Derrière le naufrage du Xelo, la négligence des autorités

Après plusieurs jours d’incertitude, les autorités tunisiennes ont finalement annoncé que le pétrolier Xelo, échoué dans le Golfe de Gabès, ne contenait pas la moindre trace de gasoil, éloignant le risque d’une marée noire. Mais derrière ce soulagement, de nombreuses zones d’ombre subsistent autour de ce navire désormais échoué à 18 mètres de profondeur.
Par | 09 Juin 2022 | reading-duration 15 minutes

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Le 16 avril, une alerte est lancée : un pétrolier a fait naufrage dans le Golfe de Gabès, à 13 kilomètres à peine de la terre, dans des circonstances étranges. 

Dès le lendemain du naufrage, la marine nationale annonce entamer des investigations et prendre des mesures pour faire face à une éventuelle fuite de gasoil. Des équipes sont très rapidement mobilisées, principalement pour éviter le risque d’une marée noire, dans cette zone déjà sinistrée par la pollution et le Groupe chimique. 

Interrogée par inkyfada, l’administration du port de Gabès a jugé que ces mesures étaient suffisantes et s’est refusée à toute déclaration, alors même que les incohérences autour du naufrage et de la nature des activités du Xelo se multipliaient.  

Pour suivre l’affaire, inkyfada est allée à la rencontre de nombreux responsables, aucun n’a fourni de détails sur l’avancement de l’affaire et les zones d’ombres qui entourent ce dossier.

Une affaire opaque

Le chef de service de l’exploitation portuaire, Fayçal Jamai, s’est ainsi excusé de ne pouvoir faire aucune déclaration concernant le navire, ni donner de détails sur les communications qui ont eu lieu entre le capitaine du navire et la tour de contrôle, sous prétexte que l'armée est en charge de l'affaire, l’obligeant à la discrétion.

Le gouverneur, Saber Bembli, membre de la cellule de crise qui s'est formée après le naufrage de Xelo, a reçu les équipes d’inkyfada mais n’a communiqué aucune nouvelle information. D’après lui, il n’y a plus aucun intérêt à suivre la question du navire naufragé à partir du moment où il a été prouvé qu’il ne contenait pas de gasoil.

“Les deux équipes, italienne et tunisienne, ont travaillé de manière indépendante et sont parvenues à un seul résultat : la certitude totale qu’il n’y a pas de gasoil”, se contente de déclarer le gouverneur. 

Mais au-delà de la question écologique, l’enquête est toujours en cours et oppose l’équipage du navire et les autorités tunisiennes. Les premiers maintiennent que du gasoil est présent à bord. En face, les autorités affirment que les plongeurs n’en ont détecté aucune trace, s’appuyant sur une vidéo de mauvaise qualité prise par la marine italienne. Mais sur cette dernière, des bulles brunes apparaissent quand un plongeur ouvre un robinet, qu’il referme rapidement.

En vue de l'âge et du mauvais état du bateau, les autorités tunisiennes suspectent que le naufrage était intentionnel. 

 “Ce qu’il s'est passé est un véritable crime, et aujourd'hui l'équipage est accusé de s'être organisé pour couler le navire et bénéficier de l'assurance”, déclare le gouverneur Saber Bembli.

inkyfada a contacté le transitaire de Xelo dans le port de Sfax "Carthage Shipping Agencies", pour connaître la compagnie d'assurance contractant avec le navire. Le responsable des agences, Zouhaier Halouas, indique que les propriétaires de Xelo, dont l'un est un ressortissant turc, Elpak Noyan, sont des contractants du Vienna Insurance Group.

Victor Borovi, le directeur de Vienna Insurance Group ayant signé le contrat avec Xelo, n’a pas répondu aux questions d’inkyfada sur ses liens avec l’équipage, les détails du contrat d’assurance ou encore la procédure d’indemnisation. Ce dernier a pourtant ouvert nos mails à plusieurs reprises et malgré plusieurs relances pendant deux semaines, il n’a pas fourni de réponse. 

De la même manière, inkyfada a tenté de joindre le numéro de téléphone indiqué sur le site internet de "Star Energy", le propriétaire de Xelo. Une voix masculine a répondu, admettant que le numéro appartient effectivement à la société, mais qu’il était dans l’impossibilité de faire de déclarations, renvoyant nos journalistes vers l’avocat de l'équipage en Tunisie.

