Dans le quartier d’affaires des Berges du Lac, Mourad Ben Chaabane passe des appels et enchaîne les rendez-vous. En quelques années, le directeur général de l’intermédiaire en bourse Mac SA est devenu un incontournable de la Bourse tunisienne. Depuis 2017, il est aussi président de la Bourse à valeurs mobilières de Tunis (BVMT).
Ces deux hommes ont un point en commun : ils ont été au coeur de deux transactions impliquant Tunisair et l’ex-président Zine El Abidine Ben Ali, entre 2008 et 2009 et ont donné leur témoignage. Grâce à ces opérations, l’ex-famille présidentielle a non seulement pu s’offrir un avion flambant neuf, que la compagnie aérienne n’avait, a priori, pas les moyens d’acquérir, mais également obtenir une plus-value de près de 7 millions de dinars grâce à la vente d’actions de l’UIB détenues par Tunisair.
Supervisées par Mongi Safra, l’ancien conseiller économique du président déchu, ces deux affaires entremêlées sont révélatrices d’un système où tout était mis en place pour satisfaire l’ex-président et ses proches. Après la fuite de Ben Ali et d'une partie de sa famille en 2011 et l'adoption de la loi relative à la réconciliation administrative - qui a servi à amnistier d’anciens fonctionnaires de l’administration de faits de corruption qui auraient pu leur être imputés -, aucun·e responsable n’a réellement été sanctionné·e.
Tunisair et les encombrantes actions de l’UIB
2007. L’UIB (Union internationale des Banques) atteint un déficit de 181 millions de dinars. Au sein de Tunisair, Nabil Chettaoui, le PDG, s’inquiète. Il veut vendre les parts que la compagnie aérienne détient dans le capital de la banque. Plus le cours de l’action de l’UIB chute, plus cela risque d’impacter les résultats de Tunisair.
Mais pour pouvoir vendre, Nabil Chettaoui doit absolument obtenir des autorisations officielles. Il faut que la CAREPP (Commission d’assainissement de restructuration des entreprises à participations publiques) donne son feu vert.
Entre août et octobre 2007, le PDG multiplie les courriers au ministère des Transports pour qu’on accède à sa demande. Dans une de ces lettres, il explique que la situation financière de l’UIB présente des risques pour la compagnie.
“L’effet d’une baisse du cours de l’action de seulement 1 dinar en dessous de 10,6 dinars [le prix moyen de l’achat des actions par Tunisair]
entraînera une compensation de la part de la compagnie de presque 1,5 million de dinars”, détaille-t-il.
Mais malgré ces risques, la CAREPP ne donne pas son autorisation. Tunisair est obligée de conserver ses parts alors même que l’action de l’UIB poursuit sa chute. Nabil Chettaoui s'y résigne, pour le moment.
Un caprice présidentiel
Quelques mois plus tard, Nabil Chettaoui fait partie du comité d’accueil de Ben Ali à son retour du sommet de la Ligue arabe le 29 mars 2008. Le PDG de Tunisair raconte qu’au pied de l’avion, il voit le président descendre de son Boeing 737, le visage fermé. Ben Ali se tourne vers lui et se plaint : “l’avion est devenu trop petit”. À côté, un accompagnateur* renchérit et dit “qu’à côté des avions libyen, algérien, égyptien, - tous des A340 -, notre avion paraît minuscule”.
Pourtant le Boeing 737, acquis en 1999, est encore pleinement fonctionnel. Des travaux d’aménagement - nouvelle réception satellitaire, une plus grande télévision, de l’internet haut débit, etc. - à hauteur de 600.000 dollars sont même prévus prochainement. Mais cela n’empêche pas Ben Ali de réclamer un nouvel avion à Tunisair.
“Ben Ali m’a demandé s’il était possible de chercher un avion d’occasion plus grand que l'actuel 737. Un A330 par exemple. Il se trouve qu’à la même époque, Nicolas Sarkozy [alors président de la République française] venait d’acquérir un A330 d’occasion”, raconte Nabil Chettaoui.
Le PDG entame alors ses recherches. Mais malgré ses efforts, impossible de trouver l’avion demandé. “J’ai fait part à Ben Ali de mes difficultés à trouver ce modèle. Il m’a alors dit d’élargir mes recherches”, continue-t-il.
