Susbsaharien·nes en Tunisie : quand le quotidien a basculé

En février 2023, Chedly Ben Ibrahim commence à photographier le quotidien de personnes subsahariennes en Tunisie, dans le but de montrer leurs réalités, loin des clichés. Mais le 21 février, tout bascule. Kaïs Saied diffuse un discours raciste qui a des conséquences directes dans la rue. À travers son objectif, Chedly continue à raconter.
Par | 23 Mars 2023 | reading-duration 10 minutes

Disponible en arabe
En 2020, le photographe Chedly Ben Ibrahim commence la série photographique sur l’histoire de Blanche-Neige, une jeune femme ivoirienne qui travaille comme domestique au sein d’une famille tunisienne. Espérant de meilleures perspectives en Tunisie, elle se retrouve malheureusement exploitée. Son passeport est confisqué, elle est enfermée et n’a d’autre choix que de travailler, espérant un jour pouvoir récupérer ses papiers et sa liberté. 

Pendant la crise du Covid-19, Chedly immortalise son quotidien. Cette série photographique et l’histoire de Blanche-Neige l’inspirent. Cette dernière incarne la situation de nombreuses personnes subsahariennes en Tunisie, qui vivent pour beaucoup une précarité économique et administrative. Mais cela ne les empêche pas de s’installer, travailler et tout simplement habiter la ville. Le quartier Bhar Lazreg est ainsi connu pour abriter de nombreuses personnes subsahariennes. Au fil des rencontres, des chantiers aux marchés, Chedly tente de photographier leur routine.

Mais d’un coup, une autre crise survient. Après des semaines de sorties médiatiques et de discours haineux en ligne, le discours raciste atteint les plus hauts sommets de l’Etat. Le 21 février 2023, le président Kaïs Saied publie un communiqué qui reprend la théorie du grand remplacement et cible directement les personnes subsahariennes, les désignant comme des hordes visant à envahir le pays.

Les conséquences sont immédiates. Les cas d’expulsions, d'arrestations et d'agressions explosent. La peur au ventre, de nombreux Subsaharien·nes se terrent chez eux, de peur d’être pris·es pour cible. Beaucoup ferment la porte à l’appareil photo de Chedly. Les rues, et notamment celles de Bhar Lazreg, se vident. “Il n’y a pas un Noir dans la rue !”, s’exclame un jeune homme ivoirien en riant légèrement. A la place, les militant·es du Parti nationaliste tunisien cherche à recruter des soutiens, pour encourager leur campagne contre “la colonisation des Subsahariens en Tunisie”, entamée depuis plusieurs mois.

En face, des réseaux de solidarité, mis en place par des citoyen·nes, tentent tant bien que mal de répondre à la crise. Les téléphones véhiculent sans cesse des messages de détresse. Devant l’OIM et le HCR, ils et elles sont des dizaines à s’être réunis pour protester, exigeant d’être rapatrié·es ou au moins protégé·es. Nombreux·ses dorment dehors.

Dans cette série photographique, Chedly raconte un fragile quotidien qui bascule. Depuis les photos de Blanche-Neige en 2020 aux événements survenus au cours de ces dernières semaines, il capture diverses réalités qui témoignent de la vulnérabilité de ces personnes en Tunisie et des conséquences des discours de haine. Près d’un mois après le communiqué du président, les agressions et expulsions semblent diminuer. Mais la précarité subsiste sans que rien ne soit fait du côté de l’Etat ou des institutions internationales.

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A la sortie de la station de bus de l’Ariana, des vendeuses d’origine subsaharienne exposent leurs articles sur des étalages de fortune. Ariana (Grand Tunis), le 09 février 2023.

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Des femmes vendent des produits alimentaires et cosmétiques traditionnels de leur pays d'origine pour subvenir à leur besoin près de la station de bus de l’Ariana. Ariana (Grand Tunis), le 09 février 2023.

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Adonis, Ivoirien, 40 ans, vit en Tunisie depuis 3 ans en situation irrégulière. Il travaille comme ouvrier sur des chantiers de construction et il vend de vêtements de seconde main pour arrondir ses fins de mois. Il souhaite que sa fiancé et son enfant le rejoignent. Tunis, le 14 février 2023.

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Paires de chaussures de l’étalage d’Adonis. Tunis, le 14 février 2023.  

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Blanche Neige, originaire de Côte d’Ivoire, 24 ans, fait le ménage dans la maison de son employeuse. Fuyant le chômage et la pauvreté dans son pays, elle a pris l'avion pour la Tunisie. Elle s’est retrouvée placée par un intermédiaire dans une famille tunisienne pour s’occuper des tâches domestiques. Elle ne touchera son salaire qu’une fois la dette de son employeuse remboursée des frais de voyage. Ariana (Grand Tunis), le 02 mai 2020.

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« Panis », 37 ans, d’origine ivoirienne, dans le quartier de Bhar Lazreg. Il travaille dans la communication, l’audiovisuelle et le management d’artistes de la communauté. Il est engagé dans des actions pour sensibiliser la communauté sur les dangers de la traversée clandestine de la Méditerranée. La Marsa (Grand Tunis), le 14 février 2023.

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Des Ivoirien·nes sont réunis dans un restaurant géré par la communauté dans le quartier Bhar Lazreg. Nombreux·ses Ivoirien.ne.s ont ouvert leurs commerces de proximité pour développer une activité rémunératrice. La Marsa (Grand Tunis), le 14 février 2023. 

