SACS EN PLASTIQUES ONT ÉTÉ MIS EN CIRCULATION DEPUIS LE DÉBUT DE LA LECTURE DE L'ARTICLE
Une collecte coûteuse
Le plastique occupe une grande place dans la collecte des détritus. Selon un rapport de la GIZ datant d’avril 2014, il équivaut à 11% des déchets ménagers et se place en deuxième position après les déchets organiques. “4400 tonnes de déchets plastiques” ont été collectés au premier semestre 2016, explique Tarek Mrabet, directeur de la communication de l’ANGed.
“L’objectif pour cette année est d’atteindre les 10.000 tonnes”.
L’agence rachète actuellement à 500 millimes le kilo de sacs en plastique aux collecteurs, pour ensuite le revendre 100 millimes aux industriels recycleurs.
“C’est léger, et pour le poids ce n’est pas encourageant. Ça n’intéresse ni ceux qui collectent, ni ceux qui recyclent.” déplore Tarek Mrabet, “Mais nous nous sommes dans l’obligation de continuer à collecter les sacs, bien qu’au niveau du prix de collecte, il n’y ait pas vraiment de grand intérêt.”.
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En attendant, les déchets continuent d’être ramassés par la municipalité, les barbécha, et le programme Eco-Lef. Ce programme mis en place depuis 2001 est sous la tutelle de l’Agence nationale de la gestion de l’environnement et des déchets (ANGed) et géré par l’Agence nationale de protection de l’environnement (ANPE). Il consiste à demander aux industriels tunisiens une cotisation de 5% du prix d’importation du plastique, pour permettre la prise en charge du recyclage de leurs déchets.
Opposition des industriels
“J’ai sept machines. Pourquoi l’Etat m’a autorisé à importer ces machines si c’est pour faire cette loi? Si je dois les changer, je vais perdre de l’argent”. Yassine Ben Sedrine est le manager de la société JPlast, une usine spécialisée dans la sacherie. Le plastique, c’est une affaire de famille. A l’origine, son grand-père avait créé l’entreprise Coplacel, également spécialisée dans le plastique qu’il a ensuite divisée pour créer notamment JPlast.
Installé derrière son bureau, le manager est inquiet. Si le texte est adopté, les industriels auraient un délai d’un an pour s’adapter aux nouvelles normes de production, c’est-à-dire fabriquer des sacs en plastique biodégradables et plus épais pour éviter qu’ils ne s’envolent, selon Hedi Chebli, directeur de la qualité de vie au sein du ministère de l’Environnement.
L’Union tunisienne de l’industrie, du commerce, et de l’artisanat (UTICA) essaye de négocier une prolongation du délai d’adaptation. Depuis l’annonce de cette future loi, JPlast n’a pas perdu de clients, mais le manager pense que cela ne saurait tarder.
“Certains clients, juste à cause de l’annonce de cette loi, commandent moins, de peur de se retrouver avec des sacs plastiques non conformes au prochaines normes tunisiennes”, assure Yassine Ben Sedrine.
Selon lui, le problème de la pollution des sacs en plastique ne vient pas des industriels. “L’UTICA parle de 80% de contrebande sur le marché tunisien. Uniquement sur le mois de mai, 40 millions de sacs plastiques sont arrivés illégalement d’Algérie !”, assure-t-il. “Cette loi vise les industriels tunisiens, mais n’empêchera pas la contrebande et sa pollution”.
JPlast compte 25 ouvriers dont le travail pourrait être menacé si la loi était adoptée. “Niveau emploi, c’est une catastrophe. La production va diminuer car nous aurons moins d’acheteurs. Je pense qu’on va avoir besoin de seulement un cinquième des effectifs”, estime-t-il. “(Le gouvernement) ne pense pas au fait que le plastique en Tunisie c’est 15.000 emplois directs, 15.000 indirects, mais aussi 80.000 emplois liés à ce marché. Cette loi va détériorer plus d’emplois qu’en créer”.
