“Dans la salle brillamment illuminée, où durant deux siècles et demi tous les souverains de la dynastie husseinite ont reçu dans les grandes occasions l’hommage de leurs sujets, les portraits des beys qui régnèrent sur le pays n'avaient pas encore été enlevés.” ( Le Monde, 26 juillet 1957)
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Devenir membre"La nouvelle forme de l’État"
Sur les 98 députés que compte l'Assemblée, 93 sont présents. Quelques ambassadeurs étrangers font également partie de l’audience. Habib Bourguiba, Premier ministre, et les membres de son gouvernement siègent au banc des députés. La salle est également remplie de journalistes portant des vignettes sur lesquelles est marqué “premier jour de la République".
La Presse (26 juillet 1957) - Centre de documentation nationale
En cette chaude journée d’été, les hauts parleurs diffusent les discours des députés et des membres du gouvernement à l’extérieur du bâtiment. Une foule est massée aux abords du palais, le service d'ordre est assuré par la garde nationale et les jeunesses destouriennes*.
Président de la séance, Jallouli Farès précise : "Nous siégerons aujourd'hui jusqu'à ce que nous nous mettions d’accord sur la nouvelle forme de l’État tunisien, car ce qui a retardé la naissance de notre Constitution, c’était précisément la forme du régime à adopter."
Le Petit Matin (25 juillet 1957) - Centre de documentation nationale
Ahmed Ben Salah, vice-président de l’Assemblée, prend ensuite la parole :
"Cela ne peut que consolider l’indépendance du pays et la souveraineté du peuple tunisien. Il n'y a aucun doute, nous serons aujourd'hui délivrés des séquelles de l'ancien régime. Il ne peut y avoir de co-souveraineté dans ce pays, et la volonté du peuple est sacrée. Notre génération a été élevée dans la doctrine du Néo-Destour, aspirant à la liberté, à la paix et à la prospérité. Nous devons jouir pleinement de notre souveraineté totale et sans partage. Lors de la lutte, nous avons déjà vécu un régime républicain, car à l'époque il y avait deux Tunisies, l’une fictive, l’autre réelle. La République a déjà vécu en Tunisie sous l'illégalité ; nous devons aujourd'hui la légaliser."
La République, fruit d’un processus
L'idée de la chute de la monarchie ne date effectivement pas de la période de l’Indépendance.
Dès les années 1920, la presse coloniale ou métropolitaine commence à évoquer l’idée de l’établissement d’une république tunisienne mais elle le fait sous l’angle de la rumeur et de la menace. Il s’agirait selon elle d’un complot transnational :
“D’étranges combinaisons étaient échafaudées dans l’ombre et couraient sur les burnous. Par exemple, [l’]établissement d’une république tunisienne sous un protectorat italien très lâche”. ( L’Afrique française, 1er janvier 1926).
“L’idée d’une république tunisienne paraît flotter dans l’air et faire son chemin dans les esprits. Les plus hardis à travers le Moghreb [sic] moderne, rêvent d’une république fédératrice de l’Afrique du Nord !” ( Les Annales coloniales, 21 octobre 1933).
Le 15 septembre 1945, le quotidien Tunisie-France évoque la rumeur selon laquelle les partis nationalistes, et en particulier le Destour, auraient l’intention de proclamer la République.
Deux années avant l'instauration effective de celle-ci et quelques mois avant l’Indépendance, Le Figaro du 22 août 1955 signifie à Lamine Bey que le système colonial le protège contre les projets républicains. Dans une sorte de rappel à l’ordre, le journal l’avertit en effet que si l’autorité française est menacée en Tunisie, il verrait sa propre autorité s’écrouler “pour faire place au despotisme d’une jeune république tunisienne”.
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Suite aux Conventions d’autonomie interne (3 juin 1955) et à l’Indépendance (20 mars 1956), les événements s’enchaînent à un rythme accéléré avant la proclamation de la République. Cet enchaînement se fait sur fond de conflit sanglant entre yousséfistes et bourguibistes, de procès et d’arrestations multiples des opposants de Bourguiba*.
