Le gouvernement espère couvrir la majeure partie de son déficit avec un prêt, actuellement en cours de négociation, de 1.9 milliard de dollars du Fond monétaire international (FMI).
Depuis plusieurs années, la Tunisie a du mal à financer le budget de l’Etat. Bien que des facteurs externes tels que la pandémie et la guerre en Ukraine pèsent lourdement sur le pays, car la hausse des prix internationaux entraîne une augmentation des dépenses de subventions financées par des fonds publics, d'autres raisons structurelles expliquent ces problèmes économiques.
Parmi ces raisons, le modèle de développement économique du pays, et notamment ses politiques fiscales et budgétaires, explique Amine Bouzaïene, chercheur en équité sociale et fiscale. Ces politiques fiscales et budgétaires ont été recommandées à la Tunisie par des institutions financières internationales comme le FMI et la Banque mondiale vers la fin des années 80’ dans le cadre des plans d'ajustement structurel, qui ont à leur tour conduit à des réformes néolibérales. “Le modèle de développement d’ensemble est défaillant, il ne produit pas la croissance, il ne répartit pas de manière équitable”, affirme Amine Bouzaïene. “Le pays ne s’appuie pas suffisamment sur ses capacités propres. Il y a donc un besoin de s’endetter en étant dans ce cercle vicieux de l’endettement et de l’austérité”, ajoute-t-il.
Comment l'argent est-il réparti entre les secteurs ?
Des 100 dinars du budget de l’Etat, 18 dinars sont attribués au ministère de l’Education nationale et au ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. Un chiffre raisonnable, étant donné que l’éducation est traditionnellement la première priorité du budget de l’Etat tunisien.
Le budget consacré au secteur de la sécurité continue de croître par rapport aux années précédentes et s'élève à 17,5 dinars sur les 100 dinars du budget de l'État pour 2023. Par ailleurs, 17,4 dinars sont consacrés au commerce, à l'industrie, à la technologie, à l'écologie et au tourisme.
Par ailleurs, alors que la Tunisie s'était engagée à allouer 15% de son budget global aux dépenses de santé, selon l’accord d’Abuja en 2001, seuls 6.8 dinars des 100 dinars sont consacrés aux dépenses de santé publique.
La situation du système de santé publique en Tunisie est préoccupante en raison des inégalités régionales flagrantes, du manque d'investissements, de ressources matérielles et de personnel médical. Il est donc crucial que le gouvernement tunisien tienne cet engagement.
Selon Amine Bouzaïene, ce problème ne concerne pas seulement le secteur de la santé publique : “ça reste un budget qui est, pour tous les ministères, assez bas, par rapport à nos besoins dans tous ces services publics. L’enjeu est de pouvoir l’augmenter et pour tous les ministères.”
Le budget alloué au pouvoir juridictionnel en général, y compris le budget du ministère de la Justice ainsi que celui du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM), se situe au bas de la liste avec seulement 1,7 dinars sur les 100 dinars, ce qui rend presque impossible toute réforme sérieuse et concrète visant à améliorer le fonctionnement et l'efficacité de la justice.
À quoi servira cet argent ?
En analysant les dépenses prévues dans le budget de l'Etat de 2023, la masse salariale représente le coût le plus élevé, soit 42,2 dinars du budget total de 100 dinars. La masse salariale publique en Tunisie est l’une des plus élevées au monde et représente 14.2% du PIB national.
Sous la pression du FMI, le gouvernement tunisien tente de réduire la masse salariale publique à travers plusieurs mesures : la limitation du recrutement dans les secteurs prioritaires ou la réduction du nombre de diplômé·es des écoles professionnelles. Malgré ces mesures, la masse salariale du secteur public augmentera de 4,3% en 2023 par rapport à l'année précédente, une hausse qui explique en grande partie l'augmentation du budget de l'État.
