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Shelby, 46 ans, fixeur et reporter-photographe, 6000 dinars par mois


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14 Mai 2023 |
Du Pakistan à l'Irak, Shelby est photoreporter. Il parcourt le monde, muni de son équipement et collabore avec plusieurs médias internationaux. En Tunisie, il travaille comme fixeur et assiste plusieurs journalistes dans leur travail. Mais sa profession n'est pas reconnue dans le pays et n'est régie par aucun cadre juridique, ce qui l’angoisse particulièrement.
Shelby prépare sa valise. Il s’apprête à partir rejoindre son équipe au Kazakhstan pour une dizaine de jours. Le quarantenaire est habitué à ces déplacements fréquents : c’est le cœur même de son travail de photoreporter. En Tunisie, son pays natal, il exerce en tant que fixeur en facilitant le travail des correspondant·es de médias étrangers. Cette double casquette lui assure un revenu conséquent mais instable. 

Passionné par l'image depuis son plus jeune âge, Shelby a d'abord commencé sa carrière en tant que graphiste. Après la révolution, il ouvre avec un ami une agence de production audiovisuelle au sein de laquelle il réalise de nombreuses publicités.

Tout change lorsqu’une opportunité de travailler avec la BBC se présente à lui. Tout juste après l’attentat de Sousse en 2015, une amie le recommande à l’équipe, présente sur place pour couvrir l’attaque et qui “a fait de l'hôtel voisin son quartier général”.

Shelby saisit l’occasion et profite de sa connaissance de la région et de sa maîtrise de l’anglais, ce qui lui permet de collaborer avec le média pendant plus d’un mois. 

Depuis cette expérience, Shelby a été approché par plusieurs médias internationaux. Il étend son réseau professionnel et travaille comme fixeur, traducteur, caméraman ou encore reporter, en Tunisie comme à l’étranger. Shelby trouve ses opportunités en ligne grâce à ses contacts et aux groupes Facebook de journalistes et de fixeur·ses. Mais ces dernières années, les offres sont devenues moins fréquentes. "C'est dû à l'émergence du journalisme citoyen et au fait que les médias se sont habitués à travailler en ligne et à faire appel à des correspondants sur place", commente-t-il. 

Lorsqu’il part à l’étranger, ses missions sont souvent de courte durée, ne dépassant généralement pas 15 jours. Shelby est payé entre 600 et 800 dollars par jour. Mais ces opportunités ne sont pas régulières et il peut passer plusieurs mois sans exercer. "Pendant la pandémie de Covid-19, je n'ai pas travaillé de l'année, ni en Tunisie, ni à l'étranger. C'était pourtant une année qui s'annonçait bien”, déplore le quarantenaire qui avait de nombreuses missions prévues partout dans le monde. Quatre jours avant son départ, l’aéroport de Tunis-Carthage ferme, le bloquant en Tunisie.

“Je n’avais aucune visibilité et j’ai dû vendre quelques oliviers pour pouvoir subvenir à mes besoins et à ceux de ma famille”, raconte-t-il. 

Voici un aperçu de ses sorties et entrées d’argent mensuelles :

Shelby est marié et père d’un enfant. Il réside à Sousse avec sa famille et paye un loyer de 750 dinars pour son appartement. “ Les revenus instables et irréguliers sont particulièrement difficiles à gérer quand on a un enfant à charge”, commente-t-il. 

“Je n’ai pas de carte professionnelle, ce qui rend les choses plus compliquées”, explique Shelby en évoquant le travail de terrain et la reconnaissance du statut. Depuis plusieurs années, le reporter a tenté à plusieurs reprises d’obtenir ce document, mais toutes ses demandes ont été rejetées. “C’est frustrant de ne pas être reconnu pour le travail que je fais, il n’y a que les diplômes qui comptent”, se lamente-t-il. 

Après avoir redoublé son année de baccalauréat, sans pouvoir l’obtenir, Shelby a décidé de se lancer directement dans la vie professionnelle. “Je n'ai pas de diplôme universitaire et c'est ce qui m'empêche d'obtenir ma carte de presse”, dénonce-t-il. Il estime que son expérience devrait être suffisante pour prouver sa compétence en tant que journaliste. 

“J’ai des reportages qui ont été finalistes dans des compétitions internationales. Pour l’administration tunisienne, cela ne vaut rien”. 

Voici le détail de ses dépenses et revenus mensuels :

Zone grise : 

Bien que passionné par son travail, Shelby déplore le manque de reconnaissance légale et de son travail, ce qui lui pose parfois problème. Cette absence de reconnaissance le prive notamment de sécurité sociale, surtout que Shelby paie en moyenne 600 dinars de frais médicaux par mois. En plus de prendre en charge les dépenses de santé de certains proches, il souffre lui-même de SSPT (Syndrome de stress post-traumatique). “Avec toutes les choses que j’ai vu sur terrain, je consulte et j’ai des médicaments que je dois acheter chaque mois.” 

Le travail de Shelby l'amène parfois en effet vers des zones à risque. "J'ai passé un mois en Turquie après le tremblement de terre. Ces choses-là vous imprègnent, c'est inévitable", explique-t-il.

En plus de la prise en charge de ses frais médicaux, l’absence de statut le dérange notamment lorsqu’il a affaire aux forces de l’ordre en Tunisie : 

“Je me sens impuissant, quand je me retrouve devant les policiers une caméra à la main et sans carte de presse". 

Futur

“Si mon présent n’est pas clair, que dire du futur ?”, s’interroge Shelby. Même si Shelby aime son travail, son instabilité au quotidien et les charges auxquelles il doit subvenir lui pèsent lourdement. Le reporter aimerait s’assurer une stabilité financière et espère un jour que sa profession soit reconnue à sa juste valeur.