Successeur de Moncef Bey, qui était extrêmement populaire et légitimé par son soutien au mouvement nationaliste, Lamine Bey est fragilisé par les différentes tractations politiques. Le processus enclenché en 1955 mène inéluctablement à la chute de la monarchie le 25 juillet 1957.
“Une autorité décadente”
Depuis l’Indépendance, la presse du Néo-Destour s’attèle à forger l’image d’une monarchie passéiste et en décalage avec les aspirations du “peuple” :
"La dynastie husseinite, d'origine turque, règne sur la Tunisie depuis deux siècles et demi. Elle a eu le temps de s'étioler, et c'est un arbre mort que le peuple tunisien et ses dirigeants vont déraciner. Ils le feront à la tunisienne : sans passion, sans excès, avec la conscience de faire non pas une révolution, mais une opération de régularisation, non pas un saut dans l'inconnu, mais un pas en avant.” ( L’Action, 23 juillet 1957)
Rappelé à son extranéité, le beylicat serait une autre forme d’occupation, plus ancienne encore que le protectorat français, une occupation dont le nouvel État doit se défaire afin de réaliser une double indépendance. Certains journaux s’attachent également à démontrer la responsabilité de la dynastie husseinite dans l’établissement et le maintien du système colonial français :
"Débarrassée du protectorat, la Tunisie ne pouvait mettre son sort plus longtemps entre les mains de ceux qui avaient servi celui-ci avec fidélité et dans leur seul intérêt.” ( Le Petit Matin, 25 juillet 1957)
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Le jour de la proclamation de la République, Ahmed Mestiri, ministre de la justice, Ali Belhouane, secrétaire général de l’Assemblée, Driss Guiga, directeur de la sûreté nationale et d’autres ministres se rendent au palais de Carthage [actuel Beït al Hikma], gardé par des militaires, afin d’annoncer la décision de l’Assemblée constituante au Bey.
“Le bey, en djellaba blanche, coiffé du fez, écouta debout, entouré de ses trois fils, la lecture de la proclamation de la République, faite par M. Belhaouane. Très pâle, il ne fit aucune déclaration et la délégation se retira. Peu après, le directeur de la sûreté nationale signifiait à l'ancien souverain que le gouvernement lui avait assigné une résidence dans une villa lui appartenant à la Manouba.”
La princesse Zakia, fille de Lamine Bey, et sa famille ainsi que les autres fils du Bey sont emmené∙es en voiture à La Manouba. “Après une demi-heure de route, le cortège pénétrait dans les jardins de la nouvelle résidence provisoire de l'ancien bey. Grande bâtisse ocre d'un étage, la villa était entourée de gardes nationaux.” (Le Petit Matin, 26 juillet 1957)
Al ‘Amal (27 juillet 1957), Le Petit Matin (26 juillet 1957) - Centre de documentation nationale
Dans cette demeure de la Manouba, la famille est placée en résidence surveillée. Les témoignages des descendant∙es de Lamine Bey évoquent le dénuement dans lequel les membres de la famille sont installé∙es, adultes et enfants. Fakhri Meherzi, petit fils du dernier souverain, se souvient des conditions dans lesquelles la famille était détenue :
À chaque fois que l’un de nous faisait mine de se pencher vers l’une des fenêtres, il y avait toujours un garde qui pointait son arme sur nous [...]. On n’arrivait pas à dormir le soir parce que certains gardes faisaient rouler de grosses pierres sur le toit.” (Extrait de Les beys de Tunis, une monarchie dans la tourmente coloniale, film documentaire de Mahmoud Ben Mahmoud, visible ici )
Les biens de la famille beylicale sont ensuite confisqués par l’État qui accuse celle-ci de détention de biens mal acquis. Dans sa campagne antimonarchique, le Néo-Destour multiplie les accusations d’enrichissement des beys et de leurs proches aux dépens du peuple.
Cependant, dans les faits, l’expropriation des biens meubles et immeubles de la famille beylicale s’avère décevante pour l’État car la monarchie husseinite ne semblait pas avoir été à la tête de fortunes colossales à la fin de son règne. Elle s’est plutôt appauvrie et endettée tout au long du 20e siècle*.
Vers la fin de la journée du 25 juillet 1957, au même moment où les ministres annoncent la nouvelle de sa destitution au Bey, Habib Bourguiba sort du palais du Bardo parader triomphalement dans les rues environnantes.