Son agacement ne s’arrête pas là. “Nous cotisons 5% pour l’Eco-Lef à chaque importation de plastique”, raconte-t-il. “Cette somme doit financer des emplois décents pour la collecte des déchets. Ils récupèrent 23 millions de dinars par an (toujours selon l’UTICA), ce qui permet largement de couvrir 100% de déchets plastiques du pays, contrebande incluse”.
23 millions de dinars par an? Une estimation revue largement à la baisse par l’ANGed qui chiffre à environ 13 millions de dinars par an le budget d’Eco-lef provenant de la cotisation des industriels. “Il n’y a pas de budget annuel pour l’Eco-lef, mais une redistribution faite par le gouvernement”, précise Tarek Mrabet.
L’UTICA et les industriels ont débuté des négociations avec le ministère pour trouver un accord sur le délai d’adaptation des entreprises plastiques au biodégradable.
“Il n’y a pas de tri ni de collecte mis en place”
Houssem Hamdi est le président de l’association Tunisie Recyclage, qui existe depuis 2012. Cet écologiste dans l’âme pense que c’est un travail de sensibilisation de la population qu’il faudrait entamer avant de mettre en place cette loi. “C’est flou. Il n’y a pas de démarche, ni de stratégie. Mais je suis de conscience écologique donc je suis pour qu’on bannisse ces sacs là”. La Tunisie “veut être à la page, on veut bannir les sacs, mais (les personnes du ministère) ne nous ont jamais contactées, nous les associations”. Pourtant, ces associations de recyclage contribuent à leur échelle au tri des déchets. “On n’a pas pensé au plastique qui traîne, il n’y a pas de tri ni de collecte mis en place”.
Le seul lien que l’association d’une trentaine de personnes (employés et bénévoles confondus) entretient avec le ministère de l’Environnement, se situe au niveau de l’ANGed.
“Ce n’est pas vraiment une collaboration. Ce ne sont pas des projets communs. On leur vend juste le plastique que l’on a récolté”, explique Houssem Hamdi.
Pour lui, le ministère ne traite pas le problème dans le bon sens. “Dans notre association, on fait la collecte et le tri. Dans les écoles, on fait de la sensibilisation au recyclage. C’est par ça qu’il faut commencer”.
Houssem Hamdi estime aussi que la pollution des sacs en plastique est plutôt minime et que le ministère devra “sûrement étendre sa politique antipollution à d’autres choses, comme les bouteilles en plastiques”.
Une source de revenus en moins
Hassen Bouallegue est collecteur mais également trésorier de l’association “Barbécha de Tunisie”. Il a lui-même exercé le métier de barbéch (chiffonnier) dès l’âge de 11 ans pour aider son père, et ce jusqu’à l’âge de 28 ans. Les barbécha ramassent les déchets recyclables, pour ensuite les revendre à des collecteurs. Ces derniers revendent ensuite les matériaux collectés à des usines, qui procèdent à la transformation des déchets.
Pour les chiffonniers, vivre du ramassage du plastique est difficile. “Le kilo de bouteilles en plastique est à 250 millimes… et le kilo de sachets est à 300 millimes. Le prix est trop bas. Il faut ramasser beaucoup pour arriver à un kilo. Ce n’est pas rentable”, explique Hassen Bouallegue.
“Si le prix atteignait 1 dinar, 1 dinar 500, on les ramasserait. Vous ne verriez plus l’ombre d’un sachet. Il faut augmenter leur valeur”.
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Samy Slim, barbéch et membre de l’association Barbécha de Tunisie confirme. “Déjà qu’avant on vendait le kilo de bouteilles en plastique à 700 millimes, maintenant on les vend à 250, ça ne paye plus”. “Mais à côté de cela, la municipalité reconnaît notre rôle et nous dit que sans nous ils auraient beaucoup plus de problèmes”, précise Hassen Bouallegue.
“C’est nous qui ramassons les sacs en plastique. On les collecte avec nos brouettes, ça ne nous arrange pas qu’on interdise les sachets ou le plastique”, s’inquiète Samy Slim.
