Tout débute à Polla, petit village dans l’arrière-pays de Salerne, où l’entreprise Sviluppo Risorse Ambientali srl (SRA) se présente comme étant spécialisée dans la valorisation et l’élimination de déchets urbains, collectés à Naples et ses environs. C’est elle qui, après avoir reçu une autorisation d’exportation de la région Campanie, conclut le 30 septembre 2019 un contrat concernant la récupération et la valorisation de déchets ménagers (de type 19 12 12) avec la société tunisienne Soreplast.
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Une entreprise qui en cache une autre
Les informations jusqu’alors obtenues présentaient SRA comme l’unique vis-à-vis italien de Soreplast. En réalité, une autre entreprise italienne est à l’origine de cette affaire. Soreplast avait signé quelques jours plus tôt, le 10 septembre 2019, un marché du même type avec une société Calabraise, Eco Management S.P.A., basée à Soverato, une petite ville côtière à la pointe sud-ouest du pays.
D’après un document obtenu par nos collègues de RaiNews24 et d’IrpiMedia, cette compagnie aurait confié à Soreplast une mission de “sélection et de début de valorisation de déchets spéciaux de type 19 12 12 à hauteur de 10.000 tonnes par mois”, et pouvant atteindre un plafond de 120.000 tonnes en tout.
Six jours après la signature de ce premier contrat, le 16 septembre 2019, Eco Management S.P.A. décide de céder ce marché à la Société SRA, moyennant une avance de 50.000 €, et la somme de 22 € par tonne de déchet cédée. SRA récupère donc une affaire déjà toute ficelée, et signe le 30 septembre 2019 un nouveau contrat avec la société tunisienne.
Ceci a été confirmé à nos collègues de RaiNews24 par Alfonso Palmieri lui-même, membre du conseil d’administration de la société SRA qui affirme avoir été en contact avec Innocenzo Maurizio Mazzotta l’administrateur de l’entreprise d’Eco Management S.P.A.
Le rôle d’Eco Management ne s’arrête pas là. En mars 2020, peu après l’autorisation de la région Campanie pour le transfert de ces déchets, l’entreprise calabraise envoie à destination de Soreplast des équipements pouvant justifier les opérations de recyclage déclarées. Des factures obtenues attestent l’envoi de diverses machines d’occasion telles qu’une presse à déchets ainsi qu’un tapis de tri. L’une d’elles s’élève à 55.000 €, payés par Soreplast.
Facture prouvant l'achat de machines par Soreplast auprès de la société italienne Eco Management
Les machines resteront bloquées un temps au port de la Goulette, avant d’être acheminées jusqu’à Sidi El Héni, à une trentaine de kilomètres de Sousse, là où Moncef Noureddine avait prévu de décharger le reste des conteneurs aujourd’hui retenus au port.
La rencontre des sociétés
D’après un mail consulté par Inkyfada, la mise en relation entre la société calabraise Eco Management et l’entreprise tunisienne Soreplast s’est faite par l’intermédiaire d’un homme, Paolo Casadonte. Originaire de Montepaone, une petite ville côtière se situant à moins de 10 km du siège d’Eco Management en Calabre, il est le propriétaire de la société tunisienne G.C. Service, créée en avril 2019 et en défaut de déclaration fiscale depuis plus de 12 mois, selon la fiche d’identité de l’entreprise. “Il est surnommé “Paul” à Sousse. C’est aussi un ami personnel de Moncef Noureddine, le gérant de Soreplast”, déclare une source proche du dossier qui souhaite garder l’anonymat.
C’est également Paolo Casadonte en personne qui aurait été envoyé par Antonio Cancro, directeur de la société SRA, pour aller récupérer un colis à l’Agence de promotion industrielle de Sousse (API), contenant notamment le contrat entre les deux sociétés ainsi que des autorisations d’exportation, selon un document publié sur les réseaux sociaux. Contacté à ce sujet, c’est son avocate qui répond pour lui, niant toute implication malgré l’existence des preuves mentionnées : “mon client n’a en aucun cas joué le rôle de consultant ou d’intermédiaire entre les sociétés”.