Contacté de nouveau via WhatsApp, l’homme n'a pas répondu. inkyfada lui a envoyé un e-mail détaillé pour connaître les fournisseurs de gasoil de la société et tenter de déterminer les possibilités de compensation en cas de naufrage du pétrolier, mais sans obtenir de réponse. Il est à noter que le Xelo est le seul navire possédé par Star Energy.

Des preuves disparues

Le lendemain du naufrage, des traces de gaz sont apparues autour du site, qui proviendraient du carburant du moteur du navire. Elles se sont rapidement dissipées sans causer de dommages apparents. “La bonne nouvelle est que le navire transportait du diesel plutôt que du pétrole brut qui est plus dense, la légèreté et le poids des particules de carburant lui permettent de flotter plus facilement à la surface de la mer”, a commenté Olfa Amrouni, une professeure à l'Institut national d'océanographie de Tunis.

 "Le capitaine et son équipage n'ont aucun intérêt à induire en erreur les autorités tunisiennes concernant la présence de gasoil", affirme Mabrouk El-Madouri, l’avocat de l’équipage en Tunisie.

Selon lui, l'équipage insiste sur le fait qu'il a acheté du gasoil à un autre pétrolier en mer, ce que Xelo fait depuis des années en tant que navire de soutage. Ils refusent cependant de révéler les clients auprès desquels les achats ont été effectués. 

La dissimulation des clients et des contacts, en plus de l'arrêt du GPS pendant les cinq jours qui ont suivi son départ du port de Sfax le 8 avril 2022, renforce les soupçons d'implication de Xelo dans la contrebande de pétrole en Méditerranée.

Ce phénomène a pris de l'ampleur avec les troubles de la situation sécuritaire en Libye. En effet, les contrebandiers font passer le gasoil des raffineries de pétrole de l'ouest libyen aux grands pétroliers, en passant par de plus petits navires de la taille du Xelo. Ce type d’embarcation est appelé “navires fantômes” car ils apparaissent et disparaissent régulièrement des cartes.

Cette affaire présente de nombreuses similitudes avec l’enquête "Contrebande de gasoil libyen: un négociant suisse navigue en eaux troubles", publiée par Public Eye en mars 2020.

Les auteur·trices révèlent, à travers cette longue enquête, les tactiques adoptées dans la contrebande de gasoil libyen en se basant sur leur observation, pendant toute une année, de trois pétroliers acheminant du gaz entre Bokmash, situé à Zouara, en Libye, vers l'Europe, via Malte.

Qui sont les membres de l'équipage de Xelo ?

Sept individus sont détenus dans la prison civile de Gabès. D’après leur avocat, s’ils sont reconnus coupables des faits qui leur sont reprochés, ils risquent des peines pouvant aller jusqu'à 15 ans de prison. 

Mabrouk El-Madouri demande la libération des membres de l'équipage et considère que la responsabilité pénale n'incombe pas à un ouvrier travaillant aux cuisines ou à un autre travaillant aux équipements de lubrification. Parmi l'équipage, certains membres n’avaient rejoint le navire que quelques jours auparavant. 

Les nationalités de l'équipage se répartissent entre l'Azerbaïdjan, la Turquie et la Géorgie. Le plus âgé d'entre eux est le chef mécanicien, âgé de 58 ans, et le plus jeune est l'assistant capitaine, âgé de 25 ans. L'agent maritime Zouhaier Halouas confirme que ce dernier est un jeune diplômé et que son contrat avec "Xelo" est le premier de sa carrière. Halouas précise également à inkyfada que la personne la plus ancienne de l'équipage a rejoint le pétrolier il y a quatre mois, tandis que deux membres de l'équipage ont été remplacés à Sfax, dont l'un est chargé de lubrifier l'équipement. 

Une photo des membres de l'équipage de Xelo avant leur départ du port de Sfax le 8 avril 2022.

Selon la réglementation maritime, un navire est censé avoir un·e agent·e désigné·e pour chaque port dans lequel il fait escale : son rôle est de représenter le ou la propriétaire ou l'affréteur du navire. Pour mener à bien cette tâche, il ou elle doit préparer la facture et collecter les reçus de fret auprès des client·es qui effectuent le chargement des marchandises sur le navire. 

L'agent·e maritime prépare l'escale, grâce à sa connaissance du pays, du port, et des différents intervenants disponibles sur le site. Il ou elle informe également les autorités et les instances officielles concernées. Avant l'arrivée du navire ou du pétrolier, l'agent·e prévient le capitaine des lois et procédures locales à connaître. Il sert également d'intermédiaire pour obtenir les services d'un atelier de réparation ou d'un fournisseur d'équipements ou de matériel. 

