8 février 1958. Le jour où la France a bombardé la Tunisie

Il y a 65 ans, le matin du 8 février 1958, en pleine guerre de libération algérienne, la France bombarde Sakiet Sidi Youssef. La localité frontalière avec l’Algérie est quasiment anéantie, des dizaines d’habitant∙es, enfants et adultes, sont tué∙es ou blessé∙es. L'écrasante majorité des victimes sont tunisiennes.
Par | 08 Février 2023 | 15 minutes | Disponible en arabe

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Ces tragédies, même si absolues, furent bénéfiques

Le village rouge fut martyr du verdoyant territoire 

Mais, endeuillée, la Sakia est une survivante unique

Sa tragédie fut le commencement de nouvelles gloires

Ce poème apparaît à l’entrée de la ville de Sakiet Sidi Youssef, ville frontalière située en hauteur et dépendant du gouvernorat du Kef. La façade commémorative est flanquée d’une illustration où les drapeaux tunisien et algérien sont noués. Au-dessus, trône la formule “La Sakia, terre de fraternité”*.

Entrée de Sakiet Sidi Youssef. Crédits : Intissar Belaïd

La voix de Abdelaziz Rouabah, qui avait à l’époque 17 ans, se fait discrète face aux stèles blanches et anonymes du mémorial qui surplombe la ville. Son frère est enterré dans cette tombe collective. Ce dernier a été tué le 8 février 1958 lors de l’attaque française contre Sakiet Sidi Youssef. 

Mémorial de Sakiet Sidi Youssef. Crédits : Intissar Belaïd

“Une base arrière”

En 1958, la guerre d’indépendance algérienne a déjà commencé depuis quatre ans. Elle oppose le Front de libération nationale (FLN) à la France. Elle est déclenchée le 1er novembre 1954 et se termine le 5 juillet 1962, jour de la reconnaissance de l’Indépendance de l’Algérie.

Durant cette guerre, l’armée française a recours à des méthodes redoutables : déplacements forcés de populations, exécutions, torture, viols, etc. Le napalm fait également partie des armes utilisées.

Des centaines de familles quittent l’Algérie pour s’installer dans des camps de réfugié∙es dans les deux pays voisins : le Maroc et la Tunisie. 

Par ailleurs, la Tunisie joue pour le FLN le rôle d’une arrière-garde logistique :

“La contiguïté avec l’Algérie permettait à la Tunisie d’être la base arrière, par excellence, de la révolution algérienne. Elle mit à sa disposition des armes, des camps d’entraînement, des bases de repli, un appui logistique pour les actions militaires... et accepta que le gouvernement en exil de l’État algérien en formation établisse son siège à Tunis. De surcroît, la Tunisie se faisait le porte-parole de la lutte de l’Algérie dans les diverses instances de la diplomatie internationale et elle fut toujours un médiateur potentiel avec la France.”

La frontière est presque invisible entre Sakiet Sidi Youssef et la ville algérienne Haddada. Crédits : Intissar Belaïd.

Malgré la ligne de défense et de séparation entre l’Algérie et la Tunisie dressée par la France*, les régions montagneuses du nord échappent au contrôle total des autorités coloniales françaises.

 “Les révolutionnaires avaient des pinces qui leur permettaient de couper la ligne alors même qu’elle était électrifiée”, indique Abdelaziz Rouabah, rencontré à Sakiet Sidi Youssef. 

Dans cette ville frontalière, dès 1954, la population algérienne commence à affluer afin de fuir la guerre. Elle est composée de familles réfugiées installées dans le camp qui se trouvait à l’extérieur de la ville et de familles installées et travaillant dans la ville (dans le commerce, la maçonnerie, etc). La zone servait également de base militaire du FLN*.

