Cette décision a été prise en parallèle d’une campagne sur Facebook appelant au boycott de l'établissement : des internautes accusent le fondateur et propriétaire de la société gérant le complexe, Patrick Sebag, de sionisme sur la base d’une interview datant de 2005. Dans cette dernière, il déclare “qu’un jour, il déménagerait en Israël”. Ces propos ont été évoqués, selon l’autrice de l’article interrogée par inkyfada, dans le cadre d’un dîner lors de la visite des ministres israéliens des Affaires étrangères et de la Communications de l’époque, qui s’étaient rendu·es en Tunisie pour un événement international. Pourtant, la Tunisie était censée avoir rompu ses liens diplomatiques dans le contexte de la deuxième intifada.
Face à ces accusations, une source proche du dossier reconnaît que ce dîner et cette interview ont bien eu lieu, mais que celle-ci aurait été faite à la demande de l’Agence tunisienne de Communication extérieure (ATCE). Toujours selon cette source, Patrick Sebag aurait demandé à plusieurs reprises que l’interview soit retirée des réseaux sociaux, en raison de désaccords avec le contenu de l’article.
Mais en 2023, dans un contexte de bombardements incessants de l’armée d’occupation israélienne sur la bande de Gaza et de débat sur “la criminalisation de la normalisation avec l’entité sioniste” au sein du Parlement, l’affaire ne passe pas. Elle se superpose par ailleurs à d’anciennes campagnes de boycott du complexe Ardjan. Il y a environ deux ans et demi, des employé·es travaillant au sein du complexe ont soulevé une série de plaintes, dénonçant des conditions de travail difficiles.
Au-delà du contexte géopolitique et des plaintes des employé·es, l’investigation menée par inkyfada pendant plusieurs mois montre que d’autres infractions auraient dû attirer l’attention des autorités depuis bien longtemps. Enquête.
La licence d’alcool, précieux sésame
Depuis un mois, le complexe Ardjan étonne par son calme. Habituellement remplis de client·es, les bars font grise mine derrière les grandes portes noires du complexe. “Gammarth en novembre, ce n’est déjà pas un mois exceptionnel (...) Alors imaginez sans alcool !”, plaisante Yvette Rechichi.
Yvette Rechichi est l’actuelle gérante de la société Gest Hotel, qui gère le complexe Ardjan. Tous les établissements, du Jobi au Yüka, en passant par le Habibi, dépendent de cette société.
Inkyfada a rencontré Yvette Rechichi dans son bureau à la devanture vitrée, entre deux bars. Malgré des activités au ralenti, elle continue à se rendre à son bureau tous les jours. Son objectif est de trouver une solution le plus rapidement possible pour rouvrir l’Ardjan. En attendant, le complexe reste ouvert, “mais sans alcool”. Malgré tout, cet après-midi du vendredi 24 novembre, le complexe semble obstinément vide, à part la présence de quelques travailleur·ses s’occupant de la maintenance.
“Le 19 octobre, on a reçu, de la part du poste de police de Gammarth, un retrait de nos licences d’alcool”, raconte Yvette Rechichi.
D’après elle, la raison invoquée par les autorités est “une incohérence entre la gérance actuelle et le gérant indiqué dans la licence”. Selon la loi, une licence d’alcool peut être attribuée à une société mais elle doit être systématiquement associée à une personne physique. En 2021, lorsqu’Yvette Rechichi prend les rênes de Gest Hotel, une demande est transmise au ministère de l’Intérieur, afin de transférer la licence.
D’après elle, les autorités n’ont pas refusé la demande ou signalé des manquements. Mais au vu de la législation, connue pour être particulièrement rigide en ce qui concerne les licences d’alcool, “rien n’est sûr”, reconnaît Yvette Rechichi. “Moi je suis étrangère, je n'ai pas la nationalité tunisienne. On m’a dit que c’était faisable mais personne n’est sûr du fait que je puisse obtenir la licence d’alcool”. Depuis, la société Gest Hotel est en pourparlers avec le gouverneur de Tunis.
35 dinars le shift
Sur certains réseaux sociaux, le retrait de la licence de l’Ardjan est plutôt vue comme une victoire et un aboutissement : sur le groupe Boycott Ardjan, qui compte plus de 6000 membres, l'heure est à la célébration. Mais tandis que certain·es ont exprimé leur approbation, d'autres se sont inquiété·es du sort des travailleur·euses au sein du complexe. Ce dernier, désormais vidé de ses client·es, employait plusieurs centaines de personnes. Les médias ont même mentionné le nombre de 650 employé·es.
Un chiffre exagéré selon diverses personnes interrogées. “Nous aujourd'hui, on a à peu près 250 personnes dont 180 sont déclarées à l’Inspection du travail et bénéficient d’un contrat CNSS standard”, déclare Yvette Rechichi. Parmi les employé·es disposant d’un contrat, la plupart ont des CDD, une vingtaine est en stage SIVP (Stage d’Initiation à la Vie Professionnelle) et quelques rares élu·es ont un CDI. “On essaie de garantir leur paiement mais j’ai expliqué au gouverneur que je ne pourrais pas les garder au-delà du mois de novembre”. Elle affirme que sa priorité est l’avenir des travailleur·ses et les conséquences sociales de cette affaire.
Quelques kilomètres plus loin, dans un café près de la route touristique de Gammarth, Jalel*, un ancien responsable chez Ardjan, dépeint des conditions différentes. Son café tressaute légèrement entre ses mains tremblantes. “Le nombre d'employés bénéficiant de la couverture sociale ne dépasse pas les 20%.”, dit-il, catégorique. “Si ce n’est moins”.
"J'étais responsable d'une équipe de 20 personnes, dont seulement quatre bénéficiaient de la couverture sociale", affirme-t-il.
D’après Jalel, la direction du complexe Ardjan a une stratégie visant à éviter de déclarer la plupart des employé·es. Selon lui, cette procédure se répète “de manière récurrente”. “Ils ont un nombre précis d'employés bénéficiant de la couverture sociale”, affirme-t-il. “Quant aux autres, on leur demande, au début de leur emploi, de fournir deux photos, une copie de leur acte de naissance, avec la promesse de les déclarer. En cas d’inspection du travail, ils sortent les dossiers du tiroir, affirmant leur intention de les déposer auprès de la CNSS dès la fin de la période d’essai pour les nouveaux employés”. De son côté, Yvette Rechichi confirme demander l’ensemble des documents cités par Jalel et assure “faire le nécessaire” pour établir des contrats.
Elle se félicite par ailleurs de ne pas avoir de “grand turnover, ce qui n’est pas commun dans ce secteur”. Pourtant, selon Jalel, la période d’essai chez Ardjan débouche rarement sur un recrutement officiel. “Après trois ou quatre mois, ils trouvent un prétexte pour licencier les employés et en embaucher d’autres, et ainsi de suite”, affirme-t-il. L’objectif serait “d’éviter l’obligation de les déclarer auprès de la Caisse nationale”. Il relate une anecdote, répandue parmi les travailleur·ses du complexe, selon laquelle “un employé couvert par la sécurité sociale a déposé une plainte contre l’entreprise pour licenciement abusif et le tribunal lui a accordé une indemnisation de 22.000 dinars. Depuis lors, tout est permis pour éviter que cela ne se reproduise".
En plus de l’absence de protection sociale, ils et elles sont plusieurs à dénoncer un salaire bas et insuffisant. Jawher*, un ancien serveur qui a travaillé pendant les saisons estivales de 2021 à 2023 confirme qu’il n’a jamais vu l’ombre d’un contrat de travail. Il dénonce par ailleurs le fait que “les salaires n'ont pas changé depuis des années”.
“35 dinars pour les serveurs pour une journée de travail de 13 heures, de 16h30 à 5h30 du matin", précise Jawher, tout en précisant que la paie ne tient pas compte des changements des heures supplémentaires ou de l’augmentation du volume de travail en cas de sous-effectif.
Des rémunérations qui correspondent aux estimations d’Yvette Rechichi. “Le salaire moyen d’un serveur est de 900/950 dinars (...) pour un rythme de 48 heures par semaine”, indique la gérante. “Certains sont à 1200 dinars, des jeunes diplômés démarrent à 800, des commis à 700/750… Cela dépend du profil”.
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Le salaire quotidien, jugé déjà modeste, peut disparaître à n’importe quelle erreur, selon Jawher. "Un client a refusé de prendre une pizza, et la cuisine a refusé de la reprendre. En tant que serveur, je me retrouve à devoir couvrir son coût, qui est d'au moins 35 dinars", témoigne-t-il.
La facture serait encore plus salée avec l’alcool. "Quelqu'un a accidentellement brisé une bouteille d'alcool vendue à 450 dinars dans l'un des bars du complexe”, continue l’ancien serveur. “Il a suggéré de la remplacer par une bouteille similaire qu'un de ses amis à l'étranger pouvait ramener, pour 200 dinars. Cependant, le responsable a refusé et l'a contraint de payer l'intégralité du prix de vente”.
Pour Yvette Rechichi, cette situation est “impossible”. “Les bouteilles, on ne les fait pas payer si on les casse (...). Casser quelque chose, comme des verres, ça fait partie de l'activité. On pose ça dans les comptes, on a X trucs de cassés”, détaille-t-elle. La gérante précise cependant qu’aucun alcool “qui n’est pas acheté par notre économat” ne rentre dans l'enceinte du complexe.
Pour compenser leurs salaires, les pourboires deviennent la solution pour les serveur·ses. Pour maximiser leurs revenus, ils ont recours au "taflih*", un terme couramment utilisé dans le jargon de la vie nocturne, impliquant de "manipuler le stock alloué aux serveurs afin de générer des revenus plus importants en trompant les clients - souvent en état d'ébriété - et en exagérant leur facture pour couvrir tout écart entre les ventes enregistrées et l'argent collecté", témoigne un ancien employé ayant requis l’anonymat. C'est une solution à laquelle les serveurs ont recours, car "eux-mêmes sont victimes".
"Ils ne se soucient pas que nous volions les clients pour remplir leurs propres poches, et pour être honnête, les nôtres aussi. C'est un cercle vicieux", conclut l’ancien travailleur.
Des dizaines de milliers de dinars par soirée et “des gérants de facto”
“Les gens ne me croient pas quand je dis combien d’argent rentre”, raconte une source en interne interrogée par inkyfada. Chaque soir, le Teatro Lolla, le Yüka et les autres établissements sont généralement remplis. “À la porte [du Teatro Lolla], ça refuse 300 personnes”.