Selon les documents présentés par Zouhaeir Halouas et l'autorité portuaire de Sfax, le motif déclaré de l'entrée de Xelo le 4 avril 2022, était la restauration. D’après une facture présentée par l'agent, le navire s’est approvisionné en 35 tonnes d'eau mais également en matériaux de soudure et de maintenance.

“L'entrée du navire à Sfax n'a pas été vraiment volontaire puisqu'il a rencontré des problèmes. Il a dû entrer dans le port pour s'approvisionner en eau douce pour l’équipage et pour refroidir le moteur, en plus de la réparation du générateur électrique endommagé”, détaille ainsi Zouhaier Halouas. 

“Étant donné que Xelo n'a pas de route fixe ou de destinations spécifiques, mais opère plutôt dans le cadre de la location et du transport non régulier, nous n'étions pas liés par un contrat permanent avec ses propriétaires. Cependant l'armateur turc Elpak Noyan m'a contacté pour le représenter dans le port de Sfax lors de son entrée”, ajoute-t-il. 

Une image montrant les opérations de soudage effectuées sur Xelo pendant son escale au port de Sfax entre le 4 et le 8 avril 2022.

L’entrée et la sortie du port s’est faite sans encombre pour le navire. La raison de son entrée a été annoncée, selon l'agent maritime, comme relevant de la fourniture et de la réparation de certains équipements. D’après lui, cela est confirmé par une vidéo prise par ses soins et montrant le pétrolier entrant dans le port en étant vide. 

Xelo sur la liste des navires "suspects"

D’après les données officielles récoltées auprès d’une source au port de Sfax, le Xelo s’est amarré le 4 avril 2022 à 13h00, dans le but de se réapprovisionner. D’après le site internet “Marine Traffic", le navire a quitté le port le 8 avril à 17h39.

L’entrée et la sortie du port s’est faite sans encombre pour le navire. La raison de son entrée a été annoncée, selon l'agent maritime, comme relevant de la fourniture et de la réparation de certains équipements. D’après lui, cela est confirmé par une vidéo prise par ses soins et montrant le pétrolier entrant dans le port en étant vide. 

Pourtant, du côté des autorités, l’entrée du Xelo aurait du être remise en question. Sur les ondes de Mosaïque FM, Mazri Latif, colonel-major de la marine du Sud et porte-parole de la Marine nationale, a reconnu que le navire a été placé il y a deux ans sur la liste des navires "suspects" en raison du fait qu'il changeait de pavillon et de nom fréquemment. Le colonel-major n'a pas caché que le pétrolier était probablement impliqué dans la contrebande de pétrole libyen.

Les données obtenues du site "Equasis", spécialisé dans les informations sur les navires et les compagnies maritimes, montrent en effet que Xelo a changé de pavillon le 1er juillet 2021, passant d’un pavillon russe à un pavillon camerounais, puis seulement sept mois plus tard, par un pavillon équato-guinéen. Après le naufrage, la Guinée équatoriale a annoncé qu'elle avait décidé d'interdire la navigation de 350 navires portant son pavillon. Selon des rapports de presse, le ministre tunisien des Affaires étrangères, Othman Jerandi, a reçu l'ambassadeur de la République de Guinée équatoriale en Tunisie, qui a réitéré l’engagement de son pays de traquer les navires en infraction portant le pavillon et l'immatriculation de la Guinée équatoriale.

D’après un expert juridique en transport maritime interrogé par inkyfada ainsi que selon l’ancien capitaine Mahmoud Bin Saad*, ces changements montrent que le pétrolier ne correspondait pas,ni juridiquement ni techniquement, aux conditions exigées par les pavillons russes et camerounais. 

L’expert interrogé a tenu à ce que son identité ne soit pas divulguée et beaucoup d’autres intervenant·es ont refusé de commenter cette affaire. Au fur et à mesure de l’enquête, inkyfada a fini par conclure qu’il est très probable que le Xelo ait bénéficié d’une négligence de la part des autorités tunisiennes.

Normalement, chaque navire marchand est censé établir un contrat avec une société de classification. Le rôle de cette dernière est de veiller à la conformité d’un navire et de son équipement afin qu’il puisse obtenir le pavillon d’un pays

Dans le cas de Xelo, il est sous contrat avec “VEGA REGISTER Inc.” Très peu d’informations sont disponibles sur cette compagnie : non-sécurisé, son site internet n'affiche pas d'informations mises à jour. 

D’après les informations obtenues, 11 sociétés de classification contrôlent 90 % des navires. Les statistiques indiquent qu'il existe environ 50 sociétés de classification dans le monde.

Un itinéraire douteux

Dans son intervention, Mezri Latif reconnaît que le Xelo a été intercepté à trois reprises à l’approche des eaux tunisiennes. Une tentative a lieu au large de l’île de Kerkennah en début d’année.

De nombreux éléments sur les déplacements de Xelo contribuent à renforcer les soupçons autour du navire. Outre le fait que son GPS a été régulièrement éteint, un voyage inhabituel a été observé entre le 27 et le 30 septembre 2021, depuis la région d’Abu Kammash dans l’ouest de la Libye jusqu’aux côtes de Sousse. Xelo n'a pas accosté dans un port ou un endroit connu, mais s'est arrêté pendant 10 heures, à environ 12 kilomètres du port. Les images satellites montrent une zone contenant ce qui ressemble à des réservoirs de stockage.

D’après un activiste libyen vivant à Abu Kammash, la zone est connue pour la contrebande de carburant et d'autres activités illégales. Il n’a pas cependant pas été possible d’obtenir des informations supplémentaires sur d’autres actes de contrebande qui aurait pu être commis à part le trafic de gasoil. 

Le 29 septembre, après minuit, dans les eaux territoriales tunisiennes, le GPS du Xelo ne donne plus de signal. Très probablement délibérément éteint, la dernière position connue est au large de Zarzis. Pendant 8h, le navire disparaît avant de réapparaître au large de Kerkennah.

D’Abu Kamache à la côte de Kerkennah, Xelo s'est dirigé vers la côte de Sousse, où il s'est arrêté en pleine mer entre 7h et 11h du matin. Son GPS coupe de nouveau alors qu’il est encore dans les eaux territoriales tunisiennes et le navire ne réapparaît qu’à 19h30 en direction des eaux territoriales maltaises.

L'expert en transport maritime, Mahmoud Ben Saad, estime que les mouvements de Xelo soulèvent de nombreux doutes : d’après lui, la fermeture fréquente du GPS dans les eaux territoriales tunisiennes est probablement une couverture pour des actes illégaux.

Pourquoi Xelo a-t-il quitté le port de Sfax ?

Les navires marchands doivent posséder un certain nombre de certificats et de documents, afin de pouvoir opérer légalement et commercer librement au niveau national et international. D'un point de vue technique, ces certificats constituent des justificatifs ou permettent par exemple de prouver que les normes ont été respectées.

Les bateaux exerçant à l’international ont parfois besoin de plus de 50 documents à bord. Les certificats à emporter par le navire doivent répondre aux exigences de l'État du pavillon du navire, ainsi qu'à toutes les réglementations et tous les traités internationaux conformément à l'Organisation maritime internationale (OMI), ou encore répondre aux exigences opérationnelles et de sécurité des autorités portuaires locales.

"Nous avons demandé à inspecter le navire, mais l'équipage nous a dit qu'il avait été inspecté par le port grec de Néapolis il y a deux mois", déclare Mezri Latif. Les autorités tunisiennes ont donc considéré que c’était une raison valable pour le laisser quitter le port, sans réexaminer ses documents et son état de navigabilité.

 "Les navires étrangers peuvent être inspectés par les autorités de l'État du port et devraient être examinés en cas de doute sur leur état de navigabilité", déclare Trevor Hever, expert en transport maritime, en ports et en logistique internationale et professeur émérite de l'université de Colombie-Britannique.

