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Zohra et Tarek, 900 dinars par mois et une vie à crédit


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13 Mars 2017 |
Zohra, 43 ans, est la mère de quatre enfants. Elle et son mari Tarek, chauffeur de louage, croulent sous les dettes, contractées chez l’épicier du quartier mais aussi auprès d’instituts de microfinance. La famille cumule les crédits.
Zohra a commencé à travailler comme cheffe de cuisine dans une maison pour jeunes il y a huit ans. Pour accéder à ce poste, elle a suivi une formation de cuisinière pendant trois ans et un stage de six mois, non payé, au sein de la structure.

Zohra obtient un emploi précaire “sur le budget de la maison de jeunes”, elle dépend “de la volonté du directeur” pendant quelques années et ne bénéficie pas de la sécurité sociale (CNSS).

Trois ans après son arrivée dans l’établissement, une nouvelle personne est embauchée. L’employé touche la même rémunération que Zohra, mais bénéficie de la sécurité sociale.

“En fait, j’avais droit à la CNSS, mais je n’en savais rien”. Face à cette injustice, elle se bat pour faire valoir ses droits.

Après cette prise de position et des grèves observées avec ses collègues contre les contrats précaires placés sous le régime du “ mécanisme 16”*, la cheffe de cuisine obtient la CNSS durant les deux derniers renouvellement de son contrat. Zohra reste sans titularisation et son salaire net est revu à la baisse. Elle touche désormais 300 dinars par mois.

Les précédents contrats, ils m’ont dit que je pouvais m’asseoir dessus. Aujourd’hui, j’ai 43 ans, quand est-ce que je vais être titularisée?”, regrette la mère de famille.

En plus de cuisiner et superviser le travail de ses collègues, elle aide les femmes de ménage dans leurs tâches quotidiennes. En tout, Zohra passe près de 14h par jour sur son lieu de travail.

La mère de famille se réveille tous les jours à 4h du matin pour s’occuper de son foyer avant de partir travailler. Elle prépare les repas pour ses quatre enfants et son mari, avant de marcher 20 minutes pour arriver à son lieu de travail.

Son mari Tarek est chauffeur de louage. Il sillonne les routes à bord d’une voiture qui appartient à son frère, mais dont la licence de conducteur est à son nom. Ses revenus varient en fonction des saisons et de l’affluence. Il gagne en moyenne 600 dinars par mois dont 40 dinars servent à payer sa CNSS.

Voici un résumé de leurs entrées et sorties d’argent mensuelles:

En 2008, Tarek contracte un crédit de 12.000 dinars pour construire leur maison, dont le remboursement s’étale sur 20 ans. En plus de cela, Zohra contracte régulièrement un crédit de consommation de 1.500 dinars auprès d’un institut de microfinances, pour subvenir aux besoins du ménage, mais aussi payer les travaux d’aménagement de leur maison.

Mais tous les six mois, ce sont quelques 300 dinars que Zohra paie en intérêt du crédit contracté. Un engrenage dont elle a du mal à se défaire.

“Qu’est-ce que je peux bien faire? Si j’avais un bon salaire, je ne m’endetterai pas. Quand je dois de l’argent à quelqu’un je n’en dors pas de la nuit”.

La cheffe de cuisine privilégie les dépenses pour les travaux et la scolarité de ses enfants, âgés de 5 à 15 ans. C’est elle qui gère le budget familial.

La plupart du temps, la famille évite les sorties et les dépenses superflues. Seul Tarek s’achète un sandwich chaque midi pour 3 dinars pendant que Zohra déjeune sur son lieu de travail.

Zohra fait aussi les courses à crédit, auprès de l’épicier du quartier. “ Avec quatre enfants, ça ne descend pas en-dessous de 350 dinars par mois. Sans viande, juste du poulet”. De temps en temps, quand elle est trop chargée, elle prend un taxi pour rentrer chez elle.

La mère de famille veille aussi à ce que ses enfants ne soient pas différenciés des autres. La majorité des dépenses porte sur les fournitures scolaires, “ l’étude” (cours particuliers) pour deux d’entre eux, et la garde des plus jeunes pendant l’année scolaire.

Pour que ses enfants puissent faire leurs devoirs, elle leur paye chaque mois un accès aux ordinateurs et à internet au Publinet. C’est sa fille aînée qui garde ses frères et soeurs pendant les vacances scolaires pour éviter de faire appel à une nourrice.

Pour les vêtements de ses enfants, comme pour la petite brebis de l’Aïd qu’elle prend pour “ faire plaisir à ses enfants”, Zohra contracte des crédits auprès de chaque commerçant.

La vie est trop chère, on ne sort jamais. Cette année j’ai juste pu les emmener une fois à la mer à La Marsa”. Elle a pu le faire par l’intermédiaire d’excursions estivales organisées.

Voici le détail de ses dépenses mensuelles:

Zone grise

Zohra n’a jamais assez d’argent à la fin du mois pour couvrir la totalité de ses frais, et se retrouve contrainte de souscrire à de nouveaux crédits. Elle s’inquiète de son absence de titularisation.

La mère de famille redoute l’échéance chaque année, de peur de tomber dans une situation encore plus précaire, quand les microcrédits ne pourront plus lui être accordés.

Il reste au couple encore beaucoup de travaux à faire pour aménager la maison. Zohra, Tarek et leurs enfants vivent depuis cinq ans à l’intérieur, même si elle n’est pas encore terminée, afin d’éviter de payer un loyer supplémentaire.

Futur

La plus grande inquiétude de Zohra porte sur l’avenir de ses enfants. La mère de famille a peur que sa fille “ fasse des choses mauvaises si elle ne va pas à l’école”. Pour le moment elle s’estime heureuse, elle est bonne élève.

Elle apprend aussi à ses fils à faire les tâches ménagères et la cuisine. Elle souhaite que la femme avec qui il se marierait soit reconnaissante “ d’avoir un mari aussi attentionné”.

Zohra souhaite être augmentée, finir sa maison, pour mettre toutes les chances du côté de ses enfants, pour “ qu’ils réussissent leur vie, qu’ils aient une vie digne”. “ Je travaille pour eux, pour qu’ils ne demandent rien à personne”.