Même si le lien direct entre cet épisode précis et le changement climatique est difficile à établir, une chose est sûre : “ des catastrophes comme celle-ci, il y en aura d’autres, bien plus grandes”, avance Nidhal Attia, membre de la délégation tunisienne à la COP26 de Glasgow. Pour chaque degré celsius additionnel enregistré, les épisodes de précipitations quotidiennes extrêmes s’intensifient d’environ 7%*, révèle le dernier rapport du GIEC publié en août 2021.
“Face à ces menaces climatiques, on n’a pas le choix, il faut se préparer et donc s’adapter”, prévient le délégué tunisien. L’adaptation rassemble toutes les mesures qui visent à réduire l’exposition et la vulnérabilité des pays et populations aux effets du changement climatique, en bâtissant des sociétés plus résilientes face aux menaces. Le financement de cette adaptation est un des sujets les plus épineux de la COP26.
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“S’adapter c’est se protéger. La Tunisie n’est pas prête”
Pour faire face aux conséquences du changement climatique, il ne s’agit pas seulement de bâtir des digues contre l’élévation du niveau de la mer, explique Nidhal Attia. “ Il faut que les nouveaux projets d’infrastructures prennent en compte le climat, que nos routes, nos réseaux électriques, notre agriculture soient prêts à survivre aux vagues de chaleur et aux inondations”. Il s’agit aussi de préparer les populations à réagir face aux extrêmes climatiques : “Pendant les records de chaleur cet été, on s’est comportés comme si les températures étaient normales, alors qu’on a perdu des vies à cause de cette vague”.
À ce jour, aucun plan d’adaptation n’a été mis sur pied en Tunisie, seulement une stratégie nationale de résilience. “Nous demandons des fonds pour pouvoir nous adapter au changement climatique, mais nous n’avons aucune vision concernant ce sujet, c’est paradoxal”, soulève Nidhal Attia. “Tout ça nécessite un renforcement de capacités”, justifie Mohamed Zmerli, chef de la délégation tunisienne à Glasgow.
Une autre contradiction émerge : alors que la Tunisie est un pays très faiblement émetteur d’émissions carbone - 0,07 % des émissions mondiales - le pays s’est engagé, à travers sa dernière Contribution Déterminée au Niveau National, dans une lutte drastique contre son intensité carbone, moins 45% d’ici 2030.
Conséquence : la majeure partie des besoins estimés sont dirigés vers l’atténuation (réduction des émissions), et non l’adaptation, dont la part s’élève à seulement 20% du budget estimé. “Ce déséquilibre est injustifiable”, s’emporte Nidhal Attia. “Nous ne sommes pas prêts à faire face à ce qui nous attend, mais on continue à faire semblant”.
Faire appliquer la dette climatique
Pour financer cette adaptation, les besoins sont immenses : le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) évalue les coûts de l'adaptation des seuls pays en développement à près de 300 milliards de dollars par an d'ici à 2030 et à près de 500 milliards d'ici à 2050.
“Les pays vulnérables sont en première ligne des dérèglements climatiques causés par le développement des pays du Nord. Ces États ont une dette envers nous, c’est une question de justice climatique”, défend Nidhal Attia.
Il y a douze ans, lors de la COP15 à Copenhague, les pays riches s’étaient engagés à rassembler 100 milliards de dollars (financements publics) par an d’ici 2020, pour aider les pays en développement à s’adapter face au changement climatique. Plus de 10 ans après, “le compte n’y est pas”, constate amèrement le Climate Vulnerable Forum, qui regroupe 48 pays vulnérables aux conséquences du changement climatique, dont la Tunisie.
En 2019, les pays riches ont seulement fourni 79,6 milliards de dollars d’aide climat aux pays en développement, les deux tiers en faveur de projets de réduction des émissions, faisant de l’adaptation un “domaine orphelin”, comme le déplore Nidhal Attia.
Aujourd’hui, ces pays doivent rendre des comptes. À Glasgow, la question du financement de l’adaptation est considérée comme “l’enjeu majeur de ce rendez-vous mondial”, du point de vue des pays africains, parmi les plus vulnérables au changement climatique alors qu’ils n’émettent qu’à peine 3 % du gaz à effet de serre produit dans le monde.
Les pays vulnérables cherchent aussi à faire reconnaître les “pertes et préjudices” qu’ils subissent à cause du déchaînement des éléments, dont les coûts sont estimés entre 290 et 580 milliards de dollars par an d’ici 2030. Entamées dès le début de la COP26, le 31 octobre 2021, les négociations demeurent tendues.
Financement climatique : le nerf de la guerre
Ce sujet technique cristallise à lui seul les enjeux sensibles que rassemble cette COP : les questions d’inégalités entre pays développés et pays en développement face au dérèglement de la planète, les responsabilités “partagées mais différenciées” vis-à-vis du climat et donc de la dette des pays du Nord envers ceux du Sud…
"Parler de l'adaptation, c’est ce qui nous permet de lutter contre les inégalités. Nous ne pouvons pas trouver de solutions au changement climatique sans nous attaquer à la question des inégalités", a tonné Andrea Meza, ministre de l’Environnement et de l’énergie du Costa Rica, “championne de l’adaptation”, le 8 novembre 2021.
Depuis le début des débats, les partis s’affrontent sur ce point épineux. “Le gros problème, c’est que les pays ne se sont toujours pas mis d’accord sur une définition claire de la finance climatique”, explique Adel Ben Youssef, un habitué des négociations climatiques et membre de la délégation tunisienne. “Les pays du Nord sont très réticents à donner une définition, ce flou les arrange”.
Jusqu’à présent, les États-Unis et d’autres États occidentaux peinent à reconnaître leur responsabilité historique dans les dommages climatiques et font blocage au niveau juridiques. D’après une source qui a accès aux négociations, l’Union européenne ferait également barrage, considérant que la question du financement est “problématique étant donné qu’il n’existe pas de plan global d’adaptation”. “Mais ils ont tout fait pour que ce plan ne voie pas le jour”, affirme la même source.
La position des pays en développement, notamment celle du Groupe africain est quant à elle ferme : ce financement doit être sous forme de dons, non de prêts, et doit provenir des finances publiques.
“Jusqu’à présent, la plupart des transactions pour le climat se sont faites sous forme de prêts, ce qui endette encore plus les pays qui les reçoivent. Or, il s’agit d’une dette que certains pays ont envers ceux qui n’ont pas provoqué le changement climatique et qui sont ses premières victimes”, défend Adel Ben Youssef. Pour lui, l’argent doit aussi absolument provenir des finances publiques, le secteur secteur privé ayant sa part d’imprévisible et pouvant “couper le robinet à tout moment”.
Le brouillon de la décision finale pour la COP26 a été rendu public le 9 novembre 2021. Celui-ci appelle les pays développés à accroître d’urgence leurs offres de financement pour l’adaptation. Tout peut encore se jouer dans les deux prochains jours.