Nabil Chettaoui contacte son vis-à-vis au sein d’Airbus afin qu’il l’aide à trouver la perle rare. Ce dernier finit par lui suggérer un airbus A340 initialement destiné à la compagnie indienne Kingfisher Airlines. En raison de grandes difficultés économiques, la compagnie a finalement annulé son achat. Mais cet avion conçu sur mesure risque d’être difficile à vendre. Ainsi, l’intérêt de Tunisair pour son rachat était une occasion inespérée pour le constructeur. “Je l’ai visité, l’avion était impeccable”, commente Nabil Chettaoui.
Le prix de base de cet appareil s'élève à près de 240 millions de dollars. Après négociations et compte tenu de la situation particulière, Airbus finit par proposer une réduction de 44%. Le prix net d’acquisition sera finalement de 133,5 millions de dollars. Mais c’est sans compter l’aménagement VIP ensuite exigé par le président, s’élevant à environ 58 millions de dollars (38 millions d’euros).
En tout, l’achat et l’aménagement de l’avion coûteront plus de 192 millions de dollars, soit environ 250 millions de dinars.
Trouver les fonds
Airbus et Tunisair commencent alors les négociations. Dans une fiche rédigée par Nabil Chettaoui dans laquelle l’offre commerciale est détaillée, il est indiqué que Tunisair est censée payer un acompte de 50 millions de dollars à la mi-novembre 2008.
À cette période, Tunisair est déjà occupée par une autre transaction : la compagnie est sur le point d’acquérir 16 avions auprès d’Airbus. Elle n’a pas les moyens, dans l’immédiat, d’acheter un nouvel avion présidentiel.
“Mais quand Ben Ali demandait quelque chose, on pouvait dire oui mais jamais non”, justifie l’ancien PDG.
La compagnie a besoin d’un soutien financier pour cet achat. “Ben Ali a accepté et m’a envoyé prendre un crédit à taux zéro auprès de la Banque centrale libyenne”, raconte Nabil Chettaoui. Mais la banque est peu commode quant aux modalités et aux garanties. “On allait devoir hypothéquer jusqu’à la moitié de la flotte de Tunisair !”, s’exclame le PDG.
Pendant ce temps, Airbus s’impatiente. Malgré les difficultés rencontrées par Tunisair, le contrat d’acquisition du nouvel avion est signé le 9 février 2009. Dans un document détaillant le projet d’aménagement VIP de l’A340 et datant du 22 juillet 2009, il est indiqué que la compagnie tunisienne n’a pas payé les acomptes qu’elle devait. Nabil Chettaoui a jusqu’au 5 août pour honorer les engagements de Tunisair, sinon “Airbus entrera en négociation avec un autre acheteur intéressé”.
Le retour des parts de l’UIB
Il est nécessaire de trouver des alternatives. En tant que conseiller économique du président Ben Ali, Mongi Safra est l’architecte des nombreuses affaires financières de la famille présidentielle. Avec lui, Nabil Chettaoui discute des différents moyens de renflouer les caisses de Tunisair.
Nabil Chettaoui raconte qu’après le refus de la Banque libyenne, il a rédigé une note demandant “un certain nombre de mesures nécessaires pour pouvoir financer l’achat de l’avion”. Il demande plusieurs mesures telles que l’exonération de la TVA sur certains achats ou la suppression de la commission des agences de voyage.
“Ce que j’ai demandé pouvait financier l’avion deux fois. À l’époque, Mongi Safra m’a demandé si je comptais acheter American Airlines !” rapporte le PDG.
Toujours d’après Nabil Chettaoui, au cours d’une de ces conversations sur la situation économique de la compagnie, Mongi Safra lui mentionne la possibilité de vendre les actions de l’UIB. Le PDG de Tunisair lui explique qu’il a déjà fait une demande en ce sens deux ans auparavant, mais elle n’a pas abouti. Mongi Safra insiste.
Le 28 juillet 2009, Nabil Chettaoui suit les conseils de Mongi Safra et fait une nouvelle demande. Et cette fois-ci, la CAREPP accepte la vente des parts. À l’époque, Ridha Chalghoum, actuel ministre des Finances, était le président du Conseil du marché financier qui est membre de la CAREPP. Sollicité par Inkyfada, il n’a pas souhaité donner suite aux demandes d’interview.
Malgré les fortes suspicions exprimées par la Commission nationale d'investigation sur les faits de corruption et de malversation de Abdelfattah Amor, mise en place en 2011, Nabil Chettaoui nie le fait que cette demande de vente avait pour but de contribuer à l’achat du nouvel avion présidentiel.
Il n'a pour autant pas donné d'explication supplémentaires relatives à la concomitance des dates entre les négociations avec Airbus et la demande de vente, en plus du fait que le cours de l’action de l’UIB repartait alors à la hausse et était bien plus stable qu’en 2007, ne représentant plus de risques pour Tunisair.