La Presse (26 juillet 1957) - Centre de documentation nationale
La naissance de la République
Même si la nouvelle semble attendue, la ville ne commence à s’animer qu’en fin de journée après l’annonce de l’après-midi.
Bientôt Tunis s’agite, des voitures hauts-parleurs diffusent les décisions de l’Assemblée, le terme de “République” est répété à plusieurs reprises. La foule, qui, jusqu’à présent ne s’était amassée qu’au Bardo, commence à se répandre dans les artères de la capitale. Des pétards éclatent. Vers 20 heures, le cortège présidentiel traverse Tunis, le peuple fait une ovation extraordinaire au président de la République. Toute la soirée, toute la nuit seront consacrées aux festivités.” ( La Presse, 26 juillet 1957)
L’événement qui touche la population de manière collective la marque également de manière plus individuelle. À quelques dizaines de mètres du palais du Bardo où la République a été proclamée, dans le même quartier, une enfant née le matin même est nommée Joumhouria en écho à la journée historique. Un encadré du journal Assabah du 28 juillet 1957 en témoigne.
Assabah (28 juillet 1957) - Centre de documentation nationale
[traduction : Naissance heureuse - Le professeur Mohamed Taïeb Dridi, directeur de l’école primaire de la rue Ben Arous est heureux d'accueillir une nouvelle-née pour laquelle il a choisi le prénom “République”. Puisse-t-elle apporter bonheur et prospérité à ses parents.]
Contactée à ce propos, Rafika Inoubli, la fille aînée de Mohamed Taïeb Dridi, se souvient de la journée :
Je m’en souviens comme si c’était hier, j’avais 7 ans. Il y avait une grande effervescence à la maison, ma mère était sur le point d’accoucher. Mon père était très confus ce matin-là, il ne savait pas s’il fallait rester écouter les discours à la radio ou vérifier si ma mère avait bien accouché, il était pris d’angoisse. D’un côté, il y avait l’événement grandiose, le Bey avec tout son prestige qui allait être écarté et nous, nous avions notre événement à nous, une naissance. Nous avions deux naissances ce jour-là mais la naissance d'une enfant était plus importante que celle de la République. Le soir-même, il y avait des fêtes partout dans les rues du Bardo, il y avait une telle euphorie. Ma mère venait d’accoucher, elle n’avait pas pu sortir, elle était alitée. Elle s’intéressait beaucoup à la politique mais ce jour-là, Bourguiba et la République ne signifiaient plus rien pour elle. Par contre, le jour du premier anniversaire de la République, il y avait eu une fête au Bardo avec Ali Riahi et d’autres chanteurs et elle nous avait emmenés.”
Concernant le choix du prénom, elle explique que dans le contexte de l’époque, il était fréquent de donner des noms liés aux événements politiques :
“À la période de l’Indépendance, beaucoup ont appelé leurs enfants Istiqlal. Pour le 1er juin 1955 aussi [le retour de Bourguiba, “fête de la Victoire”], beaucoup avaient donné Nasr, Intissar ou Montassar comme prénoms. Mon père s’était dit que c’était l’occasion de donner un nom historique à sa fille puisqu’elle était née le même jour. J’imagine qu’il était content de la proclamation de la République. Cependant, ma mère avait préféré un prénom plus léger et mon père a simplement gardé Joumhouria comme deuxième prénom pour ma soeur.”
Moins de deux semaines après la proclamation de la République, le premier mariage civil de l’histoire du pays est contracté à Tunis le 6 août 1957. Fatma Jilani épouse Slaheddine Bali à la mairie de Tunis en présence du maire Ali Belhouane. Avant le changement de régime, les mariages de la population tunisienne se faisaient dans un cadre religieux, musulman ou juif.
Premier mariage civil, Al ‘Amal (7 août 1957) - Centre de documentation nationale
Les jours qui suivent la proclamation sont marqués par la reconnaissance du nouveau régime par différentes institutions nationales. À la mosquée Zitouna, lors de la prière du vendredi 26 juillet 1956, la formule rituelle “Que Dieu protège notre émir et tous les émirs musulmans" est remplacée par une nouvelle invocation :
"Que Dieu protège notre Combattant suprême et son gouvernement, ainsi que tous ceux qui ont la responsabilité de conduire les peuples musulmans”.