Cette présence algérienne à Sakiet Sidi Youssef en fait une cible pour la France. Malgré l’indépendance tunisienne fraîchement acquise (le 20 mars 1956), la ville subit ainsi la pression et les exactions françaises. "Plusieurs Tunisiens ont participé à la guerre jusqu’à l’indépendance de l’Algérie, on est comme une seule famille. Nous avons toujours été proches et nous partageons des liens familiaux”, rappelle Abdelaziz Rouabah. Amer, il estime cependant que la ville a été privée du nouveau souffle de l’Indépendance à cause de l’engagement de la Tunisie dans la guerre de libération :

“Toutes les nuits, les avions tournaient autour de la ville. On avait peur de la France, on dormait à la campagne ou dans les grottes et on revenait le lendemain matin pour ouvrir les boutiques, etc. C’est comme cela qu’on vivait… jusqu’à la frappe”, se souvient le retraité de la fonction publique.

Le matin du 8 février 1958, l’armée française, prétextant vouloir attaquer le camp militaire du FLN, décide d’effectuer un raid meurtrier. Vingt-cinq avions, dont onze bombardiers B26, décollent de la base aérienne de Bône [actuelle Annaba] en direction de Sakiet Sidi Youssef.

“Des tonnes de bombes” 

À l’époque étudiant à la Zitouna, Abdelaziz Rouabah passe les vacances d’hiver chez sa famille à Sakiet Sidi Youssef. Il se souvient des bombardiers qui se sont mis à attaquer sa ville dès 10h du matin et qui l’ont détruite presque dans sa totalité. Ce samedi était un jour de marché hebdomadaire et la ville était particulièrement animée en raison de la distribution de vivres et d’aides humanitaires à destination des familles algériennes :

Bâtiment de la douane criblé de balles - Archives nationales de Tunisie

“Le bâtiment des douanes, celui de la garde nationale, celui de la délégation, les boutiques qui bordent la rue principale et la place du marché sont particulièrement atteints [...], on peut voir deux camions, l’un de la Croix-Rouge [...] et un du Croissant Rouge [...], tous les deux endommagés et autour, éparpillés, les colis de vivres et les paquets de vêtements."  (Le Petit Matin, 5 mars 1958)

Véhicule de la Croix-Rouge détruit - Archives nationales de Tunisie

La place du marché est dévastée : “des tas de légumes sont répandus, des miches de pain éparpillées, trahissant la fuite éperdue de la foule. De place en place, des taches de sang. Là est tombée une femme, là un enfant.” ( L’Humanité, 10 février 1958)

Des responsables constatant les dégâts - Archives nationales de Tunisie

La presse algérienne compare l’attaque à un génocide : “La masse de destruction montrait suffisamment à quel degré de fureur le génocide avait été commis. Pendant plus d’une heure, des tonnes de bombes de tous calibres furent déversées sur le village qui fut détruit dans sa quasi totalité.” ( El Moudjahid, 17 février 1971)

À l’origine, l’attaque meurtrière avait pour cible le camp de l’Armée de libération nationale (ALN) algérienne mais, prévenu∙es du danger dès la veille, les centaines de révolutionnaires algérien∙nes stationné∙es à Sakiet Sidi Youssef décident de se cacher dans les forêts avoisinantes. Selon Abdelaziz Rouabah, c'est le caïd algérien de la ville voisine qui les aurait averti∙es, ayant été informé d’une attaque imminente. Constatant que le camp situé dans le quartier de la mine est vide, les bombardiers attaquent tout de même une école qu’il abrite.

“Ta… Ta… Ta’ira”*

Entre 10h et 11h, Sakiet Sidi Youssef est bombardée et mitraillée. À deux kilomètres de la place du marché, dans le centre minier*, une école est attaquée.

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“Dans ce petit hameau, une école à une classe recevait 60 jeunes enfants des familles d’agriculteurs des alentours. Dans un rayon de 30 mètres autour de l’école, nous avons dénombré cinq entonnoirs de bombes. L’école a été soufflée.” ( Le Petit Matin, 5 mars 1958)

Selon le témoignage de l'instituteur de l’époque, six avions se sont dirigés vers la zone minière vers 10h50.

“J’ai fait sortir les enfants pour qu’ils aillent se mettre à l’abri dans les ouvertures des galeries de la mine. Malheureusement, certains enfants affolés ont couru dans tous les sens et 12 ont été tués soit par des éclats de bombes, soit par les balles, car les avions son t revenus en mitraillant.” ( Le Petit Matin, 5 mars 1958)

À moyenne altitude, la visibilité depuis les bombardiers était parfaite. Pourtant, des petits garçons effrayés et en fuite ont été pris pour cible. Les écoliers, dont le plus âgé avait 11 ans, étaient en train d’apprendre le mot "avion" en arabe ce jour-là. Sous les décombres de l’école, on pouvait encore voir sur le tableau de la classe et sur leurs ardoises, les premières lettres du mot “ta’ira” [avion]*. 