Mais ce n'est pas tout. Si l’ancien PDG se satisfait de cette vente et soutient qu’elle était dans l’intérêt de Tunisair, il se trouve que les bénéficiaires direct·es de la transaction font tous et toutes partie de l’entourage proche du président.
Une vente destinée aux proches de Ben Ali
Dès que l’accord est obtenu, Mongi Safra supervise toute la transaction. Il contacte Mourad Ben Chaabane, directeur de l’intermédiaire en bourse Mac SA pour qu’il s’occupe de la vente.
Contacté par Inkyfada, Mourad Ben Chaabane raconte que le conseiller du président avait déjà toutes les cartes en main : l’autorisation de la CAREPP mais également le nom de trois personnes prêtes à acquérir ces actions. Ces trois acheteur·euses font partie de l’entourage direct de l’ex-président.
Deux de ces acquéreur·euses sont Belhassen Trabelsi et Asma Mahjoub, respectivement le frère et la nièce de Leila Trabelsi, la femme de Ben Ali. Le troisième acheteur est une société nommée SPI (Société Portefeuille Invest) créée en juin 2009 dont les propriétaires sont les deux enfants du président, Mohamed Zine El Abidine Ben Ali et Halima Ben Ali.
Création de la société SPI - aux noms de Mohamed et Halima Ben Ali - et première Assemblée générale désignant Asma Mahjoub en qualité de gérante.
La société SPI a été créée le 24 juin 2009 spécialement pour cette transaction. Le montage a été supervisé dès le départ par Mongi Safra, comme c'est le cas pour de nombreuses transactions au profit de la famille présidentielle, sous couvert de légalité.
Aucun appel d’offres public n’a été lancé pour la vente des parts de l’UIB : tout s’est fait de gré-à-gré, c’est-à-dire avec des acheteur·euses préalablement désigné·es. D’après la réglementation des marchés publics, cette procédure est possible sous certaines conditions pour des transactions particulièrement importantes. “Tunisair ne peut pas les mettre sur la Bourse comme ça, c’est beaucoup trop pour que le marché absorbe !”, assure Mourad Ben Chaabane.
Au total, ces actions coûtent près de 33 millions de dinars. Pour pouvoir les acheter, Belhassen Trabelsi, Asma Mahjoub et la société SPI ont bénéficié d’une ligne de crédit de l’Arab Tunisian Bank (ATB).
Les conditions sont très avantageuses : le taux d’intérêt est de 0,1% et les seules garanties exigées sont les actions elles-mêmes.
Le 17 août 2009, la transaction est finalisée. Encore une fois, Mourad Ben Chaabane assure que Mongi Safra a tout prévu. En plus de désigner les acheteur·euses, il a indiqué à quel prix les actions allaient être vendues : 14,5 dinars, soit 5,5% moins cher que le cours de l’action de l’UIB ce jour, qui s’élevait à 15,3 dinars.
Comme c’est le cas pour de nombreuses malversations durant la période Ben Ali, l’opération ne présente rien d’illégal - la marge autorisée étant de plus ou moins 10% pour des actions de cette importance - mais permettra à la famille du président de faire une belle plus-value dans les semaines suivantes.
Du côté de Tunisair, Nabil Chettaoui se défend de toute accusation de conflit d’intérêt. Il assure n’avoir pris connaissance de l’identité des acheteur·euses, tous et toutes lié·es à Ben Ali, que bien plus tard, affirmant qu’il n’oeuvrait a priori que pour les intérêts de la compagnie aérienne. Pourtant, Nabil Chettaoui est au cœur de la transaction. En plus de son rôle de PDG, il faisait partie du conseil d’administration de l’UIB au moment de la vente. Il devait donc théoriquement être tenu au courant de la vente ainsi que de l’identité des acheteurs et acheteuses.
Une plus-value de 7 millions de dinars
Quelques semaines à peine après la transaction, Mongi Safra revient de nouveau à la charge et contacte encore Mourad Ben Chaabane. “Mongi Safra m’a rappelé et m’a dit : ‘Ils [Belhassen Trabelsi, Asma Mahjoub et la société SPI] veulent vendre’.”
Les actions ont à peine été achetées que déjà, la famille de Ben Ali veut les revendre. Pour l’entourage du président, le contexte financier est avantageux. En plus du faible coût lors de l’achat à Tunisair, la vente des parts a eu un effet positif sur le cours boursier de l’action de l’UIB.
