À qui profite le contenu des pages Facebook tunisiennes liées à Israël ?

Le 16 mai 2019, Facebook annonce la désactivation de 265 pages ou comptes liés à une société israélienne dont le but est d’influencer l’opinion publique, principalement dans des pays africains. En Tunisie, 11 pages sont concernées. Inkyfada a eu accès à la quasi-totalité du contenu publié par ces pages. À qui profitent-elles ? Un candidat se dégage en particulier. Enquête.
Par | 03 Juin 2019 | reading-duration 20 minutes

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“Aujourd’hui, nous avons supprimé 265 comptes, pages, groupes et évènements sur Facebook et Instagram” dont le comportement “coordonné” et “trompeur” visait à manipuler l’opinion publique, a annoncé Facebook dans un communiqué publié le 16 mai 2019. Les activités incriminées sont liées à une société israélienne et se concentrent principalement sur le continent africain. Parmi les pays cités par le réseau social figurent le Nigéria, le Sénégal, le Togo, l’Angola, le Niger, mais aussi la Tunisie. 

Partenaire de Facebook pour traquer et analyser ce type de comportement, le DFR Lab du think tank américain Atlantic Council a été informé par le réseau social de Mark Zuckerberg peu de temps avant la désactivation des ces pages, lui permettant de sauvegarder une grande partie du contenu visé. En collaboration avec le DFR Lab, Inkyfada a eu accès au contenu des pages liées à la Tunisie. 

“Les scandales de Tunisie”, “La Voix tunisienne”, “Tout sauf Chahed”, “Marre de la politique et des politiciens” ou encore “Les parasites de Tunis”... au total, onze pages sont concernées. Une grande partie des publications attaque directement de nombreuses personnalités politiques tunisiennes. Mais un homme en particulier échappe totalement aux critiques et bénéficie de contenus positifs, comme un prélude à une campagne annoncée. 

Janvier 2019, la campagne est lancée

Le 17 janvier 2019, une page nommée “Les parasites de Tunis” est créée sur Facebook. Elle est gérée par cinq administrateurs·trices localisé·es en Tunisie. En photo de couverture, l’actuel chef du Gouvernement, Youssef Chahed, et l’ancien dictateur, Zine El Abidine Ben Ali, sont estampillés “Les Parasites de Tunis”, avec le dessin d’une tête de mort. Le ton est donné. 

En moins de quatre mois, les 44 publications de la page vont générer près de 167.000 interactions (likes, commentaires et partages). Youssef Chahed et son gouvernement font l’objet de critiques virulentes, tandis que les problèmes liés à la corruption ou la mauvaise gestion sont les principaux sujets de discussion. Béji Caïd Essebsi, Mehdi Jomâa et les leaders du parti Ennahdha sont également ciblés.

La page, qui totalise plus de 37.000 abonné·es au 15 mai 2019, jour de sa désactivation par Facebook, donne par ailleurs un certain crédit à l’ancien président de la République Moncef Marzouki et aux ancien·nes cadres du CPR comme Samia Abbou ou Imed Daïmi, lorsqu'ils et elles expriment des critiques à l’encontre de l’actuel gouvernement. Hostile à l’ancien régime, cette page partage aussi des articles relatifs à la Justice transitionnelle.

Mais malgré une orientation favorable aux partisans de mouvements issus du CPR, la bienveillance de cette page se manifeste également à l’égard de Nessma TV. La chaîne de télévision privée est elle-même présentée comme un média d’opposition à la dictature de Ben Ali, tandis que la décision de sa fermeture en avril 2019 est condamnée.

“La chaîne Nessma TV s’oppose à Ben Ali en décembre 2010”

Ce 17 janvier 2019, une deuxième page, nommée “La Voix tunisienne”, est créée. Au 15 mai, elle enregistre plus de 24.000 abonné·es. Inkyfada n’a pu accéder qu’aux dernières publications de cette page avant sa désactivation, par le biais du cache de Google.

Parmi les cinq publications visibles, figurent trois vidéos. Elles condamnent toutes la fermeture de Nessma TV et ont chacune généré entre 2000 et 3000 réactions (likes et commentaires). Par ailleurs, la veille de sa suppression, “La Voix tunisienne” critique l’état des institutions du pays, le niveau de corruption et les menaces sur la démocratie, avant de poser une dernière question :

“Ne faudrait-il pas réformer totalement le gouvernement et opter pour un nouveau candidat plus proche des préoccupations des Tunisiens ? Qu’en pensez-vous ?”.