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Oeuvre originale réalisée par Intissar Belaïd pour cet article.   

  “On a vu trois femmes mortes et à leurs côtés une jument sans vie”

Ce jour-là, le frère de Abdelaziz Rouabah, Mohamed Ennacer, 23 ans, est tué par des tirs de mitraillettes. Travailleur en France, il était revenu en Tunisie une semaine auparavant pour prendre un congé suite à la demande de ses parents qui s’inquiétaient de la situation tendue en France. Sa famille avait peur que les répercussions de la guerre de libération algérienne en métropole l'atteignent. L’ironie du sort a voulu que le danger le rattrape là où il était venu chercher refuge. 

Le soir-même, une petite fille naît dans des conditions insoutenables. Sa mère, Rgaya Rouabah, qui a aujourd’hui 93 ans (et qui est la cousine de Abdelaziz Rouabah), se souvient de la course effrénée qu’elle a effectuée en étant enceinte afin d’échapper à la mort. Au moment où l’attaque française débute, elle est prise de contractions. L’urgence de la situation la pousse à s’enfuir et ses contractions s’arrêtent jusqu’à ce qu’elle trouve refuge dans une des caves de la mine. Elle y accouche avec l’aide d’une tante qui coupe son cordon ombilical avec un débris de verre :

Privées d’eau et de nourriture, la mère et son enfant passent la nuit dans la cave. Ce n’est que le lendemain qu’une ambulance vient les chercher pour les emmener à l’hôpital du Kef. Rgaya Rouabah se souvient de ce moment comme d’une épreuve terrible. La petite fille qu’elle venait de mettre au monde était malade et elle-même se sentait affaiblie et angoissée car sa famille était dispersée et elle n’avait pas de nouvelles*.

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 Oeuvre originale réalisée par Intissar Belaïd pour cet article.   

Rgaya Rouabah passe une dizaine de jours à l’hôpital avant de revenir chez elle. Constatant que sa maison est presque entièrement détruite, elle la quitte pour s’installer dans la maison de sa belle-mère, tuée dans le raid :

Le souvenir du bombardement de Sakiet Sidi Youssef rappelle à Rgaya Rouabah d’autres traumatismes liés à la guerre. Pour elle, qui est née en 1930, sa vie est une suite d’épreuves depuis la Seconde Guerre mondiale et les attaques perpétrées par l’armée allemande en Tunisie. Les drames historiques et militaires ont ainsi façonné son vécu mais la nonagénaire y repense non sans ironie :

Par-delà le bombardement

Selon plusieurs journaux de l’époque, le nombre de mort∙es varie entre 69 et 76. L’édition du 5 mars 1958 du Petit Matin fait état de 104 blessé∙es graves (66 hommes, 13 femmes, 14 garçons et 11 filles). Parmi les personnes décédées (69 selon le journal), il y a 38 hommes, 11 femmes, 15 garçons et 5 filles. Certaines sont tombées sous les tirs et les bombes, d’autres ont péri à l’hôpital. Parmi les victimes, il y a une majorité de Tunisien∙nes et quelques Algérien∙nes.

Les premières réactions de l’État français nient le fait que le raid a tué des civil∙es ou attaqué les organismes humanitaires. Celui-ci réitère que son but était purement militaire et invoque la “légitime défense” ou encore le “droit de poursuite” des combattant∙es algérien∙nes en dehors de l’Algérie. Après sa propre attaque, la France se plaint même auprès de l’ONU et “dénonce la belligérance et la duplicité tunisienne” dans le conflit algérien ( Le Parisien, 15 février 1958). Focalisé sur une tactique défensive auprès de l’opinion internationale, l’État français multiplie les déclarations prétextant que l’armée cherchait à poursuivre un commando algérien. 