Mais Mourad Ben Chaabane reste prudent. D’après lui, la bourse tunisienne constitue un “petit marché” et il craint d’avoir des difficultés à trouver des acheteur·euses. Mais encore une fois, le conseiller économique du président a tout prévu. “Mongi Safra a amené plusieurs groupes tunisiens, qui ne sont pas clients à Mac SA. Et ça a été le même principe, la même logique : on a refait une transaction de blocs.”, raconte-t-il.
Entre le 27 août et le 11 septembre 2009, 19 sociétés appartenant à plusieurs hommes d’affaires connus tels que Moncef Mzabi, Aziz Miled ainsi qu’à la Société de fabrication des boissons de Tunisie (SFBT) et ses filiales, rachètent l’ensemble des actions à la famille présidentielle.
Asma Mahjoub, Belhassen Trabelsi et SPI ont acheté les parts de Tunisair pour près de 33 millions de dinars. Ils et elles parviennent à faire une plus-value sur cette transaction en les revendant à plusieurs sociétés.
Mongi Safra gère encore la transaction. Après avoir mobilisé très rapidement les acheteur·euses, il donne toutes les instructions à l’intermédiaire en bourse : le prix de vente des actions et comment cet argent sera réparti entre les acquéreur·euses. Sur le papier, tout est conforme.
“L’opération est propre en soi. Tu achètes maintenant et tu vends après, c’est normal. Mais je dirais que oui, il y a abus d’influence”, commente Mourad Ben Chaabane.
Avec cette transaction, Belhassen Trabelsi, Asma Mahjoub et la société SPI font une plue-value nette de près de 7 millions de dinars. Cet argent a ensuite été entièrement reversé sur le compte des enfants de Ben Ali qui ont ainsi récupéré tous les bénéfices de la vente des parts de Tunisair.
L’évolution du cours de l’action de l’UIB montre qu’en 2007, quand Nabil Chettaoui fait sa demande, le cours de l’action est en baisse et risque de mettre en difficulté Tunisair. Il semble alors logique que le PDG cherche à s’en débarrasser. Par contre, en 2009, la situation s’améliore et présente bien moins de risques pour la compagnie. C’est à ce moment-là que Mongi Safra intervient et organise la vente, en deux temps. D’abord aux proches de Ben Ali, puis, quelques semaines plus tard, à 19 sociétés. La première vente ayant entraîné une augmentation du cours de l’action, les proches de Ben Ali font une belle plus-value lors de revente.
Quels intérêts pour Tunisair ?
Officiellement, du côté de Tunisair, cette vente des parts, qui rapporte 33 millions de dinars à la compagnie, a pour but de financer l’acquisition de nouveaux avions. Nabil Chettaoui tient en effet à augmenter leur nombre et explique que la mise en vente des parts s’inscrit dans cette stratégie.
“Pour moi, le métier de Tunisair est de faire voler des avions, pas de détenir des parts dans des banques ! Mon raisonnement en tant que manager était que la moindre chute de l’action en-dessous de la valeur d’achat entraînerait des blocages de provisions pour Tunisair”, assure l’ancien PDG, ce qui limiterait les fonds pour acquérir de nouveaux engins.
Mais dans les faits, l’une des premières transactions finalisées de la compagnie après la vente des parts est l'achat de l’A340, pour un montant de 133,5 millions de dollars.
Le lien entre la vente des parts et l’acquisition du nouvel avion présidentiel n’est pas clairement établi. Nabil Chettaoui affirme qu’il a simplement défendu “son périmètre, celui de Tunisair” et qu’il n’y a aucun lien entre ces deux affaires. Mourad Ben Chaabane affirme également ne pas savoir dans quelle mesure cet argent a pu servir à l’achat de l’avion.
Pourtant, compte tenu de la situation de Tunisair et du témoignage de Nabil Chettaoui, la compagnie aérienne avait effectivement besoin de fonds pour finaliser l’achat. De plus, les différentes propositions de Nabil Chettaoui à l’époque n’ont été demandées que bien plus tard, comme l’atteste ce document signé de la main de Mongi Safra et datant du 28 octobre 2010.
Document signé par Mongi Safra présentant les propositions pour améliorer la situation financière de Tunisair, notamment après la décision de maintenir l'ancien avion présidentiel en exploitation.
Une justice incomplète après le départ de Ben Ali
Après la révolution de 2010 et 2011 et le départ de la famille Ben Ali le 14 janvier, le lien entre les deux affaires éveille de sérieux soupçons. Pour la Commission nationale d’établissement des faits sur les affaires de malversation et de corruption de Abdelfattah Amor, la concomitance des dates n’est pas due au hasard. Cette commission avait alors pour mission de dévoiler les actes de corruption de l’ex-président et de ses proches.
