15 septembre, chronique de la chute d’un système

En ce dimanche ensoleillé de septembre, candidat·es, équipes de campagne et militant·es se préparent pour une longue journée. Les heures défilent, le soleil se couche et les mines s'assombrissent dans les QG de campagne. À deux exceptions près, inédites. De 8h à 23h, récit de la chute d'un système, en images.
Par | 19 Septembre 2019 | reading-duration 20 minutes

Disponible en arabe

8H - le départ

À La Marsa, dans la banlieue nord de Tunis, Abdelfattah Mourou voulait être parmi les premier·es électeurs et électrices à se diriger vers son bureau de vote. Vers 8h du matin, il se rend souriant, en compagnie de son épouse, ses enfants et ses petits-enfants à l’école Taïeb Mhiri, où il est inscrit.

La Marsa, Tunis. 8h. Abdelfattah Mourou, candidat d’Ennahdha à l’élection présidentielle, attendra près d’une heure avant de pouvoir voter à l’école Taïeb Mhiri. Les assesseur·es d’une partie des bureaux sont arrivé·es en retard. Crédit photo : Thierry Brésillon pour Inkyfada.

9H

Mais certain·es assesseur·es n’étaient pas aussi ponctuel·les que le candidat d’Ennahdha à l’élection présidentielle. Comme environ 30% des bureaux de vote du pays, le sien n’a pas ouvert à l’heure prévue et ce n’est qu’une heure plus tard qu’il pourra glisser son bulletin dans l’urne. 

La Marsa, Tunis. 9h. Abdelfattah Mourou, candidat d’Ennahdha à l’élection présidentielle, a voté le matin tôt, accompagné de sa femme, ses enfants et ses petits-enfants. Crédit photo : Thierry Brésillon pour Inkyfada.

La Marsa, Tunis. Abdelfattah Mourou, candidat d’Ennahdha à l’élection présidentielle, à la sortie du bureau de vote. Crédit photo : Thierry Brésillon pour Inkyfada.

Au même moment, à quelques dizaines de mètres de là, un mouvement de foule et le crépitement des appareils photo annoncent l’arrivée de Youssef Chahed, en compagnie de son épouse. Sur le chemin de l’école où il doit voter, le chef du gouvernement, costume sans cravate et cheveux gominés, se donne un air confiant et échange quelques mots avec les passant·es.

La Marsa, Tunis. 9h. Youssef Chahed, chef du gouvernement et candidat de Tahya Tounes à l’élection présidentielle s’apprête à voter en compagnie de sa femme. Crédit photo : Mohamed Klaii, Artriprod, pour Inkyfada.

Mais le candidat de Tahya Tounes à l’élection présidentielle n’entend pas s’éterniser. Après avoir voté, il répond à quelques questions de journalistes et repart rapidement. Tout comme Slim Azzabi, son directeur de campagne et secrétaire général du parti. Ce dernier a voté discrètement, dans une autre école de la ville. Les deux hommes ne réapparaîtront que plus tard dans la soirée, le temps pour Youssef Chahed d’annoncer sa défaite, sous le regard hagard de son bras droit. 

La Marsa, Tunis. Youssef Chahed, chef du gouvernement et candidat de Tahya Tounes à l’élection présidentielle, dans son bureau de vote entouré de nombreux·ses journalistes. Crédit photo : Mohamed Klaii, Artriprod, pour Inkyfada.

10H

La Marsa, Tunis. 10h. Slim Azzabi, secrétaire général de Tahya Tounes et directeur de campagne de Youssef Chahed a voté discrètement, en famille. Crédit photo : Mohamed Klaii, Artriprod, pour Inkyfada.

Au quartier général de Abir Moussi, rien ne presse. Son portrait trône sur une commode, dans la pièce principale. Les canapés et autres chaises de bureaux sont vides. L’équipe de campagne est allée voter ou vaquer à d’autres occupations, en attendant l’arrivée de la candidate du Parti destourien libre (héritier de certaines franges du RCD, parti dissous de Ben Ali), en début d’après-midi.

La Marsa, Tunis. Dans la matinée, au quartier général de Abir Moussi, candidate du Parti destourien libre à l’élection présidentielle. Crédit photo : Khaldoun Okkez, pour Inkyfada.

Pendant ce temps, Abdelfattah Mourou, l’enfant rebelle du mouvement islamiste Ennahdha, est retourné chez lui pour profiter d’un moment en famille. Dans un salon richement meublé, entouré de milliers d’objets, bibelots, livres et autres objets de collection, il refuse toute déclaration, disant craindre de rompre le silence électoral. Ce n’est qu’après la fermeture des bureaux de vote qu’il se rendra à son QG de campagne, même si les résultats ne seront pas à la hauteur de ses attentes. 