D'autre part, toujours d’après le site "Equasis", quand Xelo était présent au port de Sfax, 11 certificats sur 15 étaient expirés depuis le 27 mars 2022. Parmi les plus importants d'entre eux figurent : 

Certificat international d'équipement de sûreté des navires
Ce certificat atteste de l'état de fonctionnement de tous les équipements de sécurité du navire, conformément au chapitre III de la convention SOLAS (Safety of Life at Sea) adoptée par la Tunisie le 6 août 1980.
Certificat international de construction navale
Toujours conformément aux exigences du chapitre II de la convention SOLAS, ce certificat permet de vérifier la sûreté et la sécurité de la construction du navire. Cette certification doit également accompagner divers documents, dont les plans de construction, les plans de contrôle des avaries et un dossier technique de revêtement.
Certificat international de radio de sécurité
Le chapitre 4 de la convention SOLAS exige que les navires à marchandises et à passagers transportent un équipement radio approprié lors des voyages internationaux. Ce certificat confirme que le navire dispose de l'équipement nécessaire et qu'il est en bon état de fonctionnement.
Certificat international sur les lignes de charge
La convention internationale sur les lignes de charge établit des règles pour déterminer les lignes de charge des navires, ainsi que des facteurs liés à la construction des navires, tels que la qualité
Certificat international d'efficacité énergétique (IEEC)
Cette certification, qui est devenue obligatoire après l'adoption en 2011 de la convention MARPOL, un accord international visant à prévenir la pollution par les navires, permet de vérifier que le navire répond aux exigences en matière d'efficacité énergétique.
Certificat du système de contrôle des déchets
Il s'agit d'un autre certificat maritime international qui vise à protéger l'environnement et constitue l'un des éléments de la Convention internationale pour le contrôle des règlements antisalissures nuisibles sur les navires. Ce certificat vérifie que le système anti salissure du navire ne contient pas de composés d'étain nocifs.

Malgré l'expiration de tous ces documents, le navire Xelo a pu quitter le port de Sfax sans aucune mesure de précaution, sous prétexte que la dernière inspection remontait à moins de six mois. Mais pour Mahmoud ben Saad, la sortie du navire de Sfax était illégale et le Xelo aurait dû être interdit de navigation jusqu’à fournir tous les certificats nécessaires et que des examens complets soient effectués pour identifier d'autres défauts.

Le colonel-major Mezri Latif, a été confronté sur cette question par inkyfada. “Il semble que les autorités portuaires l'aient autorisé à partir parce qu'il était vide, et j'ai estimé que ces certificats concernaient la présence de Gasoil sur le navire, ce qui n'était pas le cas”, a-t-il déclaré.

Toujours d’après le dossier d’inspection du navire, le Xelo a été inspecté cinq fois dans des ports d'Europe occidentale entre le 30 juillet 2003 et le 14 juin 2004. À cette époque, il a été retenu pendant sept jours dans le port de Tauste en Espagne, où 24 infractions à la sécurité et à la navigabilité ont été découvertes. Après sa sortie de Tauste, le navire a encore été examiné, à peine deux mois plus tard dans le port de Branspatel en Allemagne, puis dans trois ports danois, dont l’un l’a retenu pendant deux jours.

Carte interactive des différents examens subis par Xelo entre 2003 et 2022

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Pays : Allemagne

Port : Brunsbüttel

Date de l'inspection : 15/12/2003

Détention : Non

Type d'inspection : initiale

Durée de la détention (en jours) : 0

Nombre d'infractions : 6

Cliquez sur les points pour obtenir les détails des examens dans chaque port.

Après cette série de contrôles, Xelo, qui porte alors le nom de "Multi Carrier", quitte définitivement les ports d'Europe occidentale sous la bannière de la Russie. À partir de là, il a essentiellement circulé en Méditerranée vers la Baltique et la mer Noire. 

Bien que ses principaux documents n’aient pas été renouvelés depuis 2008, son dernier examen remonte à 2020 c'est-à-dire plus de 16 ans plus tard, malgré le fait que les navire ait plut de 40 ans.

"Soit Xelo a été suspendu de ses activités pendant cette période, soit il avait des relations dans les ports où il est entré, où le niveau de répression était faible, et il a pu éviter le harcèlement des observateurs de la navigation”, commente ainsi l'expert Mahmoud ben Saad.

En 2020, Xelo - qui s'appelait alors Liman et sous pavillon camerounais - a été examiné par les autorités du port russe de Rostov-sur-le-Don, en mer Noire, sans être détenu, bien que six infractions aient été identifiées, en relation avec des documents non conformes, incomplets ou manquants concernant la sécurité de la navigation, la propreté de la salle des machines, les équipements de sécurité ou encore la signalisation du navire.

Un an et quatre mois plus tard, le Xelo a cette fois été retenu dans le port de Neapolis pendant 15 jours. Les manquements étaient nombreux et 15 infractions ont été constatées. Parmi les plus importantes : l'absence de documents d'inspection et d'entretien, l'absence d'approbation de l'État du pavillon, l'absence d'un registre de correction du compas, en plus des dispositifs de stabilisation du navire inappropriés, et le fait que les documents de la gestion internationale de la sécurité n'étaient pas dans la forme requise.