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Marie-Nathalie, 33 ans, est d’origine camerounaise Etudiante en master journalisme, elle vit en Tunisie depuis 2022. Pour Marie Nathalie, la langue est le premier obstacle pour s’intégrer dans le pays et tente de faire des efforts pour comprendre le dialecte tunisien. Suite au discours de Kaïs Saïed, elle a décidé de ne plus sortir de chez elle. Tunis, le 16 mars 2023.

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Quartier populaire de Bhar Lazreg où vit une nombreuse communauté subsaharienne et notamment ivoirienne. La Marsa (Grand Tunis), le 18 février 2023.

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Sofiene Ben Sghaier, président du Parti Nationaliste Tunisien (Droite), avec le Secrétaire Général du parti (Centre), dans le quartier de Bhar Lazreg. Les membres de ce parti extrémiste et identitaire ont organisé une campagne intitulée « campagne de sensibilisation contre le projet de colonisation subsaharienne en Tunisie » visant les différentes communautés subsahariennes en Tunisie. La Marsa (Grand Tunis), le 18 février 2023.

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Des habitants du quartier de Bhar Lazreg signent la pétition du Parti Nationaliste Tunisien dans un café. La Marsa (Grand Tunis), le 18 février 2023.

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Emplacement vide où des migrants avaient l'habitude de vendre des produits de leurs pays. Quelques jours avant les propos controversés du président Kaïs Saïed sur les migrant·es subsaharien·nes, les autorités tunisiennes ont démantelé tous les étalages de rues tenus par des Subsaharien·nes. Ariana (Grand Tunis), le 18 février 2023.

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Des Ivoirien·nes attendent devant l’ambassade de Côte d’Ivoire à Tunis pour déposer une demande de rapatriement vers leur pays d’origine. Après les propos du président Kaïs Saïed sur les migrant·es subsahariens, une montée d’agressions et de racisme contre la communauté s'en est suivi, engendrant un grand nombre de demandes de rapatriements volontaires. Tunis, le 01 mars 2023.

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Distribution des cartes consulaires devant l’ambassade de Côte d’Ivoire à Tunis. Tunis, le 01 mars 2023.

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Sabine, mariée, mère de 3 enfants bas âge devant l’ambassade de Côte d’Ivoire à Tunis. Sabine vit en situation irrégulière en Tunisie depuis trois ans. Elle fait du porte à porte pour vendre des articles et de la nourriture à la communauté subsaharienne. Après les propos du président Kaïs Saïed tenus à l’égard des migrants d’Afrique subsaharienne, elle a été expulsée par son propriétaire. Sans logement, elle campe devant l’ambassade de Côte d’Ivoire pour demander la régularisation de sa situation. Tunis, le 01 mars 2023.

Devant le siège de l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), dans le quartier du Lac, des migrants ont allumé un feu pour survivre au cours de cette longue nuit d'hiver dans le froid. Tunis, le 03 mars 2023.

Originaire de Guinée Conakry, du Cameroun, du Tchad ou du Soudan, des pays souvent sans ambassade à Tunis, une cinquantaine de migrant·es subsaharien·nes campent depuis des semaines devant le siège l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM). Certains souhaitent bénéficier du programme de retour volontaire de l’OIM, d’autres régulariser leur situation en Tunisie ou trouver un hébergement. Tunis, le 03 mars 2023.

Des migrant·es en situation irrégulière se réchauffent autour d’un feu de camp devant le siège de L’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) à Tunis, le 03 mars 2023.

Au risque des sanctions encourues, nombreux Tunisien.ne.s sont venu.e.s porter assistance aux communautés subsahariennes qui campent devant l’OIM en organisant la distribution de nourriture et de vêtements. Tunis, le 03 mars 2023.

Devant le siège de l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) où une cinquantaine de subsahariens campent depuis plusieurs jours pour demander leur rapatriement. Tunis, le 03 mars 2023.

Une jeune femme brandit une pancarte sur laquelle est écrit "à bas le racisme, à bas le fascisme", lors d’une marche organisée par l'Union générale tunisienne du travail (UGTT) à Tunis pour protester contre la politique du gouvernement et contre les propos du président Kaïs Saïed tenus à l’égard des migrants d’Afrique subsaharienne. Tunis, le 04 mars 2023.

Elysée (à gauche), dans le métro en direction de son travail à Tunis. Il est Ivoirien en situation irrégulière et vit dans un quartier de l'Ariana. Après les propos du président Kaïs Saïed tenus à l’égard des migrants d’Afrique subsaharienne, il a déposé une demande de rapatriement à l’ambassade de Côte d’Ivoire à Tunis. Ariana (Grand Tunis), le 16 mars 2023.

Blanche Neige regarde la télévision chez son employeur. Comme de nombreux autres Subsahariens, Blanche Neige rêvait de rejoindre l’Europe. La Tunisie est principalement un pays de transit même si ils sont de plus en plus nombreux à vouloir s’installer durablement dans le pays pour y trouver des opportunités. Le discours de Kaïs Saëd a changé la donne. Tunis, Ariana, le 02 mai 2020.

Vêtements abandonnés sur le sol devant l’ambassade de Côte d’Ivoire à Tunis, utilisés par les ressortissant·es ivoirien·nes pour s’asseoir en attendant le dépôt de leur demande de rapatriement volontaire. Tunis, le 03 mars 2023.