La Marsa, Tunis. Après avoir voté, Abdelfattah Mourou, candidat d’Ennahdha à l’élection présidentielle, est retourné chez lui, entouré de sa famille et de ses quelque 20.000 pièces de collection. Crédit photo : Thierry Brésillon pour Inkyfada.

La Marsa, Tunis. Abdelfattah Mourou, candidat d’Ennahdha à l’élection présidentielle, en compagnie de sa femme. Crédit photo : Thierry Brésillon pour Inkyfada.

À quelques kilomètres de là, dans l’école primaire des Berges du Lac, Salwa Smaoui est sur le point de voter. Accroché à la chaîne de son collier, un pendentif en forme de cœur rappelle le nom du parti Qalb Tounes, le “Cœur de la Tunisie”. C’est le parti de son époux et candidat à la présidentielle, Nabil Karoui.  

Berges du Lac 1, Tunis. 10h50. Salwa Smaoui, épouse de Nabil Karoui, candidat de Qalb Tounes à l’élection présidentielle, dans son bureau de vote. Crédit photo : Augustin Le Gall pour Inkyfada.

Mais ce dernier, un des favoris de l’élection présidentielle, ne pourra pas voter. Il est détenu dans la prison de La Mornaguia depuis le 23 août dernier, accusé d’évasion fiscale et de blanchiment d’argent. Le parti et l’épouse du candidat ont mené sa campagne, sans lui. 

Berges du Lac 1, Tunis. Salwa Smaoui, épouse de Nabil Karoui, candidat de Qalb Tounes à l’élection présidentielle, à la sortie du bureau de vote. Crédit photo : Augustin Le Gall pour Inkyfada.

11H

Au même moment, à moins de deux heures de route, le ministre de la Défense profite de son dernier jour de congé électoral pour se rendre aux urnes, près de son domicile familial, à Sousse. Le candidat indépendant, soutenu par plusieurs partis politiques, dont Nidaa Tounes et Afek Tounes, ne réapparaîtra pas. À Tunis, dans une maison des Berges du Lac, son équipe de campagne vivra sans lui l’angoisse d’une longue journée d’attente, avant la confirmation de sa défaite. 

Sousse. 11h. Abdelkarim Zbidi, ministre de la Défense et candidat indépendant à l’élection présidentielle s’apprête à voter. Crédit photo :  Saif Fradj pour Inkyfada.

Sousse. Abdelkarim Zbidi, ministre de la Défense et candidat indépendant à l’élection présidentielle, après avoir voté. Crédit photo. Saif Fradj pour Inkyfada.

Retour à Tunis. Plus exactement à Ouardia, dans la banlieue sud. Mohamed et Samia Abbou s’apprêtent à quitter leur domicile familial pour se prêter au jeu électoral. Avec sa posture combative et son éternelle moustache, Mohamed Abbou, candidat du Courant démocrate, aura pourtant mené sa première course à la présidentielle sans coup d'éclat. 

Ouardia, Tunis. 11h30. Mohamed Abbou, candidat du Courant démocrate à l’élection présidentielle, quitte son domicile en compagnie de son épouse Samia Abbou et de quelques membres de sa famille, pour se rendre à son bureau de vote. Crédit photo : Hammadi Lassoued pour Inkyfada.

Derrière son bureau, Kaïs Saïed se tient droit comme un piquet. Accrochée au mur, une affiche illustre la carte d’une Tunisie verte. Deux bras levés s’y greffent pour maintenir une balance en équilibre, symbolisant la justice. Sous la carte est inscrit le slogan de campagne de ce candidat indépendant et atypique : “Le peuple veut”, un slogan largement scandé dans les manifestations après le déclenchement de la révolution. Une heure auparavant, Kaïs Saïed était à Ennasr, près de chez lui, pour se rendre à son bureau de vote, en compagnie de son frère, son épouse et deux agents de la garde présidentielle qui assurent sa sécurité.

Rue Ibn Khaldoun, Tunis. 11h45. Après avoir voté à Ennasr 2, près de chez lui, Kaïs Saïed, candidat indépendant à l’élection présidentielle, dans son quartier général. Crédit image : Malek Khadhraoui pour Inkyfada.

Un appartement exigu situé dans un vieil immeuble de la rue Ibn Khaldoun, dans le centre de Tunis, lui sert ponctuellement de QG de campagne. Ses sympathisant·es et autres  “bénévoles” ne sont pas encore arrivé·es. Le séjour est modestement meublé de tables et chaises en plastique et d’une télévision accrochée au mur. Un des agents de la garde présidentielle suit le déroulement des élections sur Nessma TV, la chaîne du principal concurrent de Kaïs Saïed, Nabil Karoui. 

Rue Ibn Khaldoun, Tunis. Un des agents de la garde présidentielle qui assure la sécurité de Kaïs Saïed au quartier général du candidat. Crédit photo : Malek Khadhraoui pour Inkyfada.