Il n’a pas été possible de savoir si Xelo avait remédié aux problèmes pour lesquels il a été retenu à Neapolis. D’après Mahmoud ben Saad, ces problèmes sont difficilement résolubles compte tenu l’âge du navire et du fait que ces problèmes se répètent depuis une vingtaine d'années. En outre, après Neapolis, si le bateau a décidé de s’arrêter à Sfax, c’était en raison d’une situation d’urgence selon son agent dans le port et les opérations de maintenance effectuées.

Que s'est-il passé après avoir quitté Sfax ?

L'agent, Zouhaier Halouas, affirme n’avoir aucune responsabilité vis-à-vis du Xelo à partir du moment où ce dernier a quitté le port Sfax, peu importe ses activités ensuite en mer. Bien que ses devoirs d'agent l'obligent à annoncer la destination du navire lors de son départ, dans le cas de Xelo, il rapporte que le capitaine lui a affirmé ne pas avoir de destination précise et qu'il partait en attendant un ordre.

Les données des sites de suivi des navires montrent que Xelo a déclaré que sa destination suivante était Damiette, en Egypte. Contacté par inkyfada, les autorités du port de Damiette ont déclaré ne pas avoir reçu le navire. 

Après son départ de Sfax, le 8 avril vers 18h, il s’est dirigé vers le nord avant que le capitaine n’oblique vers sud sur quelques miles. Ensuite le GPS s’arrête et le Xelo disparaît des radars pendant cinq jours, avant de réapparaître dans le Golfe de Gabès.

En ce qui concerne la désactivation du GPS, l'agent rappelle que l’une des tâches de la marine tunisienne est d'intercepter tout navire entrant dans les eaux territoriales sans permis. Quant aux documents du navire et aux certificats sanitaires périmés, Zouhaier Halouas estime que cela relève également de la responsabilité de l'autorité portuaire.

Revenant sur les détails du naufrage de Xelo, le colonel-major Mezri Latif dit qu’une opération a été lancée en conséquence de la déclaration du capitaine du navire, qui a affirmé le 15 avril qu'il y avait 4 réservoirs contenant 750 tonnes de gasoil et 25 tonnes supplémentaires dans un cinquième réservoir dans la salle des machines. Les unités de secours se sont déplacées dans le port de Gabès pour sauver les membres d'équipage. Le navire n'a pas pu être sauvé.

"Le navire est entré dans les eaux territoriales tunisiennes et a accosté au large de Gabès le 14 avril en raison de mauvaises conditions météorologiques", poursuit-il. Dans le même temps, Mezri Latif a raconté dans une interview avec Inkyfada que la marine avait remarqué la présence du Xelo au large de Ras Jedir, en provenance de Libye. Contacté, l’équipage n’a répondu qu’en arrivant au large de Djerba. 

En raison du mauvais temps ce jour-là, la marine n’a pas envoyé de bateaux pour intercepter le Xelo : ce dernier a juste été gardé sous surveillance.

"Le 14 avril, le capitaine du navire a demandé une autorisation d'accoster au large de Djerba”, explique-t-il, “mais sa demande a été refusée et il a été dirigé vers le port commercial de Gabès ou de Sfax. Il est arrivé à Gabès vers 18h, et les autorités portuaires l'ont autorisé à accoster." Bien qu'il ait admis que Xelo avait accosté une journée entière hors du port, il s'est excusé de ne pas pouvoir divulguer le contenu des communications qui ont eu lieu entre le navire et les autorités portuaires.

Le contenu de la communication entre le capitaine du navire et la tour de contrôle du port de Gabès représente le chaînon manquant de cette enquête car nos contacts avec l'autorité portuaire se sont heurtés à un refus d'autorisation et l'armée s'appuie sur les informations fournies par le directeur du port. 

Selon une source proche du dossier les autorités portuaires ont déclaré que leur dispositif technique n'a pas enregistré le contenu de la communication entre la tour de contrôle et l'équipage de Xelo. Par contre, ces derniers confirment que leurs communications sont passées par deux navires étrangers qui étaient ancrés dans le port à ce moment-là.

Un manque de réactivité des autorités ?

