Pour les sociétés cotées en bourse, une imposition à géométrie variable

Malgré l'introduction de réformes suite à la loi de finances de 2023, la fiscalité tunisienne continue de privilégier les grandes entreprises et notamment celles cotées en bourse. Ces dernières ont recours à des pratiques contestables mais légales pour réduire leur taux d'imposition. Grâce à une visualisation de données interactive et inédite, inkyfada révèle les "mauvais élèves" de la fiscalité.
Par | 27 Février 2023 | reading-duration 15 minutes

Dans un contexte de crise budgétaire et socio-économique, la question des finances de l’Etat est extrêmement prégnante. La loi de finances 2023 a amené son lot de réformes fiscales : retenue à la source sur les ventes d’alcool, unification des taux de TVA, révision du taux de l’avance d’imposition à l’importation… La loi instaure aussi une harmonisation fiscale qui va augmenter progressivement le taux d’impôt de 10% pour certaines structures vers un taux standard de 15%.

Mais ces politiques sont loin de changer la structure fiscale de la Tunisie. Depuis des années, la fiscalité tunisienne a privilégié les grandes fortunes et les sociétés, qui ont recours à des mécanismes d’optimisation fiscale, au détriment des citoyen·nes plus pauvres et des classes moyennes. Ainsi, depuis 15 ans, les recettes de l’Etat de l’impôt sur le revenu n’ont fait qu’augmenter tandis que l'impôt sur les sociétés a été réduit à quatre reprises. Par exemple, en 2022, la loi de finances ne prévoyait de collecter que 4,1 milliards de dinars à travers les impôts sur les sociétés, soit trois fois de moins que l’impôt sur le revenu.

Le taux général d’imposition sur les sociétés est, depuis la loi de finances 2021, fixé à 15%. Certaines entreprises - comme celles du secteur financier, des télécommunications ou les sociétés pétrolières -, sont censées payer un impôt de 35%.

Sauf que nombre d’entre elles réussissent à réduire cet impôt à travers divers avantages fiscaux, instaurés dans une logique d’incitation à l’investissement. Ainsi, et à titre d’exemple les sociétés cotées en bourse - sauf exceptions mentionnées dans la loi - bénéficient d’un tarif réduit à 20%.

À travers un habile jeu d'abattements et d’avantages fiscaux divers, les sociétés tunisiennes ayant pu s’introduire en bourse réussissent à limiter leur imposition, sans même violer la loi.

Dans cette infographie interactive, inkyfada a regroupé 80 sociétés et indiqué leur taux d’imposition, la somme correspondante, le bénéfice comptable et leur bénéfice fiscal en 2021. La moyenne indique le taux d’imposition moyen pour l’ensemble des compagnies.

Le deuxième onglet regroupe les mêmes entreprises et permet de voir ces informations selon le secteur : industrie, biens de consommations, matériel, technologie, santé, services, finances ainsi que pétrole et gaz. La moyenne du taux d’imposition est indiqué pour chaque domaine.

 

Comparé aux autres entreprises cotées en bourse, ces sociétés payent en moyenne moins d'impôt sur les sociétés que la moyenne effective de 11,6%.
vue d'ensemble
Moyenne effective de l'impôt sur les sociétés payé par ces entreprises. Selon la loi, ces sociétés devraient payer 20% d'IS : elles profitent d'un abattement fiscal car elles sont cotées en bourse.
En raison de leur déficit, ces sociétés cotées en bourse ne payent pas d'impôt sur les sociétés.

En analysant les résultats fiscaux et les taux d’imposition des 80 entreprises tunisiennes cotées en bourse, inkyfada montre que les impôts de ces entreprises sont bien loin des 35%, voire des 20% prévus par la loi. En moyenne, elles ne paient que 11,6% d’impôts. À titre d’exemple, le secteur industriel est le plus avantagé : en moyenne, les groupes industriels ne paient que 8% d’impôts alors que la loi prévoit 15%.

Le secteur financier fait partie des “bons élèves” avec un taux d’imposition de 26% en moyenne. Pourtant, c’est encore loin des 35% prévus par la loi.

L’ensemble de ces données montre à quel point la fiscalité tunisienne privilégie les entreprises au détriment des citoyen·nes. Pour Amine Bouzaiene, chercheur en matière d’équité sociale et fiscale, l’ensemble du système fiscal tunisien représente une “injustice fiscale”. Pour y remédier, il recommande une restauration de l’impôt sur le revenu à 25%, des taux spécifiques à 15% pour les PME et les petites entreprises ou encore l’instauration d’un impôt sur les grandes fortunes.