Dans cette enquête, Irpi Media tente, grâce à la mise en commun du travail de chercheur·es et de militant·es, de reconstituer la chaîne de déportations subies par Abdallah. Il a d’abord été renvoyé par les autorités tunisiennes, en même temps que des dizaines d’autres personnes, vers la frontière avec l’Algérie, où les forces de sécurité algériennes l’ont intercepté pour le déporter une nouvelle fois, cette fois vers la frontière nigérienne.
Ces pratiques visent le plus souvent des migrant·es qui cherchent à rejoindre des pays de l’Union européenne, où le droit européen et le droit international leur garantissent la possibilité de demander une protection internationale et les protègent contre l’expulsion immédiate.
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Ces déportations en chaîne réduisent d’un côté le nombre de personnes qui atteignent les côtes européennes, mais si l’on les observe sous l’angle politique, elles mettent aussi en lumière la recomposition des rapports de force régionaux, façonnés par les politiques de l’Union européenne qui repoussent ses frontières extérieures vers les pays d’Afrique du Nord.
L’organisation Alarm Phone Sahara, active au Niger à la frontière avec la Libye et l’Algérie, signale « une intensification des expulsions en chaîne » depuis 2023. Ce constat est confirmé par un rapport publié en 2024 par les deux agences onusiennes compétentes en matière de migration, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), en collaboration avec le Mixed Migration Centre, un centre de recherche relevant du Conseil danois pour les réfugiés. Le rapport alerte sur « les risques de déportation en chaîne pour des personnes ayant besoin de protection internationale ».
Abdallah (nom d’emprunt) fait partie de ces personnes. Son histoire commence en mai 2024, à Tunis, à quelques pas seulement des bureaux des deux agences onusiennes citées.
Évacuation et expulsion depuis la Tunisie
Dans la nuit du 2 au 3 mai 2024, les forces de sécurité tunisiennes démantèlent, de manière brutale et sans préavis, un campement de fortune dressé en face du siège du HCR à Tunis, à quelques centaines de mètres du bureau de l’OIM. Ce camp abritait des migrant·es et des demandeur·euses d’asile, pour la plupart originaires de pays d’Afrique subsaharienne, qui s’y étaient réfugié·es après la montée des violences racistes et de la répression dans plusieurs pays arabes.
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Abdallah vivait dans ce campement depuis février 2024. Il a filmé la scène avec son téléphone portable. En décembre 2023, ce Soudanais avait obtenu une carte de demandeur d’asile délivrée par le HCR, un document censé lui assurer une protection dans le pays. Cela ne l’a pourtant pas empêché d’être arrêté, avec environ cinq cents autres personnes, lors d’une opération de démantèlement d’un camp. Toutes et tous ont été entassé·es dans des bus et expulsé·es vers le désert, aux abords de la frontière algérienne.
À propos du projet
Cette enquête est le fruit d’une collaboration entre Irpi Media et plusieurs organisations non gouvernementales, parmi lesquelles Refugees in Libya, l’Association pