Dans les tribunes, le 30 août, trois hommes attendent le passage de l’athlète : son entraîneur, le président de la délégation et un agent administratif. “Voici toute la délégation palestinienne”, lance l’un d’eux. À quelques mètres, les supporter·trices affluent, brandissant des drapeaux palestiniens et scandant le nom de Fadi. “Je suis là pour soutenir mes frères, là où ils sont”, déclare un spectateur. Inkyfada a rencontré la délégation palestinienne à Paris et vous raconte sa participation aux Jeux paralympiques. Reportage.
La Palestine aux Jeux : une présence historique
À 18h30, les épreuves de lancer sont annoncées et les athlètes de la catégorie F55 entrent en piste au Stade de France. Ces dernier·es se déplacent en fauteuil roulant et sont atteint·es de limitations significatives au niveau du tronc et des jambes : les installer et les positionner sur l'aire de lancer prend donc beaucoup de temps. Pour optimiser l'organisation, chaque athlète effectue ses six essais consécutivement. Fadi Deeb est programmé pour passer en avant-dernière position. Il doit donc attendre au moins deux heures et demie avant de pouvoir lancer.
Seul athlète palestinien présent aux Jeux de Paris, la participation de Fadi était inattendue puisqu’il a été contacté un mois avant le début de la compétition “J’ai reçu un appel 25 jours avant le début des Jeux”, déclare-t-il dans une interview accordée à inkyfada. “Je n’ai pas eu beaucoup de temps pour m’entraîner. Si cela avait concerné ma propre carrière professionnelle, je n’aurais pas accepté cette proposition.”
Mahmoud Al Natsheh qui accompagne Fadi explique : “Fadi a été choisi parce qu’il a un bon palmarès et il a déjà participé à des compétitions internationales”, mais aussi parce qu' “aucun de nos athlètes n’a été qualifié pour les Jeux”.
“L'organisation a tout mis en œuvre pour que nous puissions participer et que le drapeau palestinien soit hissé pendant les Jeux, malgré la situation en Palestine”, ajoute Mahmoud. “Notre message est clair : les Palestiniens restent debout envers et contre tout, et nous revendiquons notre droit de vivre en paix, comme toutes les autres nations.”
La Palestine participe aux Jeux paralympiques d’été depuis l'an 2000 et a remporté un total de trois médailles, toujours avec une petite délégation. À Sydney, le lanceur Husam Azzam décroche une médaille de bronze, suivie d’une médaille d’argent à Athènes. Il a pris part à cinq éditions des Jeux d'été, y compris en 2016 et 2020, où il a été le seul athlète à représenter la Palestine. Après le 7 octobre, alors qu’Israël a ordonné l'ONU d'évacuer le nord de Gaza, Husam Azzam comme beaucoup d’autres, reste piégé avec sa famille sous les bombardements. “Je dois rester ici parce que je ne peux me déplacer nulle part”, a-t-il déclaré.
Tout comme Husam, Mohammed Barakat s'est fait connaître grâce au sport. Avec 114 buts à son actif, il était surnommé "le Lion" et "la légende de Khan Younès". En mars 2024, lors du premier jour du Ramadan, Barakat a été tué lors d'un raid israélien visant sa maison. Son destin illustre la tragédie vécue par les athlètes de Gaza : selon Nader Jayousi, président du Comité olympique palestinien, 400 athlètes gazaouis ont été tué·es par Israël, dont “au moins 99 joueurs de football." Dans une lettre adressée à la FIFA, la Fédération palestinienne appelle l’organisme à “prendre position face aux graves violations des droits de l’homme commises par Israël” et notamment face aux “destructions sans précédent [...] des infrastructures de football.”
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Le stade Yarmouk, à Gaza, autrefois l’un des rares sites sportifs conformes aux normes internationales, est désormais inutilisable. Il est d’abord utilisé comme site d’interrogation par les forces d'occupation israéliennes. Des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux montrent des centaines de Palestinien·nes, y compris des enfants, dénudé·es et surveillé·es par des soldats israéliens. En janvier, la municipalité de Gaza annonce que l’armée israélienne a démoli le stade, puis quelques mois après, les décombres de celui-ci sont convertis en camp de réfugié·es, accueillant des milliers de Palestinien·nes déplacé·es.
Handicap : 21 % des familles gazaouies concernées
Originaire de Gaza, Fadi Deeb commence à pratiquer le sport en 2004, à l’âge de 20 ans. Il débute par le basket et le tennis en fauteuil roulant, et pendant trois années consécutives, il est sacré “champion de Gaza en tennis fauteuil”. “Nous jouions une fois par an, de façon exceptionnelle et dans un cadre amateur,” se souvient-il. “Pour ce type de sport, il faut des ressources financières, humaines et logistiques importantes, ce dont nous manquons cruellement.”
Ce manque de ressources pousse l'athlète à se tourner vers un sport moins coûteux. En 2007, il se lance dans l’athlétisme. “Les sports individuels nécessitent moins de moyens, ce qui me convenait mieux”, explique Fadi. La même année, il est contacté par l'équipe nationale palestinienne d'athlétisme, “et c’est à ce moment-là que j'ai décidé de me concentrer sur les disciplines de lancer”.
Entre 2007 et 2011, il décroche “six médailles d’or, trois médailles d’argent et deux médailles de bronze”, notamment lors des Rencontres internationales de handisport à Tunis en 2009. Cependant, une blessure à l’épaule en 2011 le contraint à abandonner. “ J'ai dû arrêter l'athlétisme à cause de ma blessure et me concentrer uniquement sur ma carrière en basket et en tennis,” raconte l’athlète.
