Ces documents confidentiels exposent ainsi les transactions offshore du roi de Jordanie, de Vladimir Poutine, des présidents de l'Ukraine et du Kenya, du Premier ministre de la République tchèque ou encore de l'ancien Premier ministre britannique Tony Blair. Les dossiers détaillent également les activités financières de célébrités telles que Shakira et Elton John et de plus de 130 milliardaires de Russie, des États-Unis, de Turquie et d'autres pays.
Pandora Papers révèle aussi quelques montages financiers concernant des Tunisien·nes. Certain·es anonymes ont eu recours à des sociétés offshores pour échapper à l’imposition tunisienne ou acquérir des biens. Le nom d’un politicien, Mohsen Marzouk, déjà mentionné dans les Panama Papers, réapparaît.
La plus grande collaboration journalistique de l’histoire
Cette fuite de documents est à l’origine de la plus grande collaboration journalistique de l’histoire. L’enquête menée par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et près de 150 médias partenaires à travers le monde - dont inkyfada, met en lumière les rouages du système offshore et de l’évasion fiscale.
Au total, ce sont 2,94 téraoctets de données qui ont été transmises par une source anonyme à ICIJ. Aucune condition n'a été attachée au partage des documents. Le Consortium international des journalistes d’investigation est un organisme de presse à but non lucratif basé à Washington, D.C., ainsi qu’un réseau mondial de journalistes d'investigation dont inkyfada. Il est à l’origine de plusieurs enquêtes internationales sur la finance offshore.
Les documents sont issus de 14 prestataires de services aux particuliers et aux entreprises, spécialisés dans la finance offshore. Ils révèlent de quelle manière ces cabinets offrent des services de création de sociétés écrans dans des paradis fiscaux afin de permettre à des personnalités publiques de premier rang de contourner la taxation et de dissimuler leurs opérations financières.
Pendant deux ans, plus de 600 journalistes ont travaillé de concert pour analyser et traiter ces documents, les passer au crible, à rechercher d’informations sur l’identité des bénéficiaires réel·les et sur l’organisation de ces montages, à fouiller dans les archives judiciaires et autres documents publics de dizaines de pays. Tout cela, dans l’objectif de montrer les dessous de ce système opaque et mettre face à leurs responsabilités les personnalités politiques et les plus fortuné·es.
Le volet tunisien
Inkyfada a pu retrouver des montages liés à des Tunisien·nes. L’un d’eux a déjà été cité dans les Panama Papers, il s’agit de Mohsen Marzouk. Ce dernier avait alors demandé des renseignements pour ouvrir une société offshore avec le cabinet panaméen Mossack Fonseca, pendant l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle.
À l’époque, l’homme avait vigoureusement nié toute implication. “Je n’ai jamais envoyé un message à cette entreprise”, déclarait-il sur les ondes de Mosaïque FM, au lendemain de la publication de l’article, le 5 avril 2016. “Ceux qui ont dit ça vont assumer leur responsabilité devant la justice”, ajoutait-il en menaçant de porter plainte contre inkyfada.
Cette fois, les données de Pandora Papers montrent que Mohsen Marzouk est allé au bout de son projet.
Grâce à un autre cabinet, il a pu créer la société Eagle One Investments Holdings Limited aux îles Vierges britanniques, territoire n°1 des paradis fiscaux. Contacté par inkyfada, Mohsen Marzouk reconnaît cette fois les faits et admet avoir contacté Mossack Fonseca, contrairement à ce qu’il affirmait en 2016. Les détails de l’histoire sont à retrouver sur inkyfada.
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D’autres Tunisien·nes ont eu recours aux services de ces cabinets de créations de sociétés offshore. Certain·es cherchent à échapper à une imposition jugée élevée. D’autres passent par des sociétés-écrans dans le but de faire l’acquisition de yachts ou de jets privés loin de toute taxation ou encore pour y domicilier leurs sociétés dans le secteur de la joaillerie. Beaucoup ont recours à ces montages opaques pour leurs activités d’import-export.
C’est par exemple le cas de O.H. Elle réside dans une ville à une quarantaine de kilomètres de Tunis et joue les intermédiaires spécialisée dans l’import-export avec des commerçant·es libyen·nes dans le secteur de l'agroalimentaire. Pour ce faire, elle crée une société totalement exportatrice en Tunisie. L’avantage : elle n’a pas à payer d’impôts pendant dix ans. Mais une fois cette période écoulée, il lui faudra s’acquitter de 10% d’impôts. O.H avoue à demi-mot que “même si ce n’est pas grand-chose”, elle préférerait ne pas payer ces taxes.
