Procès du “complot contre la sûreté” : chronique d’un effondrement judiciaire

Le 18 avril 2025, dans une salle d’audience bunkerisée, la justice tunisienne a prononcé des peines de prison allant de 13 jusqu’à 66 ans contre une quarantaine d’opposant·es, avocat·es, militant·es, ex-ministres ou figures de la société civile.
Par | 22 Avril 2025
5 minutes
Disponible en arabe
Le procès est qualifié de “mascarade judiciaire” par la défense, et est marqué par de graves violations du droit, selon un rapport publié par le CRLDHT. La nouvelle sur les condamnations est annoncée par l’agence Tunisie Afrique Presse (TAP) à 4h55 du matin, dans une brève sobre. Une stratégie de l’ombre, dénoncée comme révélatrice d’un pouvoir qui ne rend plus justice, mais qui la confisque. 

Modalités de tenue de l’audience

Selon un rapport du Comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l'Homme en Tunisie (CRLDHT) publié le 19 avril, l’audience s’est tenue à distance, les accusé·es ayant comparu par visioconférence, en opposition exprimée à cette modalité par leurs avocat·es.

  • La visioconférence a été imposée par décision administrative.
  • L'article 141 bis du Code de procédure pénale, qui régit la comparution à distance, aurait été contourné, selon la défense. 

Des lettres présentées comme provenant de prison ont été versées au dossier par le ministère public pour expliquer l’absence des prévenu·es à l’audience. Selon la défense, ces courriers posent problème à plusieurs niveaux :

  • Leur authenticité est contestée par les avocat·es ;
  • Certaines incohérences ont été relevées : l'une des lettres est attribuée à Jaouhar Ben Mbarek et présentée comme émise depuis la prison de Mornaguia, alors qu'il est incarcéré à la prison de Belli.

Requêtes en cours et contestations procédurales

Le rapport souligne que trois accusé·es avaient introduit des pourvois en cassation, entraînant en principe la suspension de la procédure au fond. Les trois accusé·es – M.K. Jendoubi, N. Ben Ticha et R. Chaïbi – avaient introduit des pourvois en cassation contre la décision de la chambre d’accusation.
En droit tunisien, ce type de discours suspend automatiquement la procédure au fond. Malgré cela, la chambre a poursuivi l’examen de l’affaire sans interruption, se contentant de radier les noms des trois personnes de la liste des inculpé·es, sans pour autant suspendre le procès dans son ensemble.

Le rapport qualifie cette démarche d’ “inédite”, soulignant qu’elle va à l’encontre des principes fondamentaux de la procédure pénale. 

En agissant ainsi, le tribunal se serait arrogé une compétence qu’il ne détient pas, contrevenant au principe de légalité des procédures. Par ailleurs, la défense a demandé la récusation du président de chambre, évoquant un possible conflit d’intérêts.

Conditions d’accès et déroulé de l’audience

L’accès au palais de justice a été restreint :

  • Un dispositif de sécurité renforcé a filtré l’entrée dès l’aube.
  • Seul un membre par famille a été autorisé à entrer dans la salle d'audience. 
  • Plusieurs avocat·es ont été contrôlé·es à l'entrée, certains et certaines étant empêché·es d'entrer sans justification. 

Concernant la couverture médiatique, une seule journaliste, présentée comme “issue d’un quotidien réputé proche du pouvoir” par le CRLDHT, a été autorisée à suivre l’audience. Les autres médias, nationaux comme internationaux, n’ont pas pu accéder à la salle et aucun observateur indépendant n’a été accrédité.

Le rapport relate également un incident survenu à l’extérieur du palais. Sana Ben Achour, professeure de droit et militante, a été interpellée alors qu’elle accompagnait les familles. Sa carte d’identité lui a été saisie par des agents de sécurité. L’incident n’a pas donné lieu à poursuites, mais a été signalé comme un fait notable par le CRLDHT.

Déroulé final et suspension de la séance

La séance aurait été suspendue à plusieurs reprises. Le président de chambre a brièvement tenté de relancer le procès en lisant l’ordonnance de clôture de l’instruction, avant de lever à nouveau la séance.

  • Les avocat·es ont annoncé leur retrait collectif, estimant que les conditions d’un procès équitable n’étaient pas réunies.
  • Aucune plaidoirie n'a eu lieu, ni réquisitoire complet du ministère public.
  • Le tribunal a délibéré dans lecture intégrale du dossier ni audition des parties. 

Réactions 

Le déroulement de cette audience a suscité des prises de position internationales :

  • Amnesty International évoque une procédure qui “ne respecte pas les normes du procès équitable”.
  • Human Rights Watch cite ce procès comme représentatif des évolutions actuelles en matière de liberté d'expression et de traitement judiciaire en Tunisie. 
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