12H

Poursuivi en Justice, Nabil Karoui, a été placé en détention préventive une semaine avant le coup d’envoi officiel de la campagne électorale. La justice a ensuite rejeté les demandes de libération de ses avocats et l’intéressé affirme avoir entamé une grève de la faim pour revendiquer son droit de voter. 

Berges du Lac, Tunis. Quartier général du parti Qalb Tounes, dans le bureau de Nabil Karoui, candidat à l’élection présidentielle. Ce dernier est en détention préventive à la prison de La Mornaguia depuis le 23 août 2019. Crédit photo : Augustin Le Gall pour Inkyfada.

Leur droit de vote, Mohamed et Samia Abbou l’ont exercé avec un sourire de circonstance, face aux caméras, dans une école de leur quartier. "Malgré tout l'argent politique et les médias partisans qui ont dominé durant ces deux semaines et même avant, personne ne peut prédire les résultats de ces élections. Quel que soit ce résultat, nous sommes fiers de la campagne que nous avons menée”, a déclaré Mohamed Abbou. Pour autant, quelques heures plus tard, en prenant connaissance de ces résultats qui le créditent d’à peine 4% des voix exprimées, il ne cachera pas sa déception, ni son amertume.

Ouardia, Tunis. 12h. Mohamed Abbou, candidat du Courant démocrate à l’élection présidentielle, a voté entouré de journalistes et de photographes. Crédit photo : Hammadi Lassoued pour Inkyfada.

"Certains disent que Mohamed Abbou a révisé son idéologie. Ce qui n'est pas du tout vrai. Il était juste mal compris. Il est progressiste et défend les droits humains dans leur universalité. Seulement les médias et ses détracteurs le présentent comme un conservateur, ce qu’il n’est pas", rassure de son côté Samia Abbou. Mais il est déjà trop tard. 

Ouardia, Tunis. Samia Abbou, députée Courant démocrate à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) a voté en même temps que son époux, Mohamed Abbou, candidat du même parti à l’élection présidentielle. Crédit photo : Hammadi Lassoued pour Inkyfada.

Au quartier général, les militant·es du Courant démocrate ne chôment pas. Il faut suivre le déroulement du scrutin, tenter de connaître les tendances et centraliser les informations données par les centaines d’observateurs et observatrices disséminé·es sur l’ensemble du territoire. 

Centre-ville de l’Ariana. Quartier général du Courant démocrate, parti de Mohamed Abbou, candidat à l’élection présidentielle. Crédit photo : Hammadi Lassoued pour Inkyfada.

14H -l'absence

Dans le QG de son parti, Nabil Karoui est le grand absent. Partout, des autocollants et des affiches tentent de rappeler la présence du candidat. 

Berges du Lac, Tunis. Quartier général du parti Qalb Tounes en l’absence de son candidat à la présidentielle, Nabil Karoui, emprisonné à la prison de La Mornaguia depuis le 23 août 2019. Crédit photo : Augustin Le Gall pour Inkyfada.

À partir de 14h, une autre absence commence à inquiéter. Celle des électeurs et électrices qui ont décidé de bouder les urnes. À la mi-journée, le taux de participation estimé à 16% au niveau national ne décolle pas et les incertitudes quant à l'issue du scrutin grandissent. 

La Marsa, Tunis. Au quartier général de Abir Moussi, candidate du Parti destourien libre à l’élection présidentielle. Sur l’écran de télévision, l'ISIE, l’Instance en charge de l’organisation des élections, communique les taux de participation à la mi-journée. Crédit photo : Khaldoun Okkez pour Inkyfada.

15H

Au QG de Mohamed Abbou, les militant·es cherchent à détendre une atmosphère de plus en plus pesante. Pronostics, échanges d'informations, anecdotes de terrain... Il faut surtout combler le stress de l'attente et se remonter le moral, en prévision d'un éventuel échec. "De toute façon, ce soir, nous allons faire la fête ! Nous allons fêter les efforts fournis par des bénévoles convaincues, les succès au niveau de l'organisation, de la communication et surtout la maturité politique que nous avons réussi à acquérir", assure Siwar, étudiante et militante du parti depuis 2014. 

Centre-ville de l’Ariana. L’équipe de campagne de Mohamed Abbou, candidat du Courant démocrate à l’élection présidentielle, dans la salle d’opération de l’observation des élections du parti. Crédit photo : Hammadi Lassoued pour Inkyfada.

Parce qu'elle porte le chiffre 3 sur son bulletin de vote, Abir Moussi a décidé qu'elle devait voter à 15h (3 heures de l'après-midi). Mais à l'heure dite, elle arrive à son QG, affirmant à voix basse aux membres de son équipe qu'on lui aurait demandé de se retirer au profit de Abdelkarim Zbidi. Chacun donne son avis, s'agite, mais il faut bien prendre la direction du bureau de vote. La candidate est déjà en retard.

