Cette disposition a suscité une vive polémique, occultant souvent les autres types de discriminations ou de violences présentes ou absentes du texte adopté en Conseil des ministres le 13 juillet dernier, avant d’être déposé à l’Assemblée des représentants du peuple.
Des avancées notables
Le projet de loi apporte des changements majeurs dans l’approche de la lutte contre les violences faites aux femmes et à leurs enfants, notamment en termes de prévention et de protection des victimes.
Le texte prévoit ainsi la mise en place de programmes scolaires et universitaires dont l’objectif est d’inculquer entre autres les principes des “droits humains et l’égalité entre les sexes”. Il interdit en outre aux médias de véhiculer des stéréotypes basés sur le genre qui seraient de nature à encourager les violences et les discriminations faites aux femmes.
Des cycles de formation devront également être élaborés au profit du personnel médical et social ou encore des agents des forces de sécurité et au sein des tribunaux, mettant l’accent sur la nature de l’intervention, de l’écoute, de la protection et de la prise en charge des femmes victimes de violences et de leurs enfants.
Concernant la répression de ces actes de violence et de discrimination, les principales mesures concernent:
- Une peine aggravée si certains crimes sont commis par des ascendants ou descendants, conjoints, etc., ou sur des personnes vulnérables (enfants, personnes âgées ou souffrant d’un handicap),
- La redéfinition du harcèlement sexuel supprimant la condition de “répétition” telle que prévue actuellement dans le Code pénal,
- L’abrogation de la possibilité pour le violeur d’arrêter les poursuites judiciaires à son encontre en épousant sa victime,
- La criminalisation des mutilations génitales à l’encontre des femmes
- La criminalisation de la maltraitance et des agressions ou violences verbales et psychologiques commises à l’encontre des enfants
- La criminalisation de toute forme de harcèlement dans l’espace public
- L’interdiction des discriminations basées sur le genre dans le travail (salaires, recrutement, licenciement)
- L’interdiction du travail domestique des enfants
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Le viol conjugal, un sujet tabou
La reconnaissance du viol conjugal figurait parmi les principales revendications des organisations de la société civile ayant défendu l’élaboration d’une loi intégrale contre les violences et discriminations dont les femmes sont victimes.
Pour autant, le projet ne nomme pas explicitement le viol conjugal même s’il définit la violence sexuelle contre une femme “indépendamment de la relation de l’auteur avec sa victime” (article 3). Le texte ne touche pas non plus aux dispositions du Code du statut personnel (CSP) relatives à la dot que le mari doit verser à sa femme. Cette somme d’argent, même d’un montant symbolique, est en effet une condition préalable à la “consommation du mariage” à laquelle le mari peut “contraindre” sa femme, une fois qu’il s’en est acquitté.
Article 13 du CSP
Le mari ne peut, s’il n’a pas acquitté la dot, contraindre la femme à la consommation du mariage.
Après la consommation du mariage, la femme, créancière de sa dot, ne peut qu’en réclamer le paiement. Le défaut de paiement par le mari ne constitue pas un cas de divorce.
La plupart des crimes, comme les homicides ou les violences physiques, seront pourtant punis plus sévèrement si le coupable est l’époux ou le partenaire de la victime. Mais cette disposition est absente des articles relatifs au viol ou aux autres formes d’agressions sexuelles.
Les relations sexuelles interdites
Au-delà des agressions sexuelles commises à l’encontre des femmes, des enfants ou des personnes en situation vulnérable (exception faite du viol conjugal), le projet de loi énumère aussi un certain nombre de relations sexuelles interdites, élargissant la notion d’inceste, y compris entre adultes consentants.
En plus des relations communément prohibées comme celles qui peuvent se produire entre des parents et leurs enfants ou encore entre frères et soeurs, le projet de loi vise à interdire toute relation sexuelle entre des personnes ayant un lien de parenté par alliance. C’est ainsi que seront proscrites les relations entre une personne et son gendre (ou belle-fille), son beau-frère (ou belle-soeur) ou encore ses beaux-parents.
10 ans de prison sont prévus contre quiconque violerait ces interdictions. La peine sera portée à 20 ans d’emprisonnement si “le crime d’inceste est commis contre un enfant, garçon ou fille, âgé de 13 à 18 ans” .
Le texte prévoit également un nouveau type d’interdiction, intégrant la notion de consentement. Les dispositions de l’article 227 bis du Code pénal qui permettaient au violeur d’épouser sa victime (si cette dernière a moins de 20 ans) seront en effet abrogées et remplacées par des sanctions à l’encontre des personnes qui ont des relations sexuelles “consenties” avec une fille de moins de 18 ans, interdisant de fait aux filles n’ayant pas atteint l’âge de la majorité d’avoir des relations sexuelles avec leur éventuel partenaire.
