Par rapport à 2023, le déficit budgétaire a ainsi augmenté de 42%.
Durant toute l'année 2023, l'écart s'est graduellement accentué, conduisant à un déficit budgétaire de 12,3 milliards de dinars, comme indiqué dans la loi de finances rectificative de 2023, et reste ainsi inchangé à 7,7 % du PIB pour la troisième année consécutive.
Pour combler ce manque et après l’échec des négociations avec le Fonds monétaire international (FMI), le gouvernement tunisien sollicite l'aide de la Banque centrale de Tunisie (BCT).
Le 25 janvier, le Conseil des ministres approuve ainsi un amendement au statut de la Banque centrale. Ce changement autorise la BCT à accorder un prêt exceptionnel de 7 milliards de dinars à l'État, sans intérêts, sur une période de dix ans, avec une période de grâce de trois ans. La décision a suscité des controverses, mettant en avant le risque potentiel de dépréciation du dinar tunisien sur les marchés internationaux, la diminution des réserves en devises, ainsi que l'impact sur l'inflation déjà estimé à 7.8% en février 2024.
Cette décision de "dernier recours" survient après plusieurs années durant lesquelles la Tunisie a rencontré des difficultés pour financer son budget. Outre la crise sanitaire liée au Covid-19 et le conflit en Ukraine ayant provoqué une augmentation des prix de l'énergie et des matières premières sur les marchés mondiaux et une hausse des dépenses de l'État en subventions, des facteurs structurels internes contribuent également aux problèmes économiques du pays.
Dans “La Justice fiscale en Tunisie : un idéal piétiné par les politiques d’endettement”, publié en 2021, Amine Bouzaiene, chercheur en équité sociale et fiscale, explique que les politiques fiscales mises en œuvre en Tunisie “affaiblissent la capacité du pays à mobiliser ses ressources propres” pour combler le déficit budgétaire. Ainsi, la nécessité constante d’emprunter plonge le pays dans un cercle vicieux d’endettement.
À quoi sert cet argent ?
Comme c'est le cas chaque année, une part importante du budget de l'État est réservée aux dépenses de rémunérations publiques, qui s'élèvent à 23,1 milliards de dinars, ce qui représente une augmentation de 4,1 % par rapport à l'année précédente. Cette évolution est due “à une augmentation prévue des salaires conformément à l’accord du 15 décembre 2022 entre le gouvernement et l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), ainsi qu’à l’embauche de 13.568 postes supplémentaires”, indique l’Observatoire tunisien de l’économie (OTE) dans un rapport.
Malgré cette augmentation, si l’on ramène cette somme à 100 dinars, les dépenses de rémunérations sont estimées à 39.6 dinars, contre 42.2 dinars l'an passé. Ce ralentissement de la croissance des dépenses de rémunération reflète la politique de contrôle de la masse salariale, mise en place par le gouvernement. Ces mesures incluent la restriction des nouvelles embauches aux besoins essentiels et prioritaires, la réduction du nombre de diplômés des écoles de formation, le non-remplacement des postes vacants et l'adoption de nouveaux programmes visant à réduire le nombre d'employés dans la fonction publique.
Les dépenses administratives représentent la deuxième part la plus importante du budget de l'État, atteignant 37,2 dinars, un de plus que l’année dernière. Elles incluent les transferts vers les ménages, les entreprises et d'autres secteurs.
Cette réforme, préconisée par les bailleurs de fonds étrangers, notamment le FMI, a cependant été rejetée par le Président Kais Saied. Celui-ci a déclaré que "les diktats venant de l'étranger, qui ne font qu'accentuer la pauvreté, sont inacceptables". Par ailleurs, le gouvernement et des institutions financières internationales s’accordent à dire que les subventions alimentaires sont très coûteuses et inefficaces et profiteraient dans une large mesure aux ménages riches.
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Dans l'objectif de rationaliser les coûts des subventions, le gouvernement envisage d'introduire plusieurs mécanismes internes dans la loi de finances 2024. Ces mécanismes alternatifs visent à financer les dépenses de subvention, notamment en augmentant le taux de la redevance à 3% pour les restaurants touristiques et en instaurant de nouvelles taxes.
Selon la répartition des dépenses du budget de l'État, une part importante est allouée au service de la dette, englobant tous les coûts liés à l'emprunt et au remboursement. Sur 100 dinars du budget, l'État consacre 11,4 dinars aux charges de financement, en hausse par rapport aux 9,8 dinars de l'année précédente. Cette augmentation du service de la dette “le portera à des niveaux élevés sans précédent, représentant 31,7% du budget général de l'État, soit 41,3% de l'ensemble des dépenses et 14,08% du PIB”, souligne le rapport de l'OTE.
Répartition entre les secteurs
Les dépenses totales du budget de l'État ont connu une augmentation, passant de 53,921 milliards de dinars en 2023 à 59,805 milliards de dinars en 2024. Cela se traduit par des investissements notables dans des domaines tels que la sécurité, qui enregistre une augmentation de 4,9%, et les institutions gouvernementales, en hausse de 18,4%.
Néanmoins, les priorités de l'État ont changé d'une année à l'autre. L'année précédente, la plus grande part du budget était allouée au secteur de l'éducation, avec 9,7 milliards de dinars. Ainsi, malgré une hausse de 5,1%, portant le budget à 10,19 milliards de dinars, la priorité accordée au secteur de l'éducation a diminué, passant de 18 dinars en 2023 à 17 dinars en 2024. Selon le rapport de l'OTE, “ces allocations sont considérées comme insuffisantes et n’ont pas suffisamment évolué pour être en mesure de relever les grands défis auxquels sont confrontés les secteurs de l’enseignement primaire et secondaire publics, tels que l’entretien des infrastructures délabrées”
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D’où vient l’argent ?
La majeure partie du financement du budget de l'État émane des recettes fiscales. Lorsque rapporté à une échelle de 100 dinars, les taxes sur la consommation de biens et de services en Tunisie représentent la part la plus importante, s'élevant à 34 dinars, tandis que la part attribuée aux impôts sur les sociétés est de seulement 12 dinars.
La politique fiscale tunisienne s'appuie massivement sur les impôts sur la consommation. Ces derniers “revêtent un caractère dégressif et constituent les outils fiscaux les plus injustes”, souligne Amine Bouzaiene
“Cette situation (...) inéquitable n’est pas le fruit de la loi de finance actuelle mais est liée à une politique économique dogmatique”, appuie l’OTE.
La loi de finances n’a pas adopté de nouvelles mesures visant à développer les recettes non fiscales qui ne représentent qu’un dixième des recettes. Elle prévoit cependant une augmentation des recettes de l’impôt sur les sociétés de 17% contre une augmentation de 10% des recettes de celui sur le revenu.
Par ailleurs, la loi de finances 2024 introduit une nouvelle mesure phare visant à stimuler l'entrepreneuriat en Tunisie. Cette disposition offre une incitation fiscale majeure sous forme d’exonération de l’impôt sur les revenus ou bénéfices pendant les quatres premières années d’activité.
Malgré tout, cette prévision budgétaire s’inscrit dans la continuité des lois précédentes et ne présente pas de changements majeurs, en dépit des grands débats qui ont animé les négociations entre la Tunisie et le FMI tout au long de l’année dernière. Tandis que le déficit se creuse, l’État peine à apporter des solutions structurelles à la crise qui traverse le pays.