Des millions d’interactions

Le mois suivant, entre le 7 et le 27 février, cinq nouvelles pages apparaissent. "Tout sauf Chahed""فدّینا من السیاسة و السیاسیین” ("Marre de la politique et des politiciens")"Tunis 24", "Organisation pour le droit et la démocratie au Maghreb" et "حبي تونس - Tunisie Mon amour" cumulent en à peine trois mois environ 240.000 abonné·es.

Les quatre dernières pages sont créées dans le courant du mois de mars. Il s’agit de "الانسان لاخيه الانسان” (“L’homme est un soutien pour l’homme”), une page à vocation humanitaire, “Stop à la désinformation et aux mensonges Tunisie”, "الثوره إلى القمامة” (“La révolution à la poubelle”) et فضائح تونس” (“Les scandales de Tunisie"). En deux mois, elles parviennent à cumuler près de 200.000 abonnements.

Les 11 pages incriminées ont été créées entre le 17 janvier et le 12 mars 2019 et cumulaient près de 500.000 abonnements.

Au 15 mai, le nombre d'abonné·es était compris entre 9083 pour “Organisation pour le droit et la démocratie au Maghreb” et 104.268 pour “Les scandales de Tunisie”. Cette dernière page, créée le 12 mars, connaît une progression remarquable en à peine plus de deux mois d’existence.

  • Informations générales
  • Progression des pages
  • Type de contenu
11 pages, 494865 likes

Entre le 17 janvier et le 15 mai 2019, les 11 pages tunisiennes créées ont généré un total cumulé de 494.865 abonné·es.

La taille des cercles dépend du nombre d’abonné·es.

25000 abonné·es
10000 abonné·es
1000 abonné·es

Les couleurs montrent la rapidité de progression du nombre d’abonné·es dans le temps (moyenne de “likes” par jour).

  • 250
  • 500
  • 1000
  • 1500
  • 2000
Mandatory

$2.5 trillion

About 70 percent of budgetary spending is controlled by existing laws, including entitlements like Medicare, Medicaid and Social Security.

Discretionary

$1.1 trillion

Only about 30 percent of the budget is controlled by the annual budget process. Last August, the White House and Congress agreed to a cap on this spending.

Les cercles sont placés selon leur date de création (sur l’axe des abscisses) et leur taille en nombre d’abonné·es (sur l’axe des ordonnées). Cette infographie montre la vitesse de progression des pages. Par exemple, la dernière page, créée le 12 mars 2019, comptait pourtant le plus grand nombre d’abonné·es (104.268) à la date de sa désactivation, le 15 mai 2019.

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Le contenu analysé de ces pages englobe 359 publications ayant généré plus d’1 million d’interactions (likes, commentaires et partages) et 36 vidéos ayant cumulé près de 8 millions de vues. 

Les taux d’engagement ou d'interaction générés, supérieurs à la moyenne, supposent que le contenu partagé a été largement sponsorisé, ce que l’équipe d’ Inkyfada a pu constater pour au moins deux de ces pages au cours des dernières semaines. Le jour de sa désactivation, la page “Tout sauf Chahed” affichait encore trois campagnes publicitaires actives simultanément.

Contenu sponsorisé actif au 15 mai 2019 sur la page "Tout sauf Chahed"

Dans son communiqué, Facebook indique qu’au total 812.000 $ ont été dépensés entre décembre 2012 et avril 2019 pour mettre en avant le contenu des 265 pages et comptes lié·es à Israël. Ces publicités ont été payées en réals brésiliens, shekels israéliens ou dollars américains. Contacté par Inkyfada, le service de presse du réseau social n’a pas souhaité communiquer d’informations spécifiques aux pages tunisiennes.

Facebook précise que “les administrateurs des pages et les titulaires de comptes ont fréquemment publié des articles sur l'actualité politique, notamment sur les élections dans divers pays, les points de vue de candidats ou des critiques d’opposants politiques”.