Selon Amine Bouzaïene, le problème en Tunisie n'est pas une masse salariale trop élevée, mais plutôt un budget global insuffisant. “Le problème réside dans le fait que la Tunisie ne produise pas suffisamment de croissance, qu’elle a un faible PIB et un faible budget.” précise-t-il. Cela se traduit par un manque de personnel dans de nombreux secteurs tels que la santé, l’éducation et la justice. Même les personnes travaillant dans ces secteurs se retrouvent souvent dans des situations précaires, avec des rémunérations faibles et tardivement versées.
Les dépenses administratives, qui représentent 36,2 dinars sur les 100 dinars du budget de l'État, représentent la deuxième dépense la plus importante après la masse salariale publique. Ces coûts comprennent principalement des dépenses d'intervention sous forme de transferts vers des ménages, des entreprises et d'autres organismes publics.
Suite à la refonte du système de subventions par le gouvernement, les subventions devraient diminuer d’environ un quart, par rapport à l’année précédente. Une réduction très radicale d’un système sur lequel de nombreux·ses Tunisien·nes comptent pour satisfaire leurs besoins quotidiens. Il est à noter que les dépenses en subventions ont augmenté en moyenne de 15% par an entre 2010 et 2020, et avec l’inflation mondiale, les prix internationaux continueront probablement d’augmenter.
Il ressort de la répartition des dépenses du budget de l'Etat qu'un montant élevé est alloué au service de la dette, à savoir l'ensemble des coûts liés à la souscription et au remboursement des emprunts. Sur les 100 dinars du budget, l’État consacre 9,8 dinars aux remboursements, et seulement 8,7 dinars aux nouveaux investissements.
D'où vient l'argent ?
Le budget de l'Etat tunisien est presque entièrement financé par les impôts. Ramenés à 100 dinars, les impôts sur la consommation, perçus sur la consommation de biens et de services en Tunisie, représentent environ 34 dinars. Les recettes provenant de l'impôt sur le revenu représentent environ 24 dinars, tandis que celles provenant de l'impôt sur les sociétés environ 11 dinars uniquement.
“D’un point de vue de justice fiscal”, le budget de l’Etat, “s’appuie sur les impôts les plus injustes, notamment les impôts sur la consommation” explique Amine Bouzaïene. Jusqu'en 2014, l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés avaient un apport à peu près équivalent. Mais suite aux réductions d'impôts, aux avantages fiscaux et à l'évasion fiscale massive, les recettes de l'impôt sur les sociétés ont drastiquement diminué.
“Ça démontre aussi bien que la Tunisie a un levier financier, mais la répartition est complètement inéquitable, notamment entre la fiscalité des ménages et la fiscalité des entreprises.” ajoute-t-il. “La Tunisie, déjà, n'exploite pas son potentiel fiscal des ressources, ses recettes propres et ses ressources propres.”
Par ailleurs, 13 dinars sur les 100 dinars du budget de l'État pour 2023 proviennent de recettes non-fiscales. Celles-ci comprennent par exemple les bénéfices et les revenus des entreprises publiques et des biens immobiliers, les frais administratifs et les recettes provenant des amendes et des pénalités. Il s'agit également de dons provenant d'États étrangers ou de syndicats.
Si le système fiscal tunisien était plus efficace et plus juste qu'il ne l'est actuellement, les ressources disponibles pourraient augmenter. Selon les estimations, l'État tunisien perd chaque année 25 milliards de dinars à cause de la fraude et de l'évasion fiscales, soit près de la moitié du budget de l'État pour l'année 2023 et environ un quart du PIB du pays.
Cette perte de recettes fiscales pourrait être réduite par la mise en œuvre d'un système fiscal plus équitable, “une condition préalable pour l’adhésion volontaire des contribuables à l’impôt" , selon un rapport sur la justice fiscale publié par Al Bawsala en juin 2022.
Le rapport suggère qu'un système fiscal plus équitable pourrait être mis en place, par exemple, en réduisant les exonérations fiscales dont bénéficient les riches et en restaurant l'imposition progressive. Cela impliquerait que les personnes ayant des revenus élevés paient une proportion plus importante de leurs revenus en impôts que celles ayant de faibles revenus.