Quelques années plus tard, Fadi quitte Gaza pour poursuivre une carrière professionnelle en basket fauteuil. “A compter de 2016, je me suis entraîné pendant sept ans en Turquie, puis je me suis installé en Grèce où je suis devenu entraîneur de basket”, raconte-t-il.
“J'ai quitté Gaza pour deux raisons : ma carrière et ma sécurité”, précise l’athlète. “Notre maison a été ciblée à plusieurs reprises par des bombardements et des tirs, il n’y a aucune sécurité chez moi”, ajoute-t-il.
Fadi a d’ailleurs été la cible de tirs israéliens. Le 4 octobre 2001, alors qu’il n'a que 17 ans, il est touché par une balle israélienne qui le rend paraplégique. “C’était pendant la seconde intifada, on est allé à une manifestation après avoir fini l’école”, se souvient-t-il. “C’était une manifestation pacifique avec des lycéens et des enfants, mais l’armée a ouvert le feu sans discernement et une balle m’a atteint à la moelle épinière.”
Cette balle a causé une paralysie de ses membres inférieurs. "Mais j'ai décidé de ne pas abandonner. Je faisais du sport avant la blessure, et j'ai continué après. La vie ne doit pas s'arrêter", raconte-t-il. "Cependant, vivre à Gaza devenait de plus en plus difficile dans ma condition. Lorsque l'occasion de poursuivre ma carrière sportive à l'étranger s'est présentée, je l'ai saisie."
Fadi est originaire de Shuja’iyya, l’un des quartiers les plus densément peuplés de Gaza et situé près de la frontière israélienne. Depuis le 7 octobre, ce quartier a été la cible de nombreuses attaques. “17 membres de ma famille ont été tués par les frappes israéliennes, dont mon frère et trois de mes cousins,” déclare-t-il. Leur maison familiale a également été détruite. “Je n’ai plus aucun souvenir des rues où je vivais, ni des endroits où j’ai partagé des moments avec ma famille,” déplore-t-il. “Tout a été détruit.”
"Ma famille n'a rien de particulier, toutes les familles de Gaza traversent la même situation, aussi bien avant qu'après le 7 octobre", témoigne l'athlète. En effet, d'après le Bureau central palestinien des statistiques, 21 % des foyers gazaouis ont déclaré avoir au moins un membre en situation de handicap.
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En 2020, l’organisation Human Rights Watch tire la sonnette d'alarme : "Dans la bande de Gaza, le blocus israélien rend la vie des personnes handicapées extrêmement difficile". Durant l’année écoulée, ce blocus prive encore davantage les civil·es porteur·ses de handicap des ressources nécessaires à leur survie, telles que des dispositifs d’assistance ou des médicaments. Dans un rapport publié par l' organisation mondiale de la santé en juillet 2024, sur les 95 500 personnes blessées à Gaza, 22 500 ont subi des blessures permanentes.
“Ma vie reste à Gaza. Ma famille, mes amis, les gens que j’aime sont là-bas. ,déplore l’athlète. “Le mot ‘guerre’ ne peut pas décrire ce qui se passe à Gaza. Ils détruisent notre culture et notre présence sur ces terres.”
“Fadi ou tout autre palestinien ne sera jamais seul”
De retour au stade, Fadi est acclamé par des supporter·trices brandissant des drapeaux palestiniens. Peu après son arrivée sur la piste, ils et elles se rassemblent, derrière lui, dans les gradins . Mina, membre de BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) Palestine, un mouvement visant à mettre fin à l’occupation israélienne, déclare : “On a essayé de localiser précisément son épreuve pour nous rapprocher de lui dans les gradins, mais il y avait très peu d’informations sur la participation de Fadi, on a pourtant longtemps cherché”.
C’est finalement grâce aux groupes pro-palestiniens sur les réseaux sociaux que Mina apprend la participation de l’athlète. “ Dès que j’ai appris la nouvelle, je l’ai contacté directement pour confirmer et j’ai lancé un appel dans plusieurs groupes de collectifs pro-palestiniens pour rassembler des gens”.
C’est ainsi que Sofie, une autre spectatrice, a été informée. “Je ne peux pas être très active dans les actions militantes parce que j’ai ma famille et mon travail, mais quand je le peux, j’essaie d’impliquer mes enfants dans ce genre d’évènements”, déclare-t-elle. Pour elle, la participation de Fadi va au-delà de l’aspect sportif. “Son handicap n’est pas le résultat d’un simple accident, c’est la conséquence directe de la colonisation israélienne."
Par leur présence, les supporter·trices ont également un message à passer : “Au délà de Fadi, je soutiendrais tout palestinien qui participe à une compétition internationale en connaissant l’actualité tragique en Palestine. Fadi ou tout autre palestinien ne sera jamais seul”, déclare Mina. “On est là, on est en France, et on soutient la Palestine face au génocide en cours”, ajoute Sofie.
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Avec un lancer de 8.81 mètres, Fadi Deeb arrive en dernier du classement en lancer de poids. Malgré sa performance, l’athlète relativise : “Ma présence est plus significative qu’autre chose, je ne suis pas là pour gagner, je suis là pour affirmer que la Palestine est bien présente, et je pense que le message a été reçu”.