C’est dans un appartement du quartier Lafayette, dans le centre-ville de Tunis, que les femmes victimes de violences viennent chercher du soutien au CEOFVV. La lumière est tamisée, le café coule dans la cuisine, l’appartement est agencé en différents petits espaces. Ici, tout a été pensé pour libérer la parole de ces femmes, afin de mieux les orienter.
Accompagner, sans héberger
La couleur blanche est dominante sur les murs du centre, et l’agencement du local est savamment réfléchi. “La salle d’attente des femmes victimes de violences n’est pas la même que celle d’autres invités” , explique Amira Nefzaoui, coordinatrice des centres d’écoute de l’ATFD, “Il y a le centre d’écoute, l’accueil, il y a l’espace cuisine pour que la femme puisse prendre un café librement, comme si elle était à la maison.”
“Quand elles viennent avec leur enfant, l’enfant trouve un bureau là où il écrit, là où il joue. La femme reste pour prendre un café, fumer une cigarette. On ne se sent pas crispé dans le même espace” , continue-t-elle. Depuis sa rénovation, les femmes se sentent plus à l’aise, parlent plus facilement des violences subies. “Parfois elles sont fatiguées, elles s’allongent. Elles restent avec leur enfant pour dormir un peu” , constate la jeune femme.
Quelques femmes victimes de violences ont cherché du soutien auprès de l’ATFD. A la suite d’une réflexion à l’échelle maghrébine, une campagne a été lancée en 1993 pour lutter contre les violences faites aux femmes. La même année, un séminaire s’est tenu sur le sujet et le centre d’écoute a vu le jour. “Cette campagne a été interdite par le régime à ce moment-là. (…) L’association a bataillé pour la reconnaissance du centre” , explique Amira Nefzaoui. Au début, seules quelques femmes étaient reçues. Puis le bouche à oreille a fonctionné et les femmes sont venues frapper à leur porte de plus en plus souvent.
L’accompagnement de ces personnes varie selon la complexité de leurs histoires. “Il y a des femmes qu’on suit depuis 1993, et même 1991” , commente l’accompagnatrice. Une femme a été suivie pendant plus de 20 ans. Elle a continué à venir au centre pour parler à des psychologues et des membres de l’associations. Aujourd’hui, c’est sa fille qui est suivie, à titre préventif, pour éviter qu’elle ne tombe dans le même schéma.
Le centre d’écoute assure le suivi de ces femmes victimes de violences. Les écoutantes recueillent leurs témoignages, leurs histoires, mais n’assurent pas le rôle des assistants sociaux. Elles ne leur fournissent pas de logement, ou ne procèdent pas à des enquêtes à l’échelle familiale.
Nous accompagnons, nous orientons, nous écoutons, mais ce n’est pas à nous d’assurer l’hébergement. Car nous considérons que l’hébergement, c’est de l’assistanat social, et c’est essentiellement le rôle de l’Etat. Ce n’est pas aux associations d’héberger les femmes.
“Souvent, ce sont les femmes elles-mêmes qui nous contactent, à 90%” confie Amira Nefzaoui. Les autres femmes sont mises en relation avec le centre d’écoute par leurs proches.
“Ce n’est pas facile pour une femme dans une société patriarcale de parler de violences. C’est la honte pour elle. Mais nous, nous exigeons que la femme vienne (d’elle-même).” continue la jeune femme, “Parce que le fait qu’elle te contacte ça veut dire qu’elle a brisé le mur du silence sur les violences” .
L’écoute solidaire
Après 23 ans d’expérience d’écoute et d’accompagnement, le centre a évolué, en mettant en place différents pôles pour aider ces femmes, en commençant par l’accueil. “On explique aux femmes qu’on est là pour soutenir leurs demandes, pour les autonomiser, pour les déculpabiliser, mais pas pour prendre des décisions à leur place” , décrit la coordinatrice.
Une seconde phase est ensuite mise en place, celle de l’écoute. Une militante de l’association qui a préalablement reçu des formations en matière d’écoute solidaire prend le rôle de l’écoutante. “L’écoute solidaire est une spécificité de l’association, c’est-à-dire qu’on écoute les femmes sans les culpabiliser, sans jugements de valeurs, mais avec de l’empathie” , témoigne Mme Nefzaoui.
Les écoutantes apprennent à ne pas partager leur avis pour ne pas influencer le témoignage. Elles suivent une formation de six mois. Elles commencent par assister à des séances d’écoute, avant de pouvoir participer à l’entretien.
Face à la difficulté de l’exercice, certaines adhérentes ne se sentent plus capables d’assumer cette responsabilité de manière continue. “C’est humain. Il y a des écoutantes qui sont fatiguées, ont leurs problèmes aussi à l’extérieur” , explique l’accompagnatrice.
Si une militante souffre, elle ne peut pas écouter.
L’association ne s’arrête pas là et aide les femmes à avoir une aide juridique. Une avocate explique les démarches juridiques, les conseillent, toujours sans jugement. “Toutes les avocates (qui travaillent avec nous) font une formation d’écoute solidaire avant” , ajoute-t-elle.
“La même règle s’applique pour les psychologues” , continue la jeune femme, “elles doivent recevoir des formations en matière d’écoute solidaire” . Ce n’est qu’à partir de là, et après avoir été écoutante pendant six mois, qu’elles peuvent faire du soutien psychologique auprès des femmes.
Ensuite, il y a la phase d’accompagnement et d’orientation. Le centre oriente les femmes vers différentes structures, des centres d’hébergements, de protection de l’enfance, des assistants sociaux, ou encore d’autres ministères. “Elles sont toujours accompagnées par une lettre du centre d’écoute signée par la présidente, la secrétaire ou moi-même pour soutenir ces femmes et les appuyer” . Il existe différents centres pour reloger ces femmes. La majorité se trouve dans le Grand Tunis, mais quelques antennes existent dans les différents gouvernorats du pays.
Le centre offre également une aide financière pour les frais juridiques, comme les huissiers, les notaires au profit de celles qui ont peu de moyens. Un réseau d’avocates amies de l’association font parfois l’accompagnement à titre bénévole.
Selon une enquête du Centre d’Etudes, de Recherches, de Documentation et d’Information sur la Femme (CREDIF) publiée en mars 2016, 53,5% des femmes interrogées ont dit avoir subi des violences (physique, psychique ou sexuelle) dans l’espace public entre 2011 et 2015. Depuis le début de l’année, ce sont près de 400 femmes qui sont accompagnées par le CEOFVV.