En particulier, le bombardement de Sakiet Sidi Youssef est présenté comme une suite logique à l’attaque du 11 janvier 1958. Ce jour-là, une troupe de l’ALN traverse la frontière depuis la Tunisie et attaque une patrouille française de dix-neuf soldats. Quatorze sont tués et cinq sont faits prisonniers.

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“Considéré sous l’angle purement opérationnel, le bombardement de la mine a été du beau travail”, se délecte une certaine presse métropolitaine – sans préciser que le beau travail a visé les écoliers de la mine ( Paris Presse, 13 février 1958). “Faut-il se laisser canarder ou égorger sans jamais riposter ?”, titre le journal. 

L’argument de la légitime défense n’est pas sans rappeler celui mis en avant par l’armée d’occupation israélienne, 27 ans plus tard, après le bombardement de Hammam Chatt dans la banlieue sud de Tunis. Les deux événements sont d’ailleurs étrangement semblables. 

Dans les deux cas, l’armée d’un État colonisateur s’attaque au territoire tunisien qui abrite des organisations de libération nationale (le Front national de libération algérien et l’Organisation de libération de la Palestine). Les deux raids ont lieu en représailles mais ils ratent leur principales cibles et font une majorité de victimes civiles. Celui de Sakiet Sidi Youssef visait un camp de l’ALN mais qui était vide ce jour-là et celui de Hammam Chatt visait le siège de l’OLP qui devait abriter une réunion avec Yasser Arafat mais qui avait été reportée. Malgré ces erreurs, les deux attaques ont tout de même causé de terribles dégâts humains et matériels.

1er octobre 1985. Le jour où l’armée d’occupation israélienne a bombardé la Tunisie

De son côté, l’État tunisien ne mâche pas ses mots. Lorsqu’on lui demande pourquoi la France a bombardé Sakiet Sidi Youssef, le président Habib Bourguiba répond :

“Parce qu’ils savent maintenant qu’ils ne peuvent plus gagner la guerre d’Algérie. Ils veulent frapper tout le monde, partout comme un animal blessé et traqué. Humiliés et battus sur le champ de bataille [...], ils ont finalement dû avoir recours à Sakiet Sidi Youssef.” (Interview donnée à Newsweek, parue le 18 février 1958).

Les familles françaises installées en Tunisie sont menacées d’expulsion et le gouvernement tunisien exige la fermeture de consulats français situés vers l’ouest (au Kef, à Souk el Arba [actuelle Jendouba], à Gafsa et à Medjez el Bab), ( L’Humanité, 12 février 1958). Le Néo-Destour appelle à de grandes manifestations et grèves à travers le pays. Tunis, Bizerte, Ras Jebel, Hammam Lif, Tabarka, Ghardimaou et d’autres villes se soulèvent pour dénoncer l’attaque française sur le sol tunisien tout juste indépendant. La foule demande l’évacuation de la base militaire de Bizerte et des armes.

“À chacune de ces incursions, les Tunisiens et les Tunisiennes prenaient davantage conscience du caractère précaire de leur indépendance. Cette précarité prenait sa racine d’abord dans le conflit franco-algérien, ensuite dans l’implantation des forces militaires françaises sur le territoire national [...]. On n’a pas suffisamment réfléchi à la rencontre rigoureuse des deux expressions les plus usitées depuis le 8 février : “évacuation”, “des armes”. Le peuple tunisien n’ignore pas que les Français ne sont pas près de quitter leurs casernes “gentiment”. Les Tunisiens savent qu’encore une fois, il faudra pousser les soldats français à la mer.”, Frantz Fanon, “Le sang maghrébin ne coulera pas en vain”, El Moudjahid, n°18, 15 février 1958.

Manifestations en faveur de l’évacuation et de l’obtention d’armes (coupures de journaux) - Centre de documentation nationale

“L’évacuation totale des troupes françaises est devenue une nécessité absolue”, martèle Bahi Ladgham, Secrétaire d’État à la Défense ( Le Monde, 11 février 1958). Dès le soir du bombardement, l’État met en place des barrages et empêche le ravitaillement de la base militaire française de Bizerte. Son entrée est interdite aux navires français. Pour Abdelaziz Rouabah, le bombardement de Sakiet Sidi Youssef est à l’origine de l’évacuation de Bizerte, le 15 octobre 1963. “Sans la Sakia, il n’y aurait pas eu d’évacuation”, assure-t-il.