Les pages tunisiennes concernées ne font pas exception. La majorité partage des publications à caractère politique, sur l’actualité du pays ou des personnalités politiques, tandis que d’autres se focalisent sur des thèmes en particulier, comme la promotion d’initiatives à caractère humanitaire ou du tourisme en Tunisie.

DeS ennemi·es par dizaines

Créée le 7 février 2019,  “Tout sauf Chahed”, comme son nom l’indique, affiche une hostilité particulière à l’encontre de l’actuel chef du gouvernement et de ses proches. Les 35 vidéos publiées par cette page ont été visionnées plus de 7,6 millions de fois. La grande majorité critique l’action du gouvernement et dénonce la corruption, la mauvaise gestion ou encore l’inflation.

Dans la foulée, la critique du gouvernement s’élargit à l’ensemble de la classe politique. Créée le 12 février, la page nommée “Marre de la politique et des politiciens” s’installe très rapidement et sa première publication génère déjà plus de 13.000 interactions.

Différentes captures d'écran de la page "Marre de la politique et des politiciens" qui publie des photomontages hostiles aux principales personnalités politiques tunisiennes. La publication de gauche s'attaque aux partis politiques dans leur ensemble. Au milieu (en haut), un exemple d'illustration appelant à s'inscrire puis à voter aux prochaines élections pour "changer le système". En bas à droite, Kais Saïed, un des candidats favoris selon les sondages d'opinion, est accusé d'être proche du leader de Hizb Ettahrir, un parti islamiste radical.

Pendant trois mois, cette page publie à une cadence soutenue des photomontages réalisés grossièrement et mettant en scène de nombreuses personnalités politiques de la majorité comme de l’opposition.

Youssef Chahed, son parti et les membres du gouvernement, Béji Caïd Essebsi et Nida Tounes, Rached Ghannouchi et Ennahdha, Hamma Hammami et le Front populaire, Mehdi Jomâa, Moncef Marzouki, Samia Abbou, Mohsen Marzouk, Yassine Ayari ou encore Abir Moussi et Kaïs Saïed… ce sont des dizaines de partis, hommes et femmes politiques qui sont visé·es.

Afin de se débarrasser de cette classe politique “corrompue” ou “incompétente”, lutter contre la pauvreté et l’inflation, la page "Marre de la politique et des politiciens" mène en avril 2019 une campagne incitant son audience à s’inscrire et à voter aux prochaines élections sans pour autant afficher son soutien à un mouvement en particulier.

Comparés aux hommes et femmes politiques cité·es par trois instituts de sondage* ces derniers mois, seuls deux hommes sont épargnés par les publications de cette page qui a atteint près de 100.000 abonné·es au 15 mai 2019. En effet, Nabil Karoui, propriétaire de la chaîne de télévision Nessma TV, et Safi Saïd, chroniqueur, polémiste et candidat à la présidentielle de 2014, ne sont jamais mentionnés.

Nessma TV, “contre vents et marées”

Fin février. Une “organisation pour le droit et la démocratie au Maghreb”, fait son apparition. La page Facebook de cette organisation comptait près de 10.000 abonné·es le jour de sa suppression, malgré l’absence de contenu. Cette page renvoie à un site web, créé au même moment, ayant pour nom de domaine oddm.org.

Sur son site, l’ODDM se présente comme “une organisation non gouvernementale, bénévole et non lucrative”. Sans existence légale avérée et dans un français très approximatif, l’organisation se dit “neutre”, “complètement fiable” et ne serait sous l’influence d’ ”aucun acteur extérieur”.

Parmi les neuf articles publiés sur son site, huit sont dupliqués d'articles ou de communiqués existants, empruntés à de réelles organisations de défense des droits humains comme  Amnesty international ou à des médias en ligne comme le HuffPost Maghreb. La grande majorité de ces publications est antidatée, à une date antérieure à la création du site web - le 26 février 2019 - ou même à une date précédant la publication de l’article plagié*.

La neuvième et dernière publication est la seule dont le contenu serait original, selon les vérifications effectuées. Elle est titrée “Nessma TV : Vision démocratique contre vents et marées”.

Placée à la Une du site, elle fait l’éloge de la chaîne de télévision Nessma TV et de son patron Nabil Karoui.  “Nous devons tous être libres de choisir notre propre direction. La démocratie doit être établie pour que nous ayons tous ce droit fondamental. Alors que la bataille politique pour la pensée autonome fait rage, les gens souffrent et le monde entier les regarde”, conclut l'article. 