Dérogation accordée par SRA à Paolo Casadonte
Liens bulgares
Eco Management voit le jour en 2015. L’activité principale de la société est la collecte et le traitement de déchets solides urbains et industriels, issus de la province de Catanzaro, en Calabre. Parmi les actionnaires de cette société figurent des membres de deux familles locales, les Mazotta et les Papucci, ainsi que deux entrepreneur·ses bulgares, dont la société Europe Waste Management S.A, basée à Varna en Bulgarie, d’après la fiche de l’entreprise consultée par Inkyfada.
C’est justement dans cette ville, en bordure de la Mer Noire, qu’a éclaté en 2016 un scandale concernant l’arrivée de déchets venus d’Italie. Les procédés dénoncés en Bulgarie d’importation illégale de déchets ménagers, officiellement destinés à être recyclés, s’apparentent fortement au cas tunisien actuel.
“ À la suite des scandales en Europe de l'Est, et notamment en Bulgarie, les entrepreneurs dans le domaine des déchets se sont mis à la recherche de nouvelles routes d’exportation, qui semblent mener vers l'Afrique du Nord et l'Afrique subsaharienne”, commente Claudia Salvestrini, directrice du consortium italien Polieco [Consortium pour le recyclage des déchets de produits à base de polyéthylène, ndlr].
Tout comme en Tunisie, ces récents scandales liés au trafic illicite de déchets ont conduit à la démission de l'ancien ministre bulgare de l'environnement Neno Dimov. Mustapha Laroui, ex-ministre de l'environnement tunisien, a quant à lui été interpellé le 21 décembre 2020, et séjourne encore en prison depuis.
D’après des éléments obtenus par des collègues de la RaiNews24, Innocenzo Mazzotta, le gérant d’Eco Management, a lui-même un lien direct avec la Bulgarie. Il détiendrait des actions au sein de trois sociétés bulgares spécialisées dans la gestion de déchets. Ces structures sont toutes trois enregistrées à la même adresse. Les locaux sont à ce jour fermés, abandonnés depuis un certain temps, confirment des voisins à RaiNews24.
Des déchets en attente de rapatriement
Bien que la convention de Bâle, qui légifère sur les mouvements transfrontaliers des déchets, impose à l’Italie de récupérer la cargaison, la société Sviluppo Risorse Ambientali srl (SRA), expéditrice officielle des déchets, est en bras de fer avec la région Campanie. Elle refuse de prendre à ses frais leur rapatriement. Les tribunaux régionaux de Campanie et de Latium (région de Rome), jugent irrecevables les recours opérés par SRA, qui réclame que la région Campanie prenne à sa charge le retour des déchets, dont la date était fixée au 24 mars 2021, désormais dépassée.
212 conteneurs sont toujours immobilisés au port de Sousse, tandis que le contenu des 70 autres, libérés au mois de juin 2020, croupit à Moureddine. C’est dans cette petite commune rurale à 15 km de Sousse, que Mohamed Moncef Nourredine, gérant de Soreplast, actuellement en fuite, avait établi l’un de ses dépôts.
D’après un mail* de son avocat consulté par inkyfada, sa société subirait des pertes financières quotidiennes s’élevant à plus de 4 millions de dinars, liées notamment aux frais de stationnement des navires et des conteneurs, immobilisés depuis l’éclatement de l’affaire.
Images de l’intérieur du dépôt de Moureddine, prises par RaiNews24
À ce jour, six personnes demeurent en prison, et 26 sont désormais poursuivies, y compris des cadres de la douane, accusées d’avoir favorisé l’arrivée illégale de ces déchets non recyclables sur le sol tunisien. Des poursuites ont également été engagées contre le frère de Moncef Noureddine, avocat de la société Soreplast, libéré le 27 avril 2021 après plus de deux mois d’incarcération.