Dans un groupe Whatsapp, les différents établissements échangent chaque soir sur les coûts, ventes et recettes. Une capture d’écran consultée par inkyfada indique que le Yüka, l’un des établissements phares du complexe a fait un chiffre d’affaires de plus de 92.000 dinars en à peine une journée d’été… sans compter l’alcool.
“Une soirée au Teatro Lolla, rien qu’en cuisine, les recettes sont entre 25 et 30.000 dinars par jour (...) et le Yüka, ça peut être 8 ou 10 fois plus”, indique la source interrogée par inkyfada.
Tous les établissements appartiennent à la société Gest Hotel, mais ceux-ci sont gérés au quotidien par différentes sociétés, comme Phénomènes Joyeux qui supervise le Yüka. “On a des prestataires de services artistiques ou événementiels”, indique Yvette Rechichi. Ces derniers sont donc rémunérés sur présentation de factures mais une certaine opacité règne sur la relation commerciale et le partage de bénéfices.
Selon un expert législatif interrogé par inkyfada, ce système de prestation de service pourrait être un moyen d’éviter une procuration, “qui est la seule manière de déléguer la gestion d’un bar”. Vu le fonctionnement de fait du complexe Ardjan, les personnes qu’Yvette Rechichi désigne comme prestataires sont “des gérants de facto”.
“Parce qu'en quelque sorte, si tu vas sur les lieux, tu ne vas pas trouver la personne responsable sur cet endroit en tant qu'une seule entité, tu ne trouveras pas le propriétaire de l'Ardjan. Tu trouveras, pour chaque établissement, une autre personne qui gère”, décrit-il. “Même si les employés sont contractuellement liés à l'entité mère, ce sont eux les gérants, ce sont eux en réalité les vis-à-vis, si tu as un problème par exemple (...). Même si on parle d'une caisse unique, et d'une cuisine unique, mais c'est comme s’il donnait une procuration à d'autres personnes”.
“C'est en quelque sorte une fraude à la loi. La loi te dit il faut donner une procuration à une personne pour tenir le bar, et toi tu fais ça sous couvert de ce qu'on appelle un contrat de prestation de service”, résume-t-il.
D’un point de vue commercial, cette configuration ne se prête pas non plus à une relation de prestation de service. “Il semble improbable que ces employés soient considérés comme des prestataires externes rémunérés selon un prix convenu à l'avance (...). Je suis persuadé que la rémunération dans ce contrat n'est pas fixe, ça sera probablement un pourcentage du chiffre d'affaires”, ajoute l'expert.
inkyfada a pu avoir accès aux déclarations fiscales de Gest Hotel. Entre 2018 et 2022, le chiffre d’affaires annuel connaît une augmentation significative - hors période Covid -, passant de 6 à presque 26 millions de dinars. Lorsqu’on compare ces chiffres aux témoignages collectés, les bénéfices réalisés par Ardjan interrogent et semblent bas par rapport à l’importance du complexe.
“On a fait des choix d'investissements qui sont énormes !”, justifie Yvette Rechichi, en vantant la beauté du complexe. “Parfois même, dans le passé on a choisi d'investir plutôt qu'avoir du bénéfice”.
Sans avoir l’ensemble des bilans de Gest Hotel, il est difficile de bien comprendre en détail les revenus et charges de la société. Ces derniers sont censés être déposés au Registre national des entreprises (RNE) mais sont indisponibles. “On a tout enregistré à la recette des finances et je suis censée les déposer au RNE, c’est un manque de ma part”, reconnaît la gérante. “C’est prévu, on est censé le faire”.
Dans ces documents, il est également indiqué que la société Gest Hotel a été en défaut de paiement pendant plusieurs années auprès de l’administration fiscale. Les taxes et impôts dus de 2018 à 2020 ont tous été payés le 29 juin 2022. Interrogée à ce sujet, Yvette Rechichi affirme ne pas connaître les raisons de ce paiement tardif et renvoie vers le directeur administratif et financier de Gest Hotel. Elle invoque tout de même un certain “manque d’organisation” et une restructuration du département financier.
Six mois plus tard, Gest Hotel fait par ailleurs l’objet d’un redressement fiscal. “Il nous a été notifié, on a réglé notre situation”, résume la gérante. Elle explique avoir eu de nombreux rendez-vous avec l’administration fiscale. “Le dernier a eu lieu il y a tout juste quatre jours. On a clarifié tous les points ensemble et l’administration a maintenant trois mois pour nous répondre”, détaille-t-elle.
“Pour nous, c’est un contrôle de routine”, conclut-elle. Elle affirme que c’est ce que lui affirmé le Fisc et que cela arrivait à de nombreuses sociétés.
Un hôtel-façade ?
Depuis le 19 octobre, les autorités se sont peu exprimées sur l’affaire. “[Gest Hotel] opérait en violation des procédures légales et n’avait pas obtenu un classement de l’Office national du tourisme tunisien lui permettant d’exercer diverses activités, ce qui implique plusieurs infractions et soulève des questions juridiques litigieuses” , a déclaré Fares Mejri, chargé de la gestion des affaires courantes du gouvernorat de Tunis, au cours d'une interview à la radio, qui été l’une des seules déclarations officielles.