L’adultère est par ailleurs toujours puni dans le CSP de 5 ans d’emprisonnement et d’une amende (dans le cas d’une plainte du conjoint), et les relations sexuelles hors mariage sanctionnées par des interprétations liberticides du corpus législatif, allant de la qualification de mariage nul à la prostitution. Les relations sexuelles entre personnes de même sexe (hommes ou femmes) sont enfin passibles de trois ans d’emprisonnement, selon l’article 230 du Code pénal.
Sacré CSP
Malgré des avancées certaines dans la protection des femmes et la répression des violences et discriminations qu’elles subissent, le projet en attente d’examen à l’ARP ne mettra pas fin à toutes les dispositions discriminatoires envers les femmes comprises dans le corpus législatif tunisien.
Le Code du statut personnel, qui a fêté ses 60 ans le 13 août dernier reste en effet intouchable, malgré les nombreuses dispositions discriminatoires ou liberticides qu’il contient.
Avec la dot permettant au mari de contraindre sa femme à la consommation du mariage ou encore l’inégalité dans l’héritage, le CSP octroie toujours au mari le statut de chef de famille (avec les avantages et obligations qui en découlent). Il prévoit que seul le tuteur de sexe masculin puisse autoriser un enfant mineur à se marier ou encore que les époux doivent “remplir leurs devoirs conjugaux conformément aux usages et à la coutume” . Cette dernière disposition ouvre la porte à des interprétations diverses possiblement discriminatoires à l’égard des femmes.
Ce Code présenté par ses défenseurs comme progressiste et garant des droits des femmes impose à ces dernières d’attendre que le “délai de viduité” ne soit écoulé avant de se remarier. Ce délai qui, comme l’héritage, s’inspire du droit musulman, est censé assurer la filiation paternelle des enfants.
En plus de punir sévèrement l’adultère, il a également servi, grâce à des interprétations larges et des circulaires encore appliquées, à interdire indirectement le concubinage (vie commune dans le cas d’un mariage “nul”) ou le mariage d’une tunisienne avec un non musulman.
Il impose enfin au titulaire du droit de garde de sexe masculin d’avoir “à sa disposition une femme qui assure les charges de la garde” . La titulaire du droit de garde, par contre, n’a pas le droit de se marier, sauf exceptions. Elle ne peut pas non plus exercer son droit de garde si elle est d’une autre confession que celle du père, tant que l’enfant n’a pas cinq ans et qu’il n’y a pas à “craindre qu’il ne soit élevé dans une autre religion” (cette disposition ne s’applique pas à la mère de l’enfant).
Les autorités responsabilisées
Les femmes victimes de violences et de discriminations peuvent subir plusieurs formes de pressions susceptibles de les dissuader de recourir à la justice ou de demander une protection aux autorités compétentes.
Certaines dispositions du projet visent à faciliter et encourager le signalement, notamment par la protection et l’anonymat des témoins.
Il détaille les modalités d’intervention puis la prise en charge et la protection des victimes, et prévoit plusieurs changements au sein des institutions (voir infographie ci-dessus).
Des unités spécialisées devront être créées au sein de la police et de la garde nationale avec un numéro de téléphone alloué et réservé à ce type de violences. Elles seront entre autres composées d’agents femmes et bénéficieront de formations spécifiques, notamment dans le mode d’intervention et d’écoute.
Pour éviter que des pressions ne soient exercées contre les femmes victimes de violences, les agents qui tenteraient de dissuader une victime de réclamer ses droits ou de porter plainte risquent jusqu’à six mois de prison.
Les Tribunaux devront en outre contenir des espaces indépendants pour accueillir les femmes victimes de violences et leurs enfants. Enfin, un observatoire national de lutte contre les violences faites aux femmes devrait être créé et placé sous la tutelle du ministère des Affaires de la femme et de la famille.
Une majorité de femmes a déjà subi au moins une forme de violences, selon une récente étude du CREDIF, mais elles sont encore très minoritaires à oser porter plainte. En attendant que la loi ne soit examinée puis adoptée par le Parlement, et que les mécanismes pour éradiquer ces violences ne soient mis en place, ce sont souvent des organisations de la société civile, comme l’ATFD, Beity ou encore Amal qui se substituent à l’Etat et viennent en aide aux victimes.