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Des habitations délaissées
La famille vit à quelques kilomètres du village de Soualem et à une vingtaine de kilomètres de la ville de Makthar qui, comme l’ensemble des milieux communaux alentour, bénéficie des infrastructures minimales en termes de raccordement en eau et électricité. Mais malgré cette proximité, Nejma et Ezzahi se trouvent isolé·es.
Ils et elles ne sont pas seul·es dans ce cas : de nombreux et nombreuses habitant·es, disséminé·es dans les montagnes et campagnes des régions intérieures se sentent complètement délaissé·es par les politiques publiques.
“On est à l’époque d’internet, des gens sont montés dans l’espace et nous on vit comme ça ! Parfois je me lève et je me dis que j’aimerais ne pas me réveiller dans ce pays”, s’exclame Ezzahi.
Ezzahi et Nejma doivent se débrouiller afin de trouver de l’eau pour boire, se laver et abreuver leurs bêtes. Avec l’aide des enfants, cette famille récupère quotidiennement de l’eau dans les sources alentour, bien connues par les habitant·es de la région. Il leur arrive aussi de récolter l’eau de pluie, ou encore, quand leur situation financière le permet, d'acheter des citernes ou de l’eau à des vendeur·euses clandestin·es.
“On ne sait même pas si cette eau clandestine est potable ou pas”, commente Alaa Marzougui, président de l’association Nomad08 et de l’Observatoire tunisien de l’eau. Récupérée illégalement, “elle est généralement traitée dans des petits commerces de traitement des eaux et n’est pas contrôlée”. Selon le militant, les tarifs pratiqués pourraient être dix fois plus élevés que ceux de la SONEDE (Société nationale d’exploitation et de distribution des eaux) dont le tarif maximum est de 1,315 dinars par m³, soit 1000 litres.
Nejma et son fils Wael partent ensemble vers une source.
Une corvée quotidienne
Ezzahi, Nejma et leurs enfants vont récupérer l’essentiel de l’eau dans une source située à trois kilomètres de leur maison. Aucune route ne permet d’y accéder mais un chemin a fini par se créer, à force d’être emprunté par les habitant·es. Plusieurs fois par jour, pendant que son mari s’occupe du bétail, Nejma accroche quelques bidons sur les flancs d’un âne et part les remplir à la source. Lorsqu’il n’a pas école, Wael, son fils de dix ans, l’accompagne.
Ce jour-là, Ezzahi accompagne Nejma et Wael. Il s’arrête à mi-parcours pour montrer un point d’eau au bord du sentier : avant, c’était ici qu’il se réapprovisionnait. Mais il y a quelques années, un agriculteur se l'est appropriée pour irriguer ses champs, les obligeant à marcher jusqu’à une seconde source plus éloignée. C’est un phénomène courant selon Alaa Marzougui.
"Les grands agriculteurs s’accaparent les points d’eau et les détournent, même s’ils vivent plus loin que les habitants”, explique-t-il. Ce phénomène, bien qu’illégal, n’est presque jamais condamné.
Au niveau d’un autre point d’eau, Ezzahi s’indigne de nouveau. La source qui se trouve à quelques mètres n’est plus exploitable. Sans arrivée d’eau claire, elle nécessite un système de pompage pour être recueillie. Un robinet avait été installé mais celui-ci a été vandalisé et n’a toujours pas été réparé. Lui et sa famille doivent poursuivre leur route.
Arrivé·es à la source, Nejma et Wael doivent descendre par un chemin escarpé jusqu’aux points d’eau en contrebas. Wael s’occupe de récupérer de l’eau stagnante pour les animaux. Pendant ce temps, Nejma essaie de trouver une sortie d’eau claire dans la paroi. Elle filtre grossièrement cette eau au moyen d’un chiffon posé sur le bidon.
Nejma effectue ce trajet au moins deux fois par jour, et même “à trois ou quatre reprises les jours où ils prennent leur douche”. La famille essaie de rationner au maximum, au cas où la source serait inaccessible. C’est le cas lorsqu’il y a des fortes pluies et que le chemin est inondé. “S’il pleut, on ne peut même pas mettre un pieds dehors”, déplore Nejma, “on reste assoiffés”. Abattue, elle répète “Qu’est ce qu’on peut y faire ?”
Afin de limiter les déplacements, la famille a également installé un système de récupération d’eau de pluie, mais cela est loin d’être suffisant. En été, Ezzahi est contraint d’acheter des citernes pour pallier le manque d’eau, ce qui constitue une part importante de ses dépenses durant cette période.
Une politique d’État inexistante
Ezzahi, Nejma et leurs enfants sont loin d’être une exception dans les environs. 51% des ménages situés dans les zones isolées de Siliana n’ont pas l’eau courante selon les chiffres officiels de l’Institut national de statistiques (INS), alors que 99,9% des habitations en zone urbaine sont raccordées.
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Normalement, les habitations en zone rurale non raccordées à la SONEDE devraient être prises en charge par les “Groupements de développement agricole” (GDA). Ces associations créées par le ministère de l’Agriculture sont censées gérer des systèmes de pompage de l’eau à destination des habitant·es isolé·es. Mais elles sont accusées d’être corrompues et de ne pas effectuer leur travail.
“Beaucoup de ces GDA ne sont pas fonctionnels !” affirme Alaa Marzougui, le président de Nomad08, “c’est un problème de dettes, de mauvais entretien, de gestion….”
Depuis des années, des projets d’infrastructures sont prévus pour raccorder ces habitations au réseau d’eau potable de la SONEDE. En janvier 2016, le gouverneur de la région affirmait déjà que des “projets étaient en cours” et que “ce problème serait réglé une bonne fois pour toutes”. Pourtant, trois ans plus tard, en janvier 2019, les travaux n’ont toujours pas été entamés. “Nous avons fini l’étude fin 2017 et sommes maintenant en recherche de financements”, justifie Abdelhamid Mnajja, directeur de la desserte en eau potable et de l’équipement rural au ministère de l’agriculture.
Aujourd’hui, Ezzahi et Nejma n’attendent plus rien de la part de l’État. “Ils ne font que parler… Et ça fait 50 ans !”, s’exclame-t-il. Pour le père de famille, l’eau ne manque pas dans sa région mais elle n’est exploitée que par les grand·es agriculteur·trices et les personnes privilégiées. “L’eau est là. On a demandé une borne fontaine publique, avec un compteur pour que chacun paie sa part, mais en vain”, déplore-t-il. “On espère vraiment qu’ils vont trouver une solution. On a réclamé tout ça mille fois…” continue Nejma, “Nous, nous sommes là, oubliés... On est quand même tunisiens !”