Pourtant, Mohamed Majdi Rezgallah, en charge de la gestion des produits à l'Office national du tourisme tunisien (ONTT), affirme que "l’Ardjan est un établissement touristique détenant une licence permettant l'ouverture et l'exploitation en tant que village touristique à Gammarth*". Interrogé par inkyfada, il précise que le complexe a déposé une “demande d'exploitation en tant qu'établissement d'hébergement, conforme à la capacité d'accueil minimale autorisée pour la classification touristique en tant qu'hôtel, comprenant 10 chambres équipées avec des points de vente pour les boissons alcoolisées".
Pour comprendre la genèse du projet hôtelier, inkyfada a remonté l’historique de l’Ardjan, entamé il y a plus d’une décennie. Le 28 juillet 2011, la société Gest Hotel est créée par Patrick Sebag et son collaborateur Julien Sella. Ces derniers ont pris en charge la location du village touristique alors connu sous le nom de "Touring Club".
À l'époque, cet espace était géré par Douraid Ammar, fils de l'ancien ministre de l'Intérieur Habib Ammar, proche de Ben Ali, qui a quitté le pays immédiatement après la chute de l’ancien dictateur. Quelques mois après la révolution, Gest Hotel signe alors un contrat d'exploitation avec l'association “Touring Club de Tunisie” pour une période de 25 ans, débutant le 1er septembre 2011 et se terminant le 31 août 2036, selon les informations fournies par l’ONTT.
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Suite à cela, les travaux commencent à toute vitesse pour préparer l’Ardjan. Patrick Sebag, avait l'ambition d'ouvrir un hôtel comprenant 45 suites, 3 salons de bar haut de gamme, deux restaurants, un bar de plage, deux bars à thème, et deux discothèques, dont une en plein air directement sur la mer, en plus d'un casino.
Cependant, le 28 juillet 2015, les représentant·es de l'ONTT ont inspecté le village rénové et ont émis, par un fax en date du 29 juillet 2015, une licence en-deçà des ambitions de Gest Hotel.
Cette licence restreint l'ouverture et l'exploitation à "10 chambres équipées pour accueillir 20 personnes, le restaurant le Jasmin avec sa cuisine, ainsi que l'accès à la piscine, excluant toute autre installation".
Le site web d'Ardjan propose en effet une liste de dix chambres à la location. Mais en regardant plus attentivement, on constate que les images sur les photos d’une même chambre sont reproduites à dix reprises. Par ailleurs, il semble impossible d’y séjourner. L'équipe d' inkyfada a essayé, plusieurs fois, de joindre l'établissement pour effectuer une réservation. Après plusieurs appels passés à différents moments, inkyfada a conclu que la réservation d'une chambre chez Ardjan est impossible, même en proposant des dates et des horaires différents.
"La validité de la licence d'exploitation d'Ardjan dépend essentiellement de la prestation de services d'hébergement”, prévient Mohammed Majdi Razgallah. “Cela figure en tête des conditions de classification en tant qu'établissement hôtelier. Son absence entraînerait automatiquement le retrait de la licence d'exploitation".
"Je n'ai jamais vu quiconque séjourner à l'hôtel pendant toute ma période de travail là-bas", confirme un employé qui a travaillé pendant deux ans en tant que serveur à l’Ardjan. “Les chambres disponibles ne sont pas aménagées pour accueillir des clients. Qui pourrait séjourner là avec des clubs qui restent ouverts jusqu’à quatre heures du matin et de la musique toute la nuit !”
Des accusations niées en bloc du côté de Gest Hotel. “Nous sommes un hôtel bien sûr”, affirme Yvette Rechichi. “Parfois ce sont des artistes qui décident de passer la nuit ici, mais en général ce sont plutôt des gens qui aiment faire la fête”. Rechichi affirme qu’un certain nombre de ses “clients sont des réguliers”. “Ils trouvent ça familial”.
Une expansion au détriment de l’autorisation
Le permis de l’ONTT, délivré en 2015, autorisant l'exploitation limitée à seulement 10 chambres, un restaurant et une piscine, n'a pas entravé l’expansion rapide d’Ardjan. Mais c’est réellement en 2016, que les activités du complexe se sont développées, et n’ont cessé de s’étendre au fil des années. "Tout a commencé avec la boîte de nuit Terminal 2B et un premier noyau de ce qui est maintenant le Yüka", selon l'un des habitués du lieu depuis son ouverture.
De 2016 à 2021, les bars et les boîtes de nuit se sont multipliés dans le complexe, totalisant au moins 11 établissements, selon le recensement d’ inkyfada. Certaines enseignes ont fermé leurs portes, d’autres les ont remplacées et d’autres établissements ont continué à apparaître. Mais l’autorisation d’exploitation est loin de suivre les changements incessants du village touristique.
Le 4 mars 2021, l'équipe de l'Office national du tourisme a effectué une visite à Ardjan, et a délivré une licence mise à jour datée du 12 avril 2021 autorisant l'ouverture et l'exploitation du village touristique avec 10 chambres, en plus de 3 restaurants répertoriés et 3 bars. Mais plusieurs des établissements mentionnés exerçaient depuis bien plus longtemps. Par exemple, le Jobi est ouvert depuis au moins 2017.
Mohammed Majdi Razgallah affirme que cette situation "enfreint la loi, et selon la loi, les établissements doivent être fermés immédiatement s'ils n'ont pas de licence d'exploitation". Il souligne que "les locaux peuvent être aménagés et une licence peut ensuite être demandée, mais il est interdit de les exploiter pendant cette période".