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Tandis que cette date approche, O.H se rend à un événement à Dubaï lorsqu’un commercial du cabinet SFM l’aborde. Il a une solution pour échapper à l’imposition tunisienne : créer une société dans un paradis fiscal qui lui permettrait d'ouvrir un compte bancaire à l’étranger et continuer ses activités de la même manière sans payer d’impôts.
Mais avec les réglementations toujours plus restrictives et des pays contraints à plus de transparence en raison de pressions internationales, les choses ne se passent pas comme prévu et elle n’arrive pas à ouvrir ce fameux compte bancaire. Les détails de son récit seront à retrouver très prochainement sur inkyfada.
Un autre individu, patron d’une grande entreprise textile et faisant partie d’une famille d’hommes d’affaires, a eu recours à l’un des cabinets concernés par le leak. Cette fois, le montage sert à obtenir un yacht de plaisance.
inkyfada a également eu accès à des documents concernant un homme qui se présente comme ayant pour principal client Kaloti - un important négociant et raffineur d'or. Une enquête d’ICIJ révélait que plus de 9 milliards de dollars (USD) de transactions de Kaloti qui ont fait l’objet de signalements de la part d’institutions bancaires et financières auprès du Trésor étasunien, entre août 2007 et juin 2015.
Cet homme tunisien possèderait des sociétés dans des secteurs liés aux matières premières, à la joaillerie ou encore spécialisées dans l’acquisition de bateaux de plaisance et de jets privés. Dans le formulaire d’ouverture de compte auprès d’une banque à Hong Kong déjà épinglée et à ce jour en liquidation judiciaire - car soupçonnée de blanchiment d’argent -, il prévoit 150 millions de dollars de chiffres d’affaires.
Les Îles Vierges, Hong Kong, comme de nombreuses autres juridictions considérées comme des paradis fiscaux sont au cœur des Pandora Papers. “Ce sont des territoires qui sont laissés pour la réalisation de transactions douteuses, parce que ça va de la criminalité pure et simple jusqu'aux [délinquants en] cols blancs”, commente Neila Chaâbane, professeure de droit public. Plusieurs de ces histoires sont à retrouver prochainement sur inkyfada.
Plus de 330 politicien·nes et officiel·les épinglé·es
Les Pandora Papers ont rassemblé des informations sur plus de 27.000 sociétés. Derrière ces entités, 29.000 bénéficiaires effectifs ont pu être identifiés, soit plus du double du nombre identifié dans les Panama Papers. Cette nouvelle enquête d’ICIJ épingle plus de 330 politicien·nes et officiel·les identifié·es, originaires de plus de 90 pays et territoires. Parmi elles et eux, figurent 35 dirigeant·es actuel·les et passé·es.
En remontant le fil des documents, certain·es journalistes ont pu identifier de sombres histoires liées à des personnalités politiques de premier plan. Le Washington Post révèle ainsi comment un appartement situé à Monaco et estimé à 4 millions de dollars a été obtenu par une femme de Saint-Pétersbourg, après avoir mis au monde un enfant dont le père est soupçonné d'être le président russe Vladimir Poutine.
Des figures de premier plan au Moyen-Orient et en Afrique
Parmi les ressortissant·es d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient, près d’une quarantaine d’acteur·trices politiques sont également épinglés dans les Pandora Papers. Au Maghreb, en plus de Mohsen Marzouk, l’étude des données a permis d’identifier deux ressortissants marocains, un ancien parlementaire et un ancien ministre du tourisme, proche conseiller du roi Mohamed VI.
À l’est, en Jordanie, les documents révèlent que le roi de Jordanie, Abdallah II, aurait acquis secrètement 14 maisons de luxe en Grande-Bretagne et aux États-Unis grâce à des sociétés-écrans enregistrées dans des paradis fiscaux. Leur valeur totale dépasse les 106 millions de dollars. Les investissements immobiliers ont commencé en 2003, quatre ans après son intronisation.
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Le roi de Jordanie est lié à un réseau de 36 sociétés offshores, basées aux îles Vierges britanniques et au Panama, créées par le cabinet Alcogal, l’un des 14 prestataires de services dont des documents ont fuité. Certaines de ces sociétés ont permis la réalisation de ces investissements tout en en cachant le bénéficiaire réel, auquel Alcogal se référait sous le pseudonyme de “Vous-savez-qui” (“You know who”). Le même cabinet panaméen a d’ailleurs incorporé Eagle One Investments Holdings Limited, la société de Mohsen Marzouk basée elle aussi aux îles Vierges britanniques.