Les journaux prennent également soin de montrer l’image d’une communion nationale autour de la nouvelle forme de l'État. Des délégations de notables régionaux, plusieurs organisations et des représentants de différents cultes félicitent le président Bourguiba et reconnaissent l’avènement de la République.
La Presse (31 juillet 1957) - Centre de documentation nationale
Le Petit Matin (28 juillet 1957) - Centre de documentation nationale
Sur le plan international, la reconnaissance n’est pas immédiate, en particulier chez les monarchies voisines. Des réserves sont rapidement exprimées. Dès les premières critiques visant la monarchie beylicale, l’ambassadeur du Royaume-Uni de Libye (premier État du Maghreb à obtenir son indépendance le 24 décembre 1951) quitte la séance de l'Assemblée constituante. Le royaume libyen reconnaît finalement la République tunisienne deux semaines plus tard, le 6 août 1957.
Le royaume du Maroc, indépendant depuis le 2 mars 1956, se distingue quant à lui par son absence de réaction.
“Aucune réaction officielle ne s'est encore manifestée au Maroc [...]. Le palais impérial se tait, le ministère des affaires étrangères reste discret, la Radiodiffusion nationale marocaine s’abstient de tout commentaire, et le quotidien Ahd El Jadid (l’Ère nouvelle), de tendance gouvernementale, n’a même pas publié mercredi après-midi les dépêches d'agences relatant ces événements.” ( Le Monde, 26 juillet 1957)
Un communiqué fait état des "regrets" suscités à Rabat par le changement de régime à Tunis et un commentateur politique de la chaîne de Radio-Maroc déclare :
"Nous nous demandons si la décision de l'Assemblée constituante tunisienne répond vraiment au désir du peuple [...] Nous nous demandons aussi si c'est bien le moment de faire une telle opération, alors que les pays d'Afrique du Nord sont encore dans une période transitoire et que la guerre d'Algérie continue.”
Cependant, le 3 août, le ministère des affaires étrangères marocain reconnaît officiellement l’institution du nouveau régime tunisien.
“Le peuple désirait”
Le discours officiel qui entoure la proclamation de la République est celui d’un avènement “sans douleur” ( L’Action, 29 juillet 1957), qui se fait dans l’ordre des choses. Surtout, celle-ci est présentée tout à la fois comme une émanation du peuple et comme la voie de son salut :
“Le peuple tunisien désirait la disparition d’un beylicat qu’il méprisait.” ( L’Action, 29 juillet 1957)
Ainsi, non seulement la République réaliserait les aspirations populaires mais elle contiendrait en elle la promesse d’une souveraineté sans faille :
“ Chaque citoyen tunisien détiendra dès lors une parcelle de l’autorité de l’État. Il n’y aura plus de barrière entre les représentants qui émanent de la volonté populaire et les détenteurs du pouvoir [...]. La volonté nationale, le fait national se manifestent dans le peuple et par le peuple.” ( Le Petit Matin, 25 juillet 1957)
Présenté comme permettant au peuple d’avoir accès à la souveraineté, le projet de République du Néo-Destour donne en réalité les coudées franches à un seul individu. Dans les discours qui chantent l’avènement d’une nouvelle ère, le peuple est plutôt la “fiction dont se sert un leader ou un parti politique pour conquérir le pouvoir.”*
“Un monarque pour la République”
La constitution rédigée par l’Assemblée constituante et promulguée le 1er juin 1959 concentre les pouvoirs aux mains du seul président de la République. Elle permet “d’empiéter sur la fonction législative et de maîtriser le pouvoir judiciaire” à travers “une autorité sur les magistrats [qui] relativise leur indépendance”. Par ailleurs, le président concentre la totalité du pouvoir exécutif, cumulant les fonctions de chef d’État et de chef du gouvernement.