Suite à l'acquisition de sa deuxième licence, le complexe Ardjan a rapidement repris les mêmes pratiques, contournant les règles pour ouvrir de nouveaux établissements. L'expansion des activités s'est étendue avec le marché "Utopia", comprenant dix boutiques offrant de la nourriture et divers articles, en plus de l'introduction d’un piano-bar (Capela) et d’un restaurant éphémère (Efimero), resté ouvert pendant deux mois.
Globalement, la gérance de Gest Hotel souligne les difficultés à travailler avec l’administration tunisienne : “les gens qui veulent travailler en règle et dans les normes en Tunisie, il y en a beaucoup. Le problème c'est l'administration qui ne vous laisse pas travailler dans les normes. Qui met un temps fou à répondre, s'ils vous répondent…”
“Ce complexe peut tout perdre lors d’une tempête”
Les dépassements du complexe Ardjan ne concernent pas seulement les autorisations administratives. Situé dans la région touristique de Gammarth, l’une des banlieues les plus huppées de Tunis, le complexe Ardjan s’étend sur une superficie totale estimée à environ 25.000 m², selon les données fournies par Google Earth. L’endroit est divisé en deux parties : une partie en bord de mer au nord, et une autre en contrebas de la mer, avec une profondeur de plusieurs mètres du côté sud.
Tout comme les établissements hôteliers avoisinants, Ardjan est implanté dans une zone touristique, comme en témoigne le plan d'aménagement urbain de la municipalité de La Marsa pour l'année 2020. Le complexe s'étend le long du littoral, là où la forêt se mêle à un champ de dunes, formant ainsi un chemin jusqu'à la plage. La docteure Oula Amrouni, spécialiste en géomorphologie des plages, explique dans une interview avec inkyfada que “cet environnement agit comme une barrière naturelle contre des perturbations telles que les vagues violentes et les inondations. Tout ce que l'on voit en vert [la forêt], il vaut mieux ne pas y poser ne serait-ce qu'une seule brique.”
Source : Plan d'aménagement urbain de la ville de La Marsa en 2020 - Google Earth
En 2019, la troisième communication nationale de la Tunisie au titre de la Convention Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques prévoit un recul progressif de la ligne côtière en raison de l’élévation du niveau de la mer. Le rapport met également en avant une superficie totale estimée à 3000 hectares des zones urbaines, plus vulnérables que d'autres aux risques d'inondation. Plus de la moitié de ces zones sont habitées, principalement localisées à Tunis et à Sfax.
La docteure Amrouni rappelle que "nous sommes particulièrement exposés aux conséquences du changement climatique dans la région méditerranéenne, et nous commençons à observer de nouveaux phénomènes extrêmes."
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Avec l’aggravation de la situation climatique mondiale, la région méditerranéenne connaît une intensification de tempêtes, communément appelées “Médicane”, et souvent comparables aux ouragans tropicaux. Elles s’accompagnent de vents violents et de fortes précipitations, pouvant entraîner des inondations similaires à celles provoquées par l’ouragan Daniel, qui a touché la ville de Derna en Libye, le 11 septembre 2023, causant au moins 11 300 victimes et d’importants dégâts.
“Ce complexe peut tout perdre lors d’une tempête, ils ont construit sur une partie où la mer peut avoir un impact”, déclare Amrouni en regardant les images satellites de la zone. “En été, c’est une plage normale avec du sable et des parasols, mais en hiver tout cela revient à l’eau, naturellement."
“C’est un domaine marin (...) et ça protège l’arrière-pays des vagues. Si on enlève la dune, et on met un mur de béton, les vagues vont revenir, plus fortes. La nature n’aime pas qu’on l’entrave.”
Selon l’experte, des solutions existent. "Le remplacement des structures en ciment par des constructions sur pilotis démontables”, donne-t-elle en guise d’exemple. “Cela permettrait de créer un espace favorisant la circulation de l'air en dessous et faciliterait la formation des dunes sans obstacles.”
"Ils s'en moquent, ils vont investir, perturber le système écologique, et se déplacer vers un autre endroit encore préservé, mais ce sont les habitants locaux qui vont supporter les coûts ou subir les pertes."
L’occupation d’Ardjan du domaine public maritime ne passe pas inaperçue aux yeux des autorités, en particulier auprès de l’Agence de protection et d’aménagement du littoral (APAL). Créée en 1995, cette dernière a pour mission de veiller à la préservation et à la protection du littoral, notamment en ce qui concerne les infractions liées aux constructions non conformes aux lois. Cela se fait par l’inspection, au moyen de rapports rédigés par des agents et des experts assermentés.
L’Agence est consciente des violations du complexe, depuis au moins 2015, comme le montre une publication sur son site internet. Sur une image satellite de la zone touristique de Gammarth, la moitié de la superficie du complexe est entourée en rouge, indiquant son dépassement sur le domaine public maritime.
Topographie du domaine public maritime. Le domaine comprend également une zone non constructible. Ces limites définissent où les constructions peuvent commencer.
“Dès 2011, on s'est rendus compte qu'une grosse partie de l'hôtel était dans le DPM, en contactant l'APAL”, raconte Yvette Rechichi. Bien qu’elle n’était pas présente à l’époque, elle affirme s’être rendue récemment à l’APAL pour échanger avec l’agence “même si c’est une période qui ne me concerne pas”.