El Menzah 1, Tunis. 15h30. Abir Moussi, candidate du Parti destourien libre à l’élection présidentielle, accompagnée de son équipe et de ses filles, s’est rendue à son bureau de vote depuis son QG de La Marsa. Crédit photo : Khaldoun Okkez pour Inkyfada.

Au même moment, sur les réseaux sociaux, des pages Facebook favorables à Abdelkarim Zbidi sponsorisent des posts dont le contenu se veut alarmiste : Kaïs Saïed et Nabil Karoui seraient en tête des estimations des sondages à la sortie des urnes. Il ne reste que quelques heures pour mobiliser. 

El Menzah 1, Tunis. Abir Moussi, candidate du Parti destourien libre à l’élection présidentielle a voté, entourée de militant·es du parti et de sympathisant·es. Crédit photo : Khaldoun Okkez pour Inkyfada.

16H

Dans le QG de Youssef Chahed, chef du gouvernement et candidat de Tahya Tounes, les visages sont fermés. À la réception, l'accueil est froid et hostile. Les journalistes ne sont pas les bienvenu·es et les photos ne sont pas autorisées. Quelques personnes pressent le pas, au téléphone. Aucune information n'est communiquée. "Quelqu'un connaît le taux de participation ?", questionne un homme. "20%", répond un autre, sans lever les yeux.  

Zone industrielle de Charguia, Tunis. L’entrée déserte du quartier général de Tahya Tounes, parti de Youssef Chahed, candidat à l’élection présidentielle. Crédit photo : Mohamed Klaii, Artriprod, pour Inkyfada.

Lafayette, Tunis. Locaux de Tahya Tounes, parti de Youssef Chahed, candidat à l’élection présidentielle. Depuis 20 jours, un groupe de jeunes de Kasserine observe un sit-in sur les marches de l’immeuble, réclamant que le plan contre le chômage décidé en 2016 soit totalement mis en oeuvre. Crédit photo: Haïfa Mzalouat pour Inkyfada.

Mohamed Abbou a rejoint les militant·es de son parti dans son QG de campagne. Les rumeurs concernant la possible victoire de Kaïs Saïed et de Nabil Karoui sont de plus en plus pressantes. À la télévision, Nabil Baffoun, président de l'ISIE, met en garde, sur un ton grave, contre le risque d'une abstention massive. "Allez voter pour sauver la révolution et le processus démocratique", exhorte-t-il. 

Centre-ville de l’Ariana. Au QG du Courant démocrate, parti de Mohamed Abbou, deux militants s’inquiètent du faible taux de participation à moins de deux heures de la fermeture des bureaux de vote. Crédit photo : Hammadi Lassoued pour Inkyfada.

"Les jeunes n'ont plus du tout confiance en la classe politique dans son ensemble. Cette défiance a commencé juste après les élections de 2014 et se poursuivra tant que ceux qui nous gouvernent s'obstineront à ignorer les revendications sociales et économiques" , commente Motez, un jeune militant du parti.

Centre-ville de l’Ariana. La tension monte au QG de Mohamed Abbou, candidat du Courant démocrate à l’élection présidentielle avant la fermeture des bureaux de vote. Crédit photo : Hammadi Lassoued pour Inkyfada.

17H - le doute

Fatma, femme d'affaires et membre du comité logistique depuis 2017 n'est pas aussi clémente.  "J'ai vraiment la rage ! Les Tunisiens sont soit passifs et ne s'intéressent pas à la politique soit ils font des choix basés uniquement sur l'émotion. Que savent-ils de Kaïs Saïed, Abdelkarim Zbidi ou Nabil Karoui ? Rien ! Saïed par exemple n'est qu'un phénomène créé par les médias, qui donne l'image d'un intellectuel soi-disant spécialiste de la Constitution... Je pense que nous méritons la classe politique qui nous gouverne", assène-t-elle. 

Centre-ville de l’Ariana. Mohamed Abbou, candidat du Courant démocrate à l’élection présidentielle. Crédit photo : Hammadi Lassoued pour Inkyfada.

L'équipe de Abir Moussi est tout aussi inquiète. L'atmosphère est électrique et les militant·es à bout de nerfs. La candidate tente, tant bien que mal, de comprendre les estimations qui lui parviennent. 

La Marsa, Tunis. 17h56. Au QG de Abir Moussi, candidate du Parti destourien libre à l’élection présidentielle, la tension monte à quelques minutes de la fermeture des bureaux de vote. Crédit photo : Khaldoun Okkez pour Inkyfada.

18H

"On pensait qu'on allait passer au second tour !"

