Mais à Tunis, la cause palestinienne
fait consensus et résonne. Depuis le premier jour, Hamouda Bouabane capture cette solidarité à travers son appareil photo.