Parmi les 11 pages tunisiennes incriminées par Facebook, “Tunis 24” est également liée à un site web. S’il duplique essentiellement des dépêches et autres articles liés à l’actualité tunisienne à partir du site de Mosaïque FM, aucune autre information n’est disponible. Malgré la désactivation de sa page Facebook, tunis24.net est toujours actif, sans prendre position pour un candidat en particulier.

Malgré ce plagiat systématique, Mosaïque FM n'est pas considéré comme un média fiable. La page "Tout sauf Chahed" met en effet en garde contre les télévisions et stations de radio accusées d'être à la solde du chef du Gouvernement. Les radios Mosaïque FM et Shems FM, ainsi que les chaînes de télévision El Hiwar Ettounsi et Attessia TV sont pointées du doigt.

La page "Stop à la désinformation et aux mensonges en Tunisie" s'en prend particulièrement au site d'informations en ligne Kapitalis.com et à son propriétaire Ridha Kéfi. Ce dernier ne cache pas une animosité particulière à l'encontre de... Nabil Karoui. 

La même page exprime son soutien à Nessma TV et à son patron, à la suite de la décision de fermeture de la chaîne, à la fin du mois d'avril.

une vision globale

En plus de la politique, de l'actualité et des médias, les 11 pages tunisiennes désactivées par Facebook offrent des contenus diversifiés, dessinant une vision globale et orientée du pays.

La diversité du contenu s'adresse aussi à différentes cibles.  "Les parasites de Tunis" reproduit un discours favorable à la révolution, hostile à l'ancien régime et ciblant davantage les partisans de mouvements issus du CPR, tandis que  "La révolution à la poubelle", aurait pu s'y opposer. Des publications en apparence sérieuses de médias ou d'organisations de défense des droits humains évoluent parallèlement à des pages qui reproduisent des photomontages grossiers, usant d'un langage plus trivial. Certaines pages publient en français, tandis que d'autres privilégient le dialecte tunisien. 

Dernière en date, "Les scandales de Tunisie" a connu la plus forte progression, avec plus de 100.000 abonnements en à peine deux mois d'existence. Cette page, spécialisée dans les faits divers sordides (viols, incestes, meurtres et autres escroqueries), partage un contenu anxiogène et présente une image alarmante de la situation du pays. À l'opposé, "Tunisie mon amour" fait la promotion du tourisme en Tunisie, donnant à voir la beauté de ses paysages (réels ou supposés). 

Pour améliorer la situation, une des pages fait la promotion d'actions caritatives ou humanitaires. Parmi plus d'une vingtaine d'initiatives mises en avant, Khalil Tounes, l'association de Nabil Karoui, est la seule à être présentée deux fois et bénéficie du plus grand nombre d'interactions comparée aux autres publications de la page (plus de 40% de l'ensemble des interactions générées). 

Avantage : Nabil Karoui

L'analyse du contenu des 11 pages tunisiennes supprimées par Facebook et accusées d'être liées à une société israélienne révèlent une préférence claire pour un candidat. Les pages qui critiquent de nombreuses personnalités politiques ne s'attaquent jamais à Nabil Karoui et 5 pages ont partagé un contenu qui lui est favorable que ce soit directement, à travers sa chaîne de télévision Nessma TV ou son association Khalil Tounes

Depuis le début de l'année, Nabil Karoui est régulièrement cité dans les médias. Les différents instituts de sondage l'ont propulsé en tête des intentions de vote et la fermeture de sa chaîne de télévision en avril a suscité de nombreuses réactions. Accusé d'utiliser son média et son association à des fins politiques, Nabil Karoui ne renonce pas à ses ambitions et annonce sa candidature à l'élection présidentielle le 27 mai sur sa propre chaîne. 

Invité à réagir sur le contenu des pages supprimées par Facebook, l'homme ne veut rien savoir. "Je ne comprends pas pourquoi vous m'appelez ? Est-ce que vous avez quelque chose qui vous relie à moi personnellement ? Pourquoi vous n'appelez pas une société ?" , s'agace-t-il lors d'un bref entretien téléphonique. 