Une autre question se pose concernant l'heure du premier contact avec le port de Gabès. L'agent de Xelo, Zouhaier Halouas, affirme qu’en ouvrant son téléphone aux alentours de 17h, il a découvert une une vidéo de l'équipage documentant le début du naufrage avec de l'eau entrant dans la salle des machines. 

Du côté du gouverneur, ce dernier affirme que la demande d’aide a été reçue par le port à 17h30. “[Il y a eu] un deuxième appel à 18h10, tandis que l'opération de sauvetage a eu lieu à 19h35, selon le directeur du port et ce qui est documenté dans les dossiers de recherche de la police”, détaille-t-il.

L'avocat, Mabrouk Maddouri affirme que l'équipage du navire a contacté le port dès le matin, après s’être rendu compte que le navire risquait de couler. "Ils ont demandé à retirer le navire via un tracteur maritime jusqu'au rivage, pour éviter le naufrage et une catastrophe, mais les autorités portuaires ont tardé et ne sont intervenues qu'à sept heures du soir, après qu'il soit devenu impossible de retirer le navire”.

"Les autorités tunisiennes auraient pu éviter le naufrage du navire, en le retirant plus tôt et en aspirant l'eau qui s'y était infiltrée", estime aussi Zouhaier Halouas. 

Jusqu’à présent, inkyfada n’a pas été en mesure de déterminer avec certitude la date du premier appel envoyé par l'équipage.

Aujourd'hui, il est clair que toutes les preuves matérielles ont été occultées,depuis le contenu des communications entre l'équipage et le port jusqu’à la question de la présence ou non de gasoil. Sur ce dernier point, l'avocat de l'équipage reste sceptique quant à la version officielle. Zouhaier 

Trois jours après le naufrage du navire, l'unité navale italienne "Nave Vega" a accosté sur le lieu du naufrage du petit pétrolier. Le ministère italien de la Défense confirme, dans un communiqué publié sur son site officiel, qu'après une réunion entre des représentants de la Marine nationale et la délégation tunisienne chargée des opérations, Nave Vega prépare une équipe d'opérations sous-marines afin de procéder à une inspection de l'épave et de fournir aux autorités tunisiennes des données utiles pour évaluer la situation et déterminer les mesures à mettre en œuvre.

Contactée par inkyfada, la marine italienne a fourni une première réponse, assurant qu’elle prendrait le temps de répondre à nos questions concernant la coordination de l’opération sur terrain, les différents rôles, ainsi que les méthodes utilisées pour conclure qu’il n’y avait pas de carburant dans les réservoirs du navire. 

20 jours plus tard, inkyfada n’a pas obtenu de réponses malgré les relances et le fait que le message a été ouvert 232 fois.

D’après l’agent Zouhaier Halouas, le gasoil mentionné par l’équipage vaudrait plus d’un millions de dollars - alors que navire en soi ne dépasserait pas les 250.000 dollars -. Pour lui, la priorité est de savoir où sont passées ces réserves et il ne comprend pas pourquoi l’Etat tunisien est persuadé de leur inexistence. 

“Nous ne comprenons pas la politique du gouvernement tunisien aujourd'hui. Le propriétaire du navire turc était prêt à envoyer une société maltaise pour récupérer le navire, mais la Tunisie insiste sur le fait qu'elle a la priorité pour effectuer l'opération et récupérer les coûts de celle-ci. Le propriétaire a commencé à abandonner le pétrolier lorsque la Tunisie a annoncé que le navire était rempli d'eau et non de gasoil", continue-t-il.

Le tribunal de Gabès a fait appel à l'expert en transport maritime et l'ancien capitaine, Hammadi Chamakhi, pour solliciter son avis sur l'affaire compte tenu de la complexité du dossier et tenter de déterminer si le naufrage a été intentionnel dans le but de bénéficier de l’assurance.

Dans le même temps, une source de la marine proche du dossier n'exclut pas la possibilité que le navire soit impliqué dans des activités plus dangereuses que la contrebande de pétrole. Elle affirme que l'armée a tenu une réunion après le départ du Xelo de Sfax pour comprendre les motivations de la venue du navire. L’hypothèse serait que le navire soit en mission de repérage pour déterminer le niveau de contrôle sécuritaire et la structure du port. Mazri Latif, pour sa part, affirme que des mesures sont actuellement prises pour sortir le navire et le réexaminer, car il est presque impossible aujourd'hui pour les plongeurs de pénétrer dans les réservoirs du navire à cause du risque de se retrouver bloqués à l'intérieur.