La Marsa, Tunis. Après la fermeture des bureaux de vote. Au QG de Abir Moussi, candidate du Parti destourien libre à l’élection présidentielle, les premières tendances remontent et l’inquiétude grandit. Crédit photo : Khaldoun Okkez pour Inkyfada.

19H

Après la fermeture des bureaux de vote, les tendances se confirment. Des représentant·es du parti communiquent leurs résultats depuis les bureaux où ils et elles se trouvent. Abir Moussi convoque alors une réunion d'urgence pour faire le point. La tristesse et l'incompréhension se lit sur les visages. Puis le rideau tombe, définitivement. 

La Marsa, Tunis. Abir Moussi, candidate du Parti destourien libre à l’élection présidentielle, reçoit les premiers résultats. Crédit photo : Khaldoun Okkez pour Inkyfada.

La Marsa, Tunis. Abir Moussi, candidate du Parti destourien libre à l’élection présidentielle, a reçu les résultats des sondages avant leur annonce. Elle ne fera pas de déclaration et convoque une réunion à huis clos quelques instants plus tard. Crédit photo : Khaldoun Okkez.

Dans le petit appartement de la rue Ibn Khaldoun, une dizaine de militant·es ont rejoint Kaïs Saïed et attendent les résultats des sondages. L'annonce est prévue à 20h. Le frère du candidat est confiant mais ne souhaite pas spéculer davantage avant toute confirmation. "J'espère que le taux de participation s'est amélioré", dit-il. 

Rue Ibn Khaldoun, Tunis. L’équipe de campagne de Kaïs Saïed attend l’annonce des résultats des sondages, prévue à 20h. Crédit photo : Malek Khadhraoui pour Inkyfada.

Sonia, ancienne élève de Kaïs Saïed, est aujourd'hui bénévole à ses côtés. Elle ne cesse de recevoir des appels téléphoniques de jeunes bénévoles dans les régions. "Je t'aime, mon enfant", leur dit-elle à chacun·e, avant de raccrocher. 

"Les gens que tu vois ici font partie de l'équipe de campagne. Ils sont de différentes générations, étudiants ou professeurs. Je n'ai pas de rôle particulier parce qu'il n'y a pas de répartition des rôles. On n'a pas de directeur de campagne, pas de porte-parole... Chacun fait avec ce qu'il peut. On a sillonné le pays avec deux voitures. On a dormi dans des maisons de jeunes, des foyers ou parfois même chez l'habitant", explique Wissem, un autre bénévole.

Rue Ibn Khaldoun, Tunis. L’équipe de campagne de Kaïs Saïed au QG du candidat indépendant à l’élection présidentielle. Crédit photo : Malek Khadhraoui pour Inkyfada.

Au QG de Nabil Karoui, l'ambiance est sensiblement différente. Sans attendre l'annonce des résultats des sondages, les partisans de Qalb Tounes fêtent déjà la victoire de leur candidat. Ce dernier serait en deuxième position derrière Kaïs Saïed et passerait donc au second tour de l'élection présidentielle. 

Aïn Zaghouan, Tunis. Au siège de la campagne du parti Qalb Tounes, l’équipe de campagne de Nabil Karoui n’a pas attendu l’annonce des résultats des sondages pour célébrer le passage attendu de leur candidat au second tour. Crédit photo : Augustin Le Gall pour Inkyfada.

Aïn Zaghouan, Tunis. Au siège de la campagne du parti Qalb Tounes, l’équipe de campagne de Nabil Karoui se félicite du passage attendu de leur candidat au second tour. Crédit photo : Augustin Le Gall pour Inkyfada.

Aïn Zaghouan, Tunis. Au siège de la campagne du parti Qalb Tounes, malgré l’absence de Nabil Karoui, en détention depuis le 23 août 2019, les militant·es fêtent le passage de leur candidat au second tour. Crédit photo : Augustin Le Gall pour Inkyfada.

Mais au siège de la campagne du candidat d'Ennahdha, les signaux se brouillent. Les estimations préliminaires des instituts de sondage et les remontées de terrain se contredisent. Abdelfattah Mourou pourrait encore avoir des chances de l'emporter sur Nabil Karoui et le parti de Rached Ghannouchi - arrivé avec des fleurs et des gâteaux - ne s'avoue pas encore vaincu, pour le moment. Ces informations circulent sur les réseaux sociaux et laissent planer un doute. 

El Manar 2. 19h20. Arrivée de Rached Ghannouchi, président d’Ennahdha, au siège de la campagne d’Abdelfattah Mourou, candidat du parti à l’élection présidentielle. Crédit photo : Thierry Brésillon pour Inkyfada.

Malgré les prévisions "décevantes", les militant·es du Courant démocrate sont venu·es nombreux·ses au siège de la campagne. "Nous sommes gagnants dans tous les cas ! La victoire est celle de notre solidarité et de notre dévouement", lance Samia Abbou. "Des rumeurs courent sur la fuite de Chahed", plaisante-t-elle. De quoi détendre l'atmosphère. 