"Pourquoi maintenant ?" "Pourquoi moi ?" "Pourquoi pas Abir Moussi par exemple ?", interroge encore le candidat. "Je n'ai aucune explication, je ne vois pas pourquoi vous m'appelez, je ne sais pas qui vous envoie", ajoute-t-il.

À la fin de la conversation, Nabil Karoui affirme finalement consentir à répondre par mail aux questions qui lui ont été adressées. Ce qu'il ne fera jamais malgré les relances.

Que cette campagne ait été commandée directement par un candidat, des personnes ou des entités qui lui sont favorables, une société en est l'instigatrice, selon Facebook. Il s'agit de la société Israélienne Archimedes Group. Son objectif ? "Changer la réalité" pour "gagner des élections à travers le monde"

“Changer la réalité”

Archimedes Group opérait principalement en Afrique, mais aussi en Asie du Sud-Est et en Amérique Latine et affichait clairement ses intentions sur son site internet, avant qu’il ne soit lui-même supprimé à la suite de la révélation de ses méthodes par Facebook

“Nos équipes ont joué un rôle significatif dans de nombreuses campagnes politiques ou publiques, comme des élections présidentielles ou d’autres projets sur les réseaux sociaux à travers le monde”, précisait encore Archimedes

Capture d'écran de la page "a propos" du site de la société Archimedes Group avant sa suppression. 

Pour cela, la société israélienne affirmait avoir développé un ensemble d’outils et méthodes “innovantes” afin de “changer la réalité selon les souhaits de ses clients". Parmi ces outils,  Archimedes Group propose à ses clients d’acquérir  “Archimedes Tarva” , un produit décrit comme un logiciel de gestion de campagne. 

“Développé par des experts de premier plan dans le domaine des réseaux sociaux et écrit par nos meilleurs développeurs, il inclut des outils d'automatisation et de gestion de campagnes sur les réseaux sociaux, la création de plateformes à grande échelle et des opérations illimitées de comptes en ligne. 

La licence comprend la formation et la mise en oeuvre sur site, ainsi qu’un service technique 24h/7j”.

Selon plusieurs sources dont l'AIPAC, puissant lobby américain de soutien à Israël, Elinadav Heymann est désigné comme le PDG d' Archimedes Group. Il est à ce jour difficilement traçable en ligne, sa biographie ayant été supprimée de nombreux sites qui le référençaient depuis la révélation par Facebook de ses activités. L'un d'eux, negociations.ch, le présentait aussi comme un ancien agent du renseignement de l'armée de l'air israélienne.

Ce n'est pas la première fois qu'une société israélienne gérée par un ancien agent du renseignement est citée pour ce type d'activités. En 2016, Rick Gates, un responsable de la campagne électorale de Donald Trump avait approché la société Psy-Group, alors composée d'anciens agents des services du renseignement israélien, rapporte le New York Times. Un document élaboré par Psy-Group détaillait alors un plan d'action élaboré notamment pour cibler et influencer des milliers de délégué·es républicain·es. 

Il n'est pas étonnant de trouver des sociétés israéliennes spécialisées dans ces techniques de manipulation de masse, par le biais des réseaux sociaux. Les compétences technologiques développées au sein de l'armée à des fins de cyberdéfense et de contre-espionnage ont dessiné le modèle économique israélien tourné vers le numérique et les nouvelles technologies. Ainsi, confirme Fabrice Epelboin, enseignant au MediaLab de Sciences Po Paris, de nombreuses start-ups y sont créées par des vétérans de l'armée formés au sein des unités du renseignement israélien.

Des sociétés comme Archimedes Group, spécialisées dans la manipulation des masses sur les réseaux sociaux afin d'influencer l'opinion publique sur des sujets souvent politiques peuvent servir des États, des marques mais aussi des groupes politiques de manière décentralisée. 

La suppression des pages liées à Archimedes Group par Facebook n'est pas de nature à stopper la propagation de contenus "trompeurs" en Tunisie. Le 31 mai, un faux sondage prêté à une entreprise française a été largement partagé sur Facebook avant d'être relayé par certains médias. Ce sondage donnait encore Nabil Karoui largement en tête des intentions de vote pour l'élection présidentielle. La circulation de cette fausse information a contraint l'entreprise française Visactu, dont le nom a été usurpé, à publier un démenti. Cette fois, la supercherie a rapidement été révélée. Mais la campagne ne fait que commencer.