D’après elle, le complexe Ardjan ferait partie des 804 structures - habitations, hôtels, etc. - censées faire l’objet d’une régularisation en raison de leur construction préalable à la délimitation du domaine maritime. “Ils ont dit qu'ils feraient une autorisation spéciale pour régulariser ces 804 cas, on a fait des dizaines de demandes de régularisation, sans aucune réponse”, affirme-t-elle. Il a fallu attendre février 2023 pour que le dossier “Ardjan” soit accepté parmi ces cas spécifiques. “Maintenant, on attend la commission”.
Gest Hotel aurait par ailleurs fait des demandes “d’autorisations d’occupation temporaire (...) pour mettre des parasols, etc.” La loi permet en effet l’occupation provisoire du domaine public maritime par le biais d’une autorisation délivrée par décision du ministre de l’Environnement, sur proposition de l’APAL. Cette autorisation est accordée pour une durée d’un an, renouvelable, et précise les conditions d’occupation, les redevances à payer, en particulier la nature des installations prévues. Ces installations doivent être constituées de matériaux légers et démontables, et ne doivent inclure aucun travail d’aménagement, même superficiel, affectant l’état naturel du domaine public maritime.
Dans sa réponse à une demande d’accès à l’information déposée par inkyfada, l’Agence affirme “[qu’il] n’y a pas de licence d’occupation temporaire spécifique pour l’espace Ardjan à Gammarth (...) et qu’actuellement, aucune licence n’est en vigueur.”
Cependant, l’APAL n’est pas la seule entité gouvernementale chargée de protéger le domaine public maritime contre les violations. Les municipalités et les gouvernorats ont également leur part de responsabilité en vertu du Code des Collectivités locales et du Code de l’Aménagement du Territoire et de l’Urbanisme, leur permettant d’émettre des ordres de démolition et de veiller à leur exécution contre les contrevenant·es.
Sources : Articles 257,258,259,266 du Code des Collectivités locales
Articles 68,84,88 du Code de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme
Article 4 de la Loi n°95-72 du 24 juillet 1995
Guide de jurisprudence du tribunal administratif dans le domaine environnemental et urbain - Applications jurisprudentielles des dispositions du Code des Collectivités Locales dans le domaine environnemental de la Fondation Heinrich Böll
De nombreuses décisions…
Le 31 octobre 2019, la page officielle du bar Yüka publie une déclaration sarcastique sur Facebook : “Malgré la nouvelle déco surprise spéciale Halloween découverte ce matin, le Habibi, le 117, le Jobi et le Yüka restent ouverts !”. Le décor d’Halloween en question faisait référence à des tas de béton démolis sur la plage, résultant de l’application d’une décision de démolition de leurs constructions sur le domaine public maritime. Cette campagne de démolition menée par les unités de la Garde maritime à Gammarth, sous la supervision de la municipalité de La Marsa, a ciblé plusieurs établissements touristiques de la région, dont l’Ardjan, pour des infractions constatées.
L'exécution de la démolition contre ce dernier faisait suite à une série d'inspections et de décisions datant de 2017. À cette époque, la municipalité de La Marsa avait dressé un procès-verbal de violation contre Ardjan, suivi d'une décision de démolition le 28 juillet de la même année. Le gouverneur de Tunis avait également appuyé cette mesure en émettant un arrêté de démolition le 28 novembre 2017, mettant en évidence l'appropriation de 200 m² et la construction d'un espace couvert par le complexe sur le domaine public maritime.
La portion de l’Ardjan détruite par les autorités ne représente qu’une partie de la zone présente sur le domaine maritime. L’année suivante, à l’été 2020, une nouvelle campagne d’inspection est lancée, à l'initiative de l’APAL et du secteur maritime de la Garde nationale.
Il en résulte deux décisions de destruction, émises par le gouvernorat, les 19 juin 2020 et le 22 juillet 2020. Deux rappels de décision sont ensuite issus le 4 août, dont le deuxième évoque une "surface estimée à environ 18.000 m²".
En seulement 46 jours, ces décisions de démolition ont été signifiées quatre fois à Gest Hotel.
Ces deux documents, datés du 4 août 2020, sont des rappels de deux décisions de démolition émises au cours du même été.
Face à l’intensification de la campagne, la société Gest Hotel réagit. Le même jour que les deux rappels, la société envoie un courrier au gouverneur indiquant : “Nous avons l’honneur de vous informer que nous avons appliqué votre décision de destruction Numéro 01/2020 (...) en procédant au démontage d’une surface de 913m²”. Cette missive semble être une réponse à la première décision de démolition, qui ne mentionne pas la surface de 18.000 m².
Cliquez sur les points colorés pour identifier le type de procédure et accèder au document s'il est disponible :
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houssem
Lien du document…mais des démolitions limitées
Malgré la bonne volonté affichée de Gest Hotel, force est de constater que la zone démontée par Ardjan est quasiment 20 fois inférieure à la superficie non conforme indiquée par le gouvernorat. Après réception du courrier de Gest Hotel, le gouverneur de Tunis a rédigé une lettre à Moez Bouraoui, maire de La Marsa à l'époque, afin de solliciter "l'autorisation des services compétents pour inspecter les actions du contrevenant et fournir des conclusions dans les plus brefs délais".