Centre-ville de l’Ariana. Mohamed Abbou, candidat du Courant démocrate à l’élection présidentielle entouré de militantes du parti, ne cache pas sa déception. Crédit photo: Hammadi Lassoued pour Inkyfada.

Une plaisanterie qui ne serait certainement pas passée au QG de Youssef Chahed, où le calme apparent ajoute à la morosité ambiante. Les médias sont toujours tenus à distance et à peine une dizaine de personnes sont présentes, discutant à voix basse des résultats attendus. L'atterrissage s'annonce compliqué. 

Zone industrielle de Charguia, Tunis. L’équipe de campagne, sur les nerfs, n’autorise personne à accéder au quartier général de Tahya Tounes, parti de Youssef Chahed, candidat à l’élection présidentielle. Crédit photo: Haïfa Mzalouat, pour Inkyfada.

Aux Berges du Lac, l'équipe de campagne de Abdelkarim Zbidi, actuel ministre de la Défense, ne réalise toujours pas. Des rumeurs courent selon lesquelles l'ISIE aurait décidé de prolonger d'une heure l'ouverture des bureaux de vote. Mais très vite, il faut se faire à l'évidence. "On n'a que ce qu'on mérite, on est au second tour contre Youssef Chahed", regrette une membre de l'équipe, en référence à la guerre fratricide qui a opposé les deux camps. "On n'a plus que 20 dinars dans les caisses", plaisante un autre. Certain·es regardent la télévision, d'autres scrutent l'écran de leur téléphone.  "Chut !". À quelques instants de l'annonce des résultats, c'est le silence. 

Berges du Lac 1, Tunis. Au siège de la campagne de Abdelkarim Zbidi, candidat indépendant à l’élection présidentielle, peu de temps avant l’annonce des résultats des sondages.  Crédit photo : Hortense Lac pour Inkyfada.

Berges du Lac 1, Tunis. Abdelkarim Zbidi, candidat indépendant à l’élection présidentielle, n’a pas fait le déplacement au siège de sa campagne. L’équipe et les sympathisant·es attendent les résultats des sondages avec inquiétude. Crédit photo : Abdelkader Tazarki pour Inkyfada.

20H - L'annonce

Rue Ibn Khaldoun, Tunis. 20h. L’équipe de campagne de Kaïs Saïed à l’annonce des résultats des sondages. Leur candidat arrive en tête, devant Nabil Karoui, candidat de Qalb Tounes. Crédit photo : Malek Khadhraoui pour Inkyfada.

Aïn Zaghouan, Tunis. Au siège de la campagne du parti Qalb Tounes, les portraits de Nabil Karoui sont accrochés au moment des résultats des sondages prévus à 20h. Crédit photo : Augustin Le Gall pour Inkyfada.

Rue Ibn Khaldoun, Tunis. À gauche, Ridha El Mekki, plus connu sous le nom de Ridha “Lénine” est un militant connu des mouvements de la gauche radicale tunisienne. Il célèbre la victoire annoncée de son candidat Kaïs Saïed arrivé en tête du premier tour de l’élection présidentielle. Crédit photo : Malek Khadhraoui pour Inkyfada.

Aïn Zaghouan, Tunis. Au siège de la campagne du parti Qalb Tounes, les sympathisant·es de Nabil Karoui poursuivent les festivités, en l’absence de leur candidat. Crédit photo : Augustin Le Gall pour Inkyfada.

Rue Ibn Khaldoun, Tunis. À gauche, Ichraf Chebil, magistrate et épouse de Kaïs Saïed, apprend la victoire de son mari, arrivé largement en tête selon les différents sondages. Crédit photo : Malek Khadhraoui.

Aïn Zaghouan, Tunis. Au siège de la campagne du parti Qalb Tounes, la deuxième place se confirme pour Nabil Karoui après l’annonce officielle des sondages. Crédit photo : Augustin Le Gall pour Inkyfada.

Rue Ibn Khaldoun, Tunis. L’institut de sondage Sigma Conseil révèle le nom des deux candidats qui accèderont au second tour de l’élection présidentielle. Kaïs Saïed était alors crédité de 19,5% des votes exprimés, devant Nabil Karoui, crédité de 15,5%. Crédit photo : Malek Khadhraoui pour Inkyfada.

Au QG de Mohamed Abbou, c'est la stupéfaction. Le candidat du Courant démocrate n'est crédité que de 4% des voix et se place à la neuvième ou dixième position, selon les estimations. Dans la zone industrielle de Charguia, les sympathisant·es de Youssef Chahed réagissent à peine. Les regards sont vides. Tandis que du côté d’Ennahdha, c’est la douche froide et les règlements de compte se font à huis clos, à l’étage. 

