Retrouvez le premier épisode du podcast "Femmes en sursis, de l'emprise au féminicide" sur inkyfada podcast .
L’affaire est médiatisée et le hashtag #her_name_is_refka_cherni se propage sur les réseaux sociaux. Cette affaire remet sur la scène publique le débat concernant les violences conjugales et l’absence de garanties juridiques effectives, assurant la protection des femmes violentées.
Juste après le dépôt de sa plainte, le 7 mai au soir, Refka téléphone à Karima Brini, présidente de l’association “Femmes et Citoyenneté” au Kef, dans l’espoir d’obtenir des conseils et un accompagnement. Cette dernière la prend alors en charge et tente de l’aider autant que possible.
Le 9 mai 2021, jour de la mort de Refka, Karima Brini publie un post Facebook où elle exprime sa colère contre les pouvoirs publics et leur défaillance dans la prise en charge de la défunte.
Ce communiqué suscite alors de nombreuses réactions et des témoignages de solidarité. Il est massivement partagé sur les réseaux sociaux. Les internautes espèrent inciter l’Etat à adopter des mesures plus fermes de lutte contre les violences faites aux femmes. L’histoire de Refka devient une affaire d’opinion publique.
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Refka n’est pas la première et ne sera certainement pas la dernière victime de violences conjugales, tant que des changements n'ont pas lieu au niveau législatif et sur le plan pratique. Mais la médiatisation de son histoire signifie au moins qu’elle ne sera pas oubliée et ne deviendra pas un simple chiffre comme ce qui arrive habituellement aux autres victimes.
En 2017, la parole des femmes autour des violences et agressions sexuelles s’est notamment libérée via les réseaux sociaux à travers le hashtag #me_too. Le hashtag #ena_zeda, lancé par un groupe féministe indépendant en 2019 pour exposer les agresseurs sexuels en Tunisie a également contribué à briser le mur du silence autour des agressions et des violences contre les femmes. Ainsi, les victimes ont pu découvrir qu’il existe des femmes autour du monde dans des situations similaires ce qui leur a permis d’éprouver un sentiment de solidarité à leur égard et d’avoir le courage de dénoncer leurs propres agresseurs.
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Selon l’Observatoire National de Lutte contre la Violence à l’Égard des Femmes, le nombre de plaintes pour violences de tout type a augmenté ces dernières années. De janvier à octobre 2021, le Ministère de la Famille, de la Femme, de l'Enfance et des Personnes Âgées a recensé 1225 appels pour violences contre des femmes sur son numéro vert - ce qui représente un quart de la totalité des appels. Parmi ces 25%, 75,5% sont liées à des violences conjugales, selon l’Observatoire.
inkyfada a effectué une demande d’accès à l’information auprès du ministère de l’Intérieur et du ministère de la Justice pour obtenir des chiffres officiels concernant les violences faites aux femmes et les féminicides.
Entre janvier et juin 2021 - selon le Ministère de l’Intérieur - 10 823 femmes ont subi des violences physiques, 6 079 des violences verbales, 725 des violences sexuelles et 1 167 des violences économiques. Toutefois, ces données ne reflètent pas du tout la réalité, car de nombreuses victimes n’osent pas porter plainte.
Le ministère de l’Intérieur ne dispose pas de chiffres sur les féminicides. Le ministère de la Justice n’a toujours pas répondu.
Au vu de l’absence de statistiques officielles sur les féminicides en Tunisie, inkyfada a effectué un comptage des victimes à l’aide des affaires qui ont été médiatisées. La rédaction en dénombre 10 pour l’année 2021.
La loi 58, promulguée par le Parlement tunisien en 2017, et visant à lutter contre les violences faites aux femmes, ne semble pas être suffisamment appliquée. Cette loi, publiée après un long processus de lutte féministe, présente de nombreuses dispositions pénales importantes en matière de protection des victimes et reste l’une des meilleures à l’international, comme l‘affirme l’avocate Hela Ben Salem. Néanmoins, “la loi seule est insuffisante car la lutte contre ces violences suppose de l’entraide et la mise en place d’une stratégie nationale pour consacrer la culture des droits humains”, explique l’avocate.
“Nous constatons aujourd’hui une intensification de la violence. Selon les statistiques de l’année 2020/2021, les violences ont été multipliées par 7. Le nombre croissant d’homicides envers des femmes nous pousse à tirer la sonnette d’alarme concernant l’application des mesures de protection de la loi 58”, ajoute-t-elle.
Hela Ben Salem insiste sur l’importance d’utiliser ces procédures protectrices mises à disposition des victimes, en déclarant : “cette responsabilité incombe aux juges de la famille, ainsi qu’au parquet et aux officiers de la police judiciaire qui accueillent les victimes souhaitant porter plainte et qui doivent leur fournir toutes les mesures de protection adaptées au type de violences subi par elles et leurs enfants.”
Toujours selon l’avocate, il est primordial de former les juges à la loi 58 et à la notion de cercle de violence afin qu’ils et elles puissent détecter ce type de situation. Cette dernière affirme que cela pourrait alléger la pression subie par les victimes, les poussant parfois à retirer leur plainte comme ce qui a eu lieu pour Refka Cherni.
Dans sa série “ Femmes en sursis, de l’emprise au féminicide”, inkyfada podcast a donné la parole à des proches de victimes de féminicides et à des survivantes de violences conjugales qui racontent leurs souffrances et la manière dont elles ont échappé à une mort qui semblait inévitable.
Le premier épisode du podcast revient sur l’affaire de Refka Cherni et les violences qu’elles subissaient de la part de son mari, racontées par un membre de sa famille, Karima Brini, l’avocate chargée du dossier ainsi que l’ancien chef d’unité de police spécialisée chargée d'enquêter “sur les infractions de violence à l’égard des femmes” au Kef.
Les épisodes deux et trois du podcast détaillent les histoires de deux survivantes, qui ont réussi à se sauver d’une mort certaine. Amira décrit lors du second épisode les violences qu’elle a endurées de la part de son mari pendant leur 16 ans de mariage, le jour où elle a pris la décision de s’enfuir avec ses enfants et la manière dont la justice a traité son cas. Dans le troisième épisode, les enfants de Souad racontent les violences quotidiennes que leur mère et eux-mêmes ont subi de la part de leur père. Un jour où son mari s’apprêtait à violenter une énième fois sa fille, Souad, en la défendant, a tué son mari. Elle a été condamnée à une peine de 20 ans de réclusion.
Le dernier épisode de ce podcast rassemble des experts de diverses spécialités qui discutent des violences basées sur le genre, leurs causes, leurs conséquences, ainsi que les moyens et les solutions à notre disposition pour y remédier.
Ce podcast a pour objectif de mettre en lumière le vécu et l’histoire de ces femmes victimes de violences ayant pour certaines causé leur mort quand d’autres sont parvenues à s’enfuir pour se sauver. Il invite chacun et chacune à comprendre que les féminicides ne sont pas des faits divers isolés mais une conséquence tragique d’une emprise et d’une domination exercée par un homme et entérinée par toute une société patriarcale.
Retrouvez l’épisode 1 de la série “Femmes en sursis, de l’emprise au féminicide” sur inkyfada podcast.
Si vous êtes victimes de violences et que vous souhaitez obtenir de l'aide, vous pouvez appeler le numéro vert mis à disposition par le ministère de la Femme au : 80 10 10 30.