Selon le Code des collectivités locales, la mairie est censée être la première institution responsable de faire appliquer les arrêtés de démolition à travers l'entité de sécurité publique territorialement compétente. Pourtant, les avis de démolition concernant le complexe n’ont pas été mis en œuvre alors même que d’autres interventions ont eu lieu.
Rien qu'en 2020, inkyfada a répertorié au moins 11 interventions de la police municipale à La Marsa dans le cadre de l'application de décisions de démolition dans la région*. Aucune de ces interventions de la police municipale ne concernait le complexe Ardjan.
Pour Yvette Rechichi, si ces décisions n’ont pas été appliquées, c’est en raison de la situation spécifique d’Ardjan. “ Effectivement, on a eu un avis de destruction de toute la surface qui est dans le domaine maritime, à peu près un hectare, mais qui n'a pas été appliqué, parce que justement, on fait partie des 804 cas en attente de régularisation”, estime Yvette Rechichi.
inkyfada a sollicité le ministère de l'Intérieur pour avoir la version des autorités sur cette affaire. En réponse, le ministère a brièvement répondu indiquant que "l'Agence de Protection et d'Aménagement du Littoral de Tunis et de l’Ariana a mis en œuvre le 19 août 2020 la décision de démontage numéro 01 émise par le Gouverneur de Tunis le 19 juin 2020", sans fournir de détails sur les autres décisions de démolition.
De son côté, l'APAL rappelle que "l'exécution des décisions de démolition ne relève pas de la compétence de l’Agence". Cette responsabilité incombe aux autorités régionales et locales. Également interrogé à ce sujet, le ministère de l’Intérieur n’a pas communiqué de réponse à inkyfada.
Un pouvoir local impuissant
En 2019, seule année où une portion du complexe Ardjan a effectivement été détruite, Slim Meherzi était maire de La Marsa par intérim. Dans une entrevue accordée à inkyfada, ce dernier explique sa décision de démolir une partie de la propriété d'Ardjan : la non-régularisation de la situation légale liée à l'exploitation de la plage et les constructions illégales. Il mentionne que la municipalité a tenté à plusieurs reprises de régulariser la situation avec l'hôtel, mais ce dernier n'a pas répondu à ses correspondances et n'a montré aucune intention de respecter les obligations requises.
Pourtant, une semaine avant la mise en œuvre de la démolition, Slim Meherzi décide de démissionner, arguant de son incapacité à faire respecter la loi dans la ville. Il dénonce un niveau excessif de spéculation immobilière, de clientélisme et de favoritisme prévalant dans la ville. Dans son entretien avec inkyfada, il donne notamment pour exemple le complexe Ardjan.
Lors d'une entrevue avec Radio Shems FM, l'ancien maire, confronté à des difficultés pour faire appliquer ses décisions contre les contrevenant·es, explique qu'il y a un "problème majeur au sein de la police municipale" et que “c’est elle qui décide quand les décisions doivent être exécutée”. Selon Meherzi, la police municipale est conçue de manière "à éviter l'application équitable de la loi pour tous”. "Dans une ville comme La Marsa, le corps de la police municipale est composé de quatre agents, dont deux travaillent dans des bureaux”, dénonce-t-il.
“C’est une injustice que les décisions que nous avons prises à propos des démolitions sur les plages n’aient pas été mises en œuvre”, déclare-t-il sur Shems FM.
Le corps de la police municipale accomplissait ses missions sous la supervision des centres de la police municipale et de la Garde nationale, ainsi que sous la direction des maires. Cependant, la circulaire numéro 9 de l'année 2013 a exclu le maire de cette supervision. Un rapport publié par le Médiateur administratif en 2016 conclut que "l'inclusion des agents de la police municipale dans la sécurité publique sans être soumis à la supervision des maires des collectivités locales a privé ces derniers de l'efficacité nécessaire pour intervenir et imposer l'ordre". Bien que le maire soit la première autorité responsable des règlements municipaux selon la loi, il a été dépouillé de son autorité sur le terrain.
"Même si la municipalité prend des décisions de démolition, elles ne sont pas exécutées et restent lettre morte", poursuit le rapport.
La complexité des compétences entre les autorités locales et centrales, due à la multiplicité des intervenant·es dans l'émission et l'exécution des décisions de démolition, engendre des dysfonctionnements. Cependant, cela n'altère en rien la validité des décisions, car, comme le confirme l'APAL, "les procès-verbaux d'infraction et les décisions de démolition demeurent en vigueur tant qu'elles ne sont pas exécutées".
La législation sur les collectivités locales souligne clairement que "ne pas prendre de décisions de démolition ou ne pas les exécuter par l'autorité compétente est considéré comme une erreur grave, entraînant des responsabilités".
Les problèmes soulevés par la propriété d'Ardjan dans sa relation avec la municipalité de La Marsa vont au-delà des limites de la propriété publique maritime. Cela concerne également le parking adjacent au complexe. La société Gest Hotel a obtenu un contrat d'exploitation de cet abri auprès de la municipalité, dans des circonstances particulières, suscitant de nombreuses interrogations.