Centre-ville de l’Ariana. Au QG de Mohamed Abbou, candidat du Courant démocrate à l’élection présidentielle, la tristesse et la déception se lisent sur les visages des militant·es après l’annonce des résultats. Crédit photo : Hammadi Lassoued pour Inkyfada.

Zone industrielle de Charguia, Tunis. L’atmosphère est glaciale au QG de Youssef Chahed, candidat de Tahya Tounes à l’élection présidentielle. Ce dernier arrive en cinquième position, loin derrière le duo de tête. Crédit photo : Haïfa Mzalouat, pour Inkyfada.

El Manar 2. Au siège de la campagne d’Abdelfattah Mourou, candidat d’Ennahdha, les estimations des sondages contredisent les remontées des résultats des bureaux de vote réceptionnées par l’équipe de campagne. Crédit photo : Thierry Brésillon pour Inkyfada.

Berges du Lac 1, Tunis. Au siège de la campagne de Abdelkarim Zbidi, candidat indépendant à l’élection présidentielle, les sympathisant·es découvrent les estimations des sondages. Crédit photo : Abdelkader Tazarki pour Inkyfada.

"Vous ne devez pas perdre espoir ! Ces résultats ne doivent pas nous décourager. (...) Je souhaite qu'on reprenne le travail le plus tôt possible et qu'on soit francs avec les électeurs, leur dire directement qu’ils ont fait un mauvais choix. Entre un candidat mystérieux qui n'a aucun passé politique et qui affiche des positions conservatrices et un mafieux qui a financé sa campagne par l'argent sale et le blanchiment d'argent, la conscience des Tunisiens est encore loin d'être mûre et ouverte à un vrai changement.", déclare Mohamed Abbou, devant ses sympathisant·es. 

Centre-ville de l’Ariana. Mohamed Abbou, candidat du Courant démocrate à l’élection présidentielle entouré de miliant·es du parti, ne cache pas sa déception. Crédit photo: Hammadi Lassoued pour Inkyfada.

Centre-ville de l’Ariana. Mohamed Abbou, candidat du Courant démocrate à l’élection présidentielle accuse le coup de sa défaite annoncée. Crédit photo : Hammadi Lassoued pour Inkyfada.

"Ces résultats sont très décevants pour moi. Je m'attendais au double en terme de nombre de vote. Abbou était le seul candidat clair et sincère sur ses promesses dans le cadre des prérogatives du président de la République. Il était loin du populisme. Et nous avons travaillé dur pour gagner la confiance des citoyens. Hélas ! La volonté du peuple était autre !", se résigne un membre de l'équipe de campagne .

Centre-ville de l’Ariana. Les militant·es du Courant démocrate applaudissent Mohamed Abbou, après l’annonce de sa défaite. Crédit photo : Hammadi Lassoued pour Inkyfada.

Au siège de la campagne de Abdelkarim Zbidi, certain·es ne veulent toujours pas se faire à l’évidence et l’inquiétude laisse place à la colère. “Ce résultat est faux ! L’ISIE est encore en train de récolter les résultats ! Notre famille politique doit se rassembler !”, dit une sympathisante. 

Berges du Lac 1, Tunis. Au siège de la campagne de Abdelkarim Zbidi, les sympathisant·es réalisent la défaite de leur candidat, arrivé en quatrième position derrière Kaïs Saïed, Nabil Karoui et Abdelfattah Mourou. Crédit photo : Abdelkader Tazarki pour Inkyfada.

“On a cru en Kaïs Saïed depuis 2011. C'est le seul qui s'est intéressé aux jeunes. C'est le seul à porter les valeurs de la révolution. On a fait une campagne sans moyens. La famille du candidat a fait une collecte pour rassembler l'argent du dépôt de candidature. On n’a rien dépensé ou presque. Nous ne sommes soutenus par aucun homme d'affaire, aucun baron local”, se satisfait un membre de l’équipe de campagne du candidat arrivé en tête du premier tour.  

Rue Ibn Khaldoun, Tunis. Ichraf Chebil, magistrate et épouse de Kaïs Saïed, s’isole pour répondre aux nombreux appels téléphoniques qu’elle reçoit. Crédit photo : Malek Khadhraoui pour Inkyfada.