La commission a regroupé plusieurs documents sur les transactions avec Tunisair et recueilli les témoignages de Nabil Chettaoui et Mourad Ben Chaabane qu’Inkyfada a pu consulter. Dans leurs dépositions auprès de la Commission, Nabil Chettaoui et Mourad Ben Chaabane soulignent tous les deux le rôle central de Mongi Safra qui a organisé les deux affaires.
La proximité de Mongi Safra avec la famille présidentielle suppose ainsi un conflit d’intérêt et un abus de pouvoir de la part de la présidence. Cela a non seulement permis à la famille de Ben Ali d'opérer une plus-value en un temps record, mais aussi de mettre en branle tous les moyens de l'Etat pour s’offrir un nouvel avion présidentiel.
Dans ces deux affaires, la vente des parts et l’achat de l’avion ont impliqué les plus hauts membres de la présidence. En jouant avec les limites de la loi, Mongi Safra et la présidence ont fait en sorte que Tunisair, les banques tunisiennes, la Direction de la privatisation ainsi que de nombreuses sociétés soient en accord avec les désirs de la famille présidentielle pour leur permettre de s’enrichir, au détriment de Tunisair et des finances publiques.
Pour la compagnie aérienne, l’achat puis l’entretien de l’avion a entraîné des dépenses importantes. Jusqu’à ce qu’il soit vendu à Turkish Airlines, Tunisair a dû payer des frais de stationnement et de maintenance s’élevant à 112 millions de dinars.
Sans être probablement les seules responsables, ces deux affaires ont sérieusement impacté les résultats économiques de Tunisair. Alors que la situation était plutôt stable, la compagnie devient déficitaire à partir de 2010 et ses résultats financiers sont en chute libre jusqu’en 2014.
Dans un rapport dressant les états financiers de la compagnie en 2010, il est indiqué que les investissements fournis par Tunisair pour les deux avions présidentiels entraînent un déficit de près de 12 millions de dinars par semestre.
Le 5 septembre 2011, le commissaire aux comptes du groupe Tunisair a indiqué dans son rapport avoir révélé au procureur de la République "certains faits qui pourraient être délictueux et qui ont été mis en évidence par [les] travaux d'audit". Ces faits concernent particulièrement :
- Des rémunérations servies et d’autres avantages accordés aux membres de la famille du président déchu,
- La mise à la disposition de la présidence de la République de deux avions hors plan de vol et hors stratégie commerciale.
"Selon les documents mis à notre disposition par la société Tunisair SA, cette affaire suit son cours normal et une expertise est déjà ordonnée par le Tribunal compétent", précise le commissaire aux comptes.
Dans l’affaire de la vente des parts, seule Asma Mahjoub a été condamnée à deux ans de prison ferme. Zine el-Abidine Ben Ali, Leila Trabelsi et Belhassen Trabelsi, quant à eux, ont écopé de dix années de prison ferme par contumace. Arrêté en France le 13 mars 2019, Belhassen Trabelsi fait l’objet d’une demande d’extradition de la part de la Tunisie, dont l’examen était prévu pour le 4 décembre 2019. Pour l’instant, aucune information n’a été donnée par la justice sur cette affaire.
Nabil Chettaoui, quant à lui, a bénéficié d’un non-lieu. Mongi Safra, également poursuivi dans le cadre de cette affaire, a d’abord bénéficié d’un non-lieu. Le procès a été reconduit en appel, mais entretemps, la loi relative à la réconciliation dans le domaine administratif a été mise en place, ce qui lui a permis d’être amnistié avant que le second verdict ne soit rendu. Contacté par Inkyfada, Mongi Safra n’a pas souhaité commenter ces deux affaires.
Le but de la loi dite de réconciliation, votée à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) le 13 septembre 2017, est d’amnistier les fonctionnaires impliqué·es dans des affaires de malversations du régime afin “d’instaurer un environnement propice à même d’encourager la liberté de l'initiative au sein de l’administration (et) de promouvoir l’économie nationale”.
Malgré les multiples accusations à l'encontre de Mongi Safra et son rôle de premier plan dans ces deux affaires, il n’a donc pas été considéré comme responsable des malversations opérées au profit de la famille présidentielle. Les protagonistes de ces deux dossiers représentatifs d'un système au service de Ben Ali et des ses proches, sont resté·es, pour la plupart, impuni·es.