La majorité de ces achats a été effectuée après 2011, jusqu’en 2017 - selon les documents fuités -, alors même que le royaume hachémite a connu au cours de cette période plusieurs épisodes de manifestations contre le chômage, la baisse du pouvoir d’achat, l’austérité et la corruption. Le 13 juillet 2020, le Premier ministre jordanien Omar al-Razzaz avait d’ailleurs promis d'intensifier la répression contre l'évasion fiscale, ajoutant que celle-ci a privé l'économie du pays, à court d'argent, de milliards de dollars de revenus ces dernières années, rapporte Reuters. Deux anciens premiers ministres jordaniens, Abdelkarim A. S. Kabariti et Nader Dahabi, ainsi que la sénatrice, Haifa Hajjar Najjar, sont aussi mentionné·es dans les Pandora Papers.
Au Liban, six hommes politiques de premier plan apparaissent dans les Pandora Papers, au devant desquels Najib Mikati, l’actuel président du Conseil des ministres dont la fortune est estimée en mars 2021 à 2,9 milliards de dollars, selon Forbes. Il serait l'actionnaire et le directeur de Hessville Investment INC, une société sous la juridiction panaméenne, selon le compte rendu d’une réunion du conseil d’administration de la société, daté de février 2008, qu’inkyfada a pu consulter. Cette réunion a eu lieu "afin d'autoriser l'achat d'une propriété à Monaco pour un prix n'excédant pas 7 millions d'euros".
Sont mentionnés aussi, Hassan Diab, ancien président du Conseil des ministres de janvier 2020 à septembre 2021, Riad Salameh, le gouverneur de la banque centrale du Liban, qui fait l'objet d'une enquête en France pour blanchiment d'argent ainsi que trois autres hommes d’affaires et politiciens.
Mais c’est dans le golfe arabo-persique, que l’on trouve la majorité des officiel·les de la région. Parmi ces 23 personnalités, figurent notamment Tamim Al Thani, l’émir du Qatar, qui détient des actions dans LND Estates Limited, une holding immobilière basée à Londres, Mohammed Ben Rashid, émir de Dubaï et Premier ministre des Émirats arabes unis, ainsi que Cheikh Sabah al-Ahmad al-Sabah, l’ancien émir du Koweït, décédé en septembre 2020. À leurs côtés, apparaissent plusieurs haut·es fonctionnaires, actuel·les ou ancien·nes.
Du côté du continent africain, 49 politicien·nes sont liés à des activités révélées par les Pandora Papers. Denis Sassou-Nguesso, président de la République populaire du Congo, Ali Bongo, président du Gabon, Uhuru Kenyatta, président du Kenya ou encore Patrick Achi, Premier ministre de la Côte d’Ivoire sont ainsi cités parmi les millions de documents.
Une nouvelle plongée dans des paradis fiscaux opaques
L'enquête sur les Pandora Papers permet de démasquer les propriétaires cachés de sociétés offshore, de comptes bancaires, de jets privés, de yachts, de manoirs et même d'œuvres d'art de Picasso, de Banksy et d'autres maîtres - fournissant ainsi plus d'informations que celles dont disposent habituellement les services de police ou les gouvernements.
Les informations des Pandora Papers proviennent de 14 fournisseurs qui proposent des services dans au moins 38 juridictions.
Les dossiers comprennent une quantité sans précédent d'informations sur les "bénéficiaires effectifs" d'entités enregistrées dans les îles Vierges britanniques, aux Seychelles, à Hong Kong, au Belize, au Panama, dans le Dakota du Sud et dans d'autres juridictions. Ils contiennent également des informations sur les actionnaires, les administrateur·trices et les dirigeant·es. Outre des personnes fortunées, célèbres ou tristement célèbres pour leurs actions délictueuses, les personnes exposées par la fuite comprennent des anonymes qui ne représentent pas un intérêt public et qui apparaissent comme des propriétaires de petites entreprises, des médecins et d'autres personnes qui espèrent échapper aux impôts dans leur pays de résidence.
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Les Pandora Papers sont le fruit d'une collaboration mondiale entre le Consortium international des journalistes d'investigation, un organisme à but non lucratif, et plus de 150 médias dans le monde. Si vous souhaitez soutenir un journalisme d’investigation de qualité, vous pouvez soutenir le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) en faisant un don ponctuel ou régulier ici .