Passé·e l’euphorie ou le choc des résultats, l’heure est aux discours, à la résignation ou à la remise en cause. Les militant·es de la rue Ibn Khaldoun et les quelques journalistes sur place rejoignent Kaïs Saïed resté seul dans son bureau, pour écouter son discours. À Aïn Zaghouan, Salwa Smaoui lit une lettre de son époux Nabil Karoui. Samir Dilou, directeur de campagne d’Ennahdha dit vouloir attendre les résultats officiels de l’ISIE avant de se prononcer. Youssef Chahed, arrivé en fin de soirée pour une brève déclaration aux médias, appelle sa “famille” politique à se rassembler pour les législatives et à tirer les leçons de ce scrutin, tandis qu’au QG de Mohamed Abbou, certain·es relativisent, malgré la déception. “Le seul côté positif de ces élections est la gifle donnée à l’ancien régime. L’ancienne machine du RCD pensait avoir la main sur les élections. Maintenant nous savons qu’elle a été battue, au moins pour une période”, dit un militant. Abdelkarim Zbidi et Abir Moussi ne réapparaîtront pas. 

Rue Ibn Khaldoun, Tunis. Kaïs Saïed, candidat à l’élection présidentielle, seul dans son bureau après l’annonce de sa victoire. Crédit photo : Malek Khadhraoui pour Inkyfada.

Rue Ibn Khaldoun, Tunis. Kaïs Saïed, candidat à l’élection présidentielle, embrasse le drapeau tunisien devant les militant·es et journalistes, avant de prononcer un discours. Crédit photo : Malek Khadhraoui pour Inkyfada.

Aïn Zaghouan, Tunis. Au siège de campagne du parti Qalb Tounes, les sondages ont confirmé la deuxième place de Nabil Karoui, lui permettant de passer au second tour de l’élection présidentielle. Crédit photo : Augustin Le Gall pour Inkyfada.

El Manar 2. Au siège de la campagne d’Abdelfattah Mourou. C’est Samir Dilou, directeur de campagne, qui prononce un discours à la place de son candidat, après l’annonce des estimations des sondages. Il déclare souhaiter attendre les résultats officiels de l’ISIE avant de se prononcer sur une éventuelle défaite. Crédit photo : Thierry Brésillon pour Inkyfada.

Aïn Zaghouan, Tunis. Au siège de la campagne du parti Qalb Tounes, Salwa Smaoui, l’épouse de Nabil Karoui, suit le détail des estimations des sondages à la sortie des urnes, après l’annonce des résultats. Crédit photo : Augustin Le Gall pour Inkyfada.

Berges du Lac 1, Tunis. 20h50. Au siège de la campagne de Abdelkarim Zbidi, les sympathisant·es sont toujours sous le choc après l’annonce des résultats. Crédit photo : Abdelkader Tazarki pour Inkyfada.

21H

Berges du Lac 1, Tunis. 20h50. Au siège de la campagne de Abdelkarim Zbidi, les sympathisant·es restent incrédules après la défaite de leur candidat arrivé en quatrième position. Crédit photo : Abdelkader Tazarki pour Inkyfada.

Berges du Lac 1, Tunis. 20h50. Au siège de la campagne de Abdelkarim Zbidi, l’inquiétude, le désarroi et la colère s’inscrivent durablement sur les visages des sympathisant·es. Crédit photo : Abdelkader Tazarki pour Inkyfada.

El Manar 2. Rached Ghannouchi, président d’Ennahdha, au siège de la campagne d’Abdelfattah Mourou. Le candidat arrivé en troisième position descend les marches, en arrière-plan, en compagnie de son directeur de campagne. Crédit photo : Thierry Brésillon pour Inkyfada.

El Manar 2. Abdelfattah Mourou et son directeur de campagne, Samir Dilou, après l'annonce des résultats. Crédit photo : Thierry Brésillon pour Inkyfada.

22H

Zone industrielle de Charguia, Tunis. Slim Azzabi, secrétaire général de Tahya Tounes, écoute le discours de Youssef Chahed, après sa défaite à l’élection présidentielle. Crédit photo : Mohamed Klaii, Artriprod, pour Inkyfada.

Zone industrielle de Charguia, Tunis. Youssef Chahed fait une déclaration à la presse, après sa défaite à l’élection présidentielle. Selon les premières estimations, il se place en cinquième position, derrière Kaïs Saïed, Nabil Karoui, Abdelfattah Mourou et Abdelkarim Zbidi. Crédit photo : Mohamed Klaii, Artriprod, pour Inkyfada.

La FIN

Aïn Zaghouan, Tunis. Au siège de la campagne du parti Qalb Tounes, Salwa Smaoui lit une lettre de son époux, Nabil Karoui, qui reste en détention préventive dans la prison de La Mornaguia. Derrière les barreaux, Nabil Karoui accède au second tour avec plus de 15% des suffrages exprimés. Crédit photo : Augustin Le Gall pour Inkyfada.

Rue Ibn Khaldoun, Tunis. Après une campagne atypique, sans financement ni parti politique, Kaïs Saïed se qualifie pour le second tour de la présidentielle avec plus de 18% des suffrages exprimés au premier tour. L’expression de son visage reste inchangée. Crédit photo : Malek Khadhraoui pour Inkyfada.

Crédit photo : Malek Khadhraoui pour Inkyfada.