Ainsi, la frontière au nord-ouest de la Tunisie, qui était au cœur des protestations de la France lorsque ses troupes ont décidé d’occuper le pays le 12 mai 1881, se trouve également au cœur du parachèvement de l'Indépendance tunisienne. 

12 mai 1881, quand la Tunisie devient une possession française

Ayant saisi le conseil de sécurité de l’ONU juste après l’attaque de Sakiet Sidi Youssef, la Tunisie s’attire la sympathie internationale. Les États-Unis et la Grande-Bretagne nomment une commission de bons offices pour suivre la crise tuniso-française. Accusée, la France se retrouve face à une crise politique d’envergure qui aboutit à la chute de la IVe République.  

Caricatures extraites de journaux français et tunisiens - Centre de documentation nationale

La dialectique de la commémoration

À Sakiet Sidi Youssef, la vie tente de reprendre malgré le traumatisme collectif et les séquelles physiques avec lesquelles vivent désormais plusieurs habitant∙es. 

“Pendant des mois, on a vécu avec la crainte d’un nouveau bombardement. Notre calvaire a pris fin avec l’Indépendance de l’Algérie”, témoigne un habitant. “Chaque soir, on s’attendait à recevoir sur la tête le toit de la maison… on vivait dans la peur”, renchérit un autre (L’Action, 8 février 1983).

لكنها الساقية الثكلى ببقياها فريدة

 Oeuvre originale réalisée par Intissar Belaïd pour cet article

La ville se reconstruit progressivement, grâce à différentes aides nationales et internationales et la date du 8 février 1958 devient une date à commémorer. Chaque année, des responsables d’Algérie et de Tunisie se réunissent à Sakiet Sidi Youssef pour honorer la mémoire des victimes.

Pour certain∙es habitant∙es, ces célébrations n’ont aucun sens tant que la ville et ses alentours vivent dans la misère. La seule usine de la région étant fermée depuis plusieurs années, de nombreux·ses habitant·es sont au chômage et le taux de pauvreté avoisine les 40%. Tarek, la trentaine, travaillant dans une boutique sur place, déplore le fait que les responsables politiques ne se souviennent de Sakiet Sidi Youssef qu’une seule fois dans l’année. À l’approche de la date du 8 février, il témoigne de sa désillusion : 

Préparatifs de la commémoration du 65e anniversaire du bombardement, mémorial de Sakiet Sidi Youssef. Crédits : Intissar Belaïd

À deux kilomètres de là, dans l’ancienne zone minière qui a vu tomber les petits écoliers, des mères organisent un sit-in pour dénoncer l’accident qui a gravement blessé une jeune écolière du village le matin même. Soixante-cinq ans après l’attaque du 8 février, les enfants de Sakiet Sidi Youssef ne sont toujours pas à l’abri. 

Les mères protestent contre des conditions socio-économiques indignes et une mise en danger permanente de leurs enfants sur la route de l’école à cause du manque d'infrastructures routières dans ce village adossé à une falaise :

L’image de la mort revient souvent dans les paroles des habitantes rencontrées. L’une d’elles avance que son fils “est comme mort, il n’a pas de vie”. Pour une autre, le village est “un grand cimetière”, la population y est “enterrée sous la montagne”. Le 8 février 1958 est une date qui les met en colère, non seulement elle hante douloureusement la mémoire collective de toute une région mais elle n’agit pas directement sur leurs vies. “La Sakia a une valeur patrimoniale, elle pourrait se transformer en une ville à visiter pour son histoire mais ils ne se souviennent de nous que pour les commémorations”, regrette l’une des mères. 

Sa remarque pose une question fondamentale : quel sens a la célébration des mort·es  lorsqu’on ne prend pas soin des vivant∙es ?

Le Dessous des dates est une série d’articles qui s’intéresse à des dates clés de l’histoire contemporaine de la Tunisie. Elle reconstitue le récit d’une mémoire individuelle ou collective au prisme d’un contexte ou d’un événement marquant à l’échelle nationale.