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Un parking bien rentable
Sur le chemin menant au complexe Ardjan, de nombreux véhicules sont alignés le long des trottoirs et en face de l’établissement, voire même dans la forêt avoisinante. Des individus vêtus d’uniforme jaune s’approchent de chaque voiture se dirigeant vers le complexe. Leur mission : guider les conducteurs vers des emplacements de stationnement non aménagés puis leur demander de payer 5 dinars en contrepartie de ce service.
Un autre parking, à l'intérieur, est accessible mais pour s’y garer, les client·es devront débourser le double, 10 dinars par place. Selon les estimations approximatives d’inkyfada, qui s’est basée sur Google Earth, ce parking intérieur pourrait accueillir, au maximum de sa capacité, environ 200 voitures. À l’extérieur, la capacité du parking est estimée à au moins 400 places, sans compter les véhicules stationnant sur le trottoir ou dans les zones non réglementaires.
Si, à un instant T après 20h, les deux parkings sont au maximum de leur capacité, ils rapportent ainsi un minimum de 4000 dinars. En comptant les va-et-vient tout au long de la nuit, les revenus générés par le parking se comptent en milliers de dinars.
Ces recettes importantes sont difficiles à tracer, car les agents de stationnement ne délivrent pas de reçus de paiement. Lors de la visite de l'équipe d'inkyfada au complexe, l'agent a refusé de fournir un reçu après le paiement, déclarant que "quoique vous fassiez, personne ne vous donnera de reçu, même si vous parcourez tout Gammarth." Interrogée à ce sujet, Yvette Rechichi a admis être “pour l’idée de mettre un système de reçus, ou de faire installer des machines” pour organiser la gestion de l’espace.
À qui reviennent ces gains ? Le parking interne, à 10 dinars, appartient au complexe Ardjan, qui en récupère les recettes. À l’extérieur, par contre, le parking est la possession de la municipalité de La Marsa. Cette dernière a conclu une entente de gré-à-gré avec Gest Hotel qui loue cet espace.
Selon un exemplaire du contrat signé le 15 juin 2022, par le représentant légal de Gest Hotel Ardjan et de la municipalité de La Marsa, obtenu par inkyfada, la location du parking revient à 60.000 dinars annuels. Selon Mohamed Ali*, un habitant de la région qui a travaillé dans le secteur, cette somme semble dérisoire en comparaison des profits générés par le parking.
De plus, la même année, un citoyen aurait proposé un contrat d'une valeur plus élevée, atteignant les 100.000 dinars, affirme une source sous couvert d'anonymat. Cette offre a été accompagnée d'un chèque d'une valeur totale de 250 000 dinars, couvrant plusieurs parkings, dont celui utilisé par Ardjan, à l’extérieur du complexe.
Selon la loi, pour établir ce type de contrat, il est nécessaire de passer par un appel d'offres public. D’après Yvette Rechichi, “quand vous avez un parking devant une entité commerciale comme un hôtel, l'hôtel est prioritaire”. “Donc la municipalité nous propose le parking à nous, et si jamais on refuse, à ce moment-là ça passe dans une espèce d'appel d'offres”, rapporte-t-elle.
Selon les régulations, les conditions d'octroi de concession ne permettent cette procédure que dans des situations spécifiques, telles que des impératifs de sécurité publique ou des cas d'urgence visant à garantir la continuité du service public. Selon Yvette Rechichi, le cas d’Ardjan rentre dans ces critères sécuritaires : “on veut garantir que les gens retrouvent leur voiture dans l’état où ils l’ont laissée”.
Mais pour plusieurs riverains, cet accord ne passe pas. Selon Mohamed Ali, “les contrats ont commencé à être attribués de gré-à-gré avec les hôtels de la région. L’appel d’offre se limite désormais aux parkings situés près de la plage.” Déjà en 2021, des mouvements citoyens appellent à plus de transparence dans le domaine de la location de parkings.
Un an plus tard, le 10 janvier 2022, 16 personnes du secteur ont signé une pétition visant à ouvrir “l'accès à tous les parkings des hôtels et restaurants par le biais d'un appel d'offres public, avec la participation de tous.”
La pétition dénonçait la sous-location des contrats à des prix exorbitants à des parties tierces. Confrontée, la gérance de Gest Hotel affirme “ne pas avoir eu vent de la pétition” et indiqué ne pas sous-louer le parking. “On gère le parking directement à travers des gens qui travaillent sur le parking, qui ne sont pas nos employés, avec lesquels on a une entente, on va dire” révèle Yvette Rechichi. “On préfère choisir avec qui on travaille et leur dire comment faire leur travail correctement”.
Quand on lui évoque le fait qu’une place de parking est généralement facturée 5 dinars au lieu des 1 ou 3 dinars* prévus dans le contrat, Yvette affirme prendre en compte les plaintes des client·es et “parler tous les jours aux gens du parking. On a aussi dit à la municipalité : c’est votre parking, posez des indications ou une machine pour les tickets”, raconte-t-elle.
Depuis le 19 octobre, le parking à l’extérieur à l’Ardjan, habituellement rempli, est désormais quasiment vide. Même si d’après Yvette Rechichi, les client·es peuvent entrer et consommer sans alcool, les restaurants, bars et magasins sont résolument fermés, tout comme le portail. Mais la gérante reste malgré tout “confiante, très confiante” sur la réouverture du complexe. Malgré les irrégularités cumulées, du parking à la plage en passant par les bars, elle assure que la situation est en cours de régulation. Une affaire à suivre.