Comme les chiffonniers travaillent dans le secteur informel, il n’est pas simple pour eux de revendre les sacs en plastique. “Les barbécha n’ont pas le droit de vendre directement à l’ANGed, il faut qu’ils passent par un collecteur agréé”, explique Tarek Mrabet, directeur de la communication de l’ANGed.
Faute de répondre à tous les critères, Hassen Bouallegue se débrouille autrement. “Moi, je respecte le cahier des charges de l’ANGed mais je n’ai pas l’autorisation. (Elle) n’est donnée qu’aux diplômés du supérieur qui n’ont parfois aucun rapport avec le métier de recyclage. Donc comme l’ANGed n’accepte pas nos collectes, je ne distribue qu’aux usines privées.”, dit-il.
“Nous sommes au courant de cette loi et nous sommes contre. Ils vont nous couper notre source de revenus”, reprend M. Bouallegue.
Changer les comportements
Pour le manager de JPlast Yassine Ben Sedrine, c’est le comportement des Tunisiens qui doit évoluer. “Le citoyen a son mot à dire, son rôle à jouer pour ne plus continuer dans le même processus (…), adopter un meilleur comportement, un comportement qui soit respectueux de l’environnement, c’est une question de temps…”.
“La logique des choses, c’est d’abord de sensibiliser les citoyens”, souligne Houssem Hamdi, président de Tunisie Recyclage, “il faut diminuer leur consommation”.
Mais le collecteur Hassen Bouallegue affirme qu’au fil des ans, il n’a pas vu d’évolution notable dans le comportement des citoyens vis-à-vis de la pollution plastique. “Il n’y a pas de changement, les sacs en plastique sont toujours dans les rues”.
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“Les gens utilisent ces sacs de caisse comme sacs poubelle, et ça fonctionne. On en fait un usage quotidien”, explique Yassine Ben Sedrine. “Le prix des sacs plastiques va tripler en passant au biodégradable. Et c’est le consommateur qui va en subir les conséquences”.
Une application difficile
La pollution plastique est omniprésente dans le paysage tunisien. Le ministère chiffre à un milliard le nombre de sacs en plastique en usage pendant l’année 2015. C’est à partir de ce constat que le ministère de l’Environnement a annoncé sa volonté d’en limiter la production, à travers un texte de loi.
Hédi Chebili, directeur de la qualité de vie auprès du ministère affirme qu’il faudrait arrêter d’utiliser des sacs en plastique à usage unique, et leur préférer des sacs en textile, à usages multiples, ou encore biodégradables. “On ne veut pas que ces sacs volatiles continuent d’exister une fois le texte promulgué, et le délai d’adaptation passé”. Leur plastique devra être biodégradable pour le respect de l’environnement et plus épais pour qu’ils volent moins et pour faciliter la collecte et le recyclage.
“Il faut modifier la production et donc les fabricants. Il faudra qu’ils se mettent aux nouvelles normes”.
En discussion depuis décembre 2015, le projet de loi est encore en cours d’élaboration au sein du gouvernement. En Afrique, la Tunisie n’est pas le premier pays à tenter un tournant écologique en limitant la production des sacs en plastique.
Le Maroc tente lui aussi de réduire cette pollution: depuis le 1er juillet, il est interdit de fabriquer des sacs en plastique non dégradables ou non biodégradables. En réalité, le royaume laisse jusqu’à quatre ans aux industriels pour se mettre en règle. Le pays a débloqué 200 millions de Dirhams pour aider le secteur plastique, mais peu d’entrepreneurs l’ont souscrite jusqu’à présent. Entretemps, plusieurs campagnes de collectes sont menées parallèlement par des associations de recyclage et des citoyens en vue de la COP22 qui aura lieu en novembre 2016.
En attendant l’adoption d’un texte et une application qui s’annonce longue et difficile, les sacs en plastique ne risquent pas de disparaître de sitôt du paysage tunisien.