Ce n’est pas tant l’humiliation de Lamine Bey qui était recherchée que le refus d’un pouvoir bicéphale. Pour le futur président, la fonction suprême ne se partage pas. Le nouvel État qui allait se construire sur les décombres du makhzen se devait d’être radicalement nouveau [...], [il] sera érigé sur une table rase. Bourguiba inaugurait son règne et ne succédait à personne.”*
Si Habib Bourguiba ne devait succéder à personne, tout se passe comme si personne ne devait lui succéder non plus. Le 18 mars 1975, la constitution est amendée et celui-ci devient président à vie. “Bourguiba Ilâ al-abad” [pour toujours] pouvait-on lire sur les banderoles lors de ses discours. Pourtant, trente ans après son accession à la fonction de président, Bourguiba est destitué par son propre premier ministre, Zine El Abidine Ben Ali, le 7 novembre 1987.
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Le 25 juillet, la constitution et le président
Sous Ben Ali, la constitution de 1959 est régulièrement amendée. Le 25 juillet 1988, elle est modifiée afin de limiter dorénavant le nombre de mandats présidentiels à trois au lieu de la présidence à vie (cette limitation est supprimée à nouveau en 2002). Il n’est pas anodin que la première réforme constitutionnelle opérée sous Ben Ali ait lieu le premier 25 juillet de sa présidence. Depuis 1957, la date du 25 juillet est en effet investie symboliquement et à intervalles réguliers.
Le 25 juillet 2013, Mohamed Brahmi, député constituant du Front populaire, est assassiné en sortant de chez lui, six mois après l’assasinat de Chokri Belaïd le 6 février. Baptisées sit-in Errahil, de très grandes manifestations quotidiennes ont lieu au Bardo à la suite de sa mort. Les manifestant∙es demandent la démission du gouvernement, voire la dissolution de l’Assemblée constituante. Quarante-deux représentant∙es de l’opposition se retirent de l'Assemblée, entraînant l'interruption de ses travaux à partir du 6 août.
Le 25 juillet 2019, la mort du président Béji Caïd Essebsi est annoncée durant son mandat entamé le 31 décembre 2014. Ses obsèques et la première commémoration de son décès en 2020 éclipsent l’anniversaire de la proclamation de la République.
Le 25 juillet 2021, plusieurs centaines de manifestant∙es réclament au Bardo la dissolution de l’Assemblée des représentants du peuple. Le soir même, invoquant l’article 80 de la Constitution, le président Kaïs Saïed limoge le gouvernement et annonce le gel des activités de l’Assemblée. Le 25 juillet 2022, un référendum est organisé pour se prononcer sur un nouveau projet de constitution renforçant les pouvoirs du président de la République.
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Ainsi, cette date régulièrement investie symboliquement est chargée d’une mythologie qui lui est propre. Au-delà du 25 juillet comme leitmotiv, c’est le lien avec les projets constitutionnels qui est prépondérant.
La question constitutionnelle traverse un siècle entier de bouleversements politiques ; elle est comme inscrite dans l’ADN même de la vie politique tunisienne. Le parti Destour [constitution], fondé en 1920, entendait élaborer une constitution au sein d’un parlement tunisien. Le parti du Néo-Destour, né d’une scission du Destour en 1934, a conservé la référence constitutionnelle ; lorsqu’il arrive au pouvoir au moment de l’Indépendance, il ne fait qu’appliquer un programme inscrit dans l’identité originelle du parti.
Depuis l’Indépendance, la récurrence des références à la constitution s’explique certes par l’héritage de décennies de luttes et de transmissions. Mais cette saturation semble en même temps ériger la constitution et ses réécritures comme l’unique horizon, le seul projet politique envisageable.
Avec le projet de constitution de 2022, plusieurs éléments ne sont pas sans rappeler le 25 juillet 1957 : les pleins pouvoirs accordés au président ; l’insistance sur la volonté du peuple, le fait de parler en son nom, de prétendre le sauver d’un péril dont il ne saurait se sauver lui-même ; mais aussi l’idée de la refondation, l’ambition de la postérité et la volonté de faire histoire.
Tout en marquant une rupture par l’invisibilisation des deux constitutions précédentes (1959 et 2014) et en tentant de réinvestir la date du 25 juillet en la vidant de son passé, le projet politique actuel ne fait que s’inscrire dans la continuité d’une longue histoire nourrie par la centralité de la constitution et hantée par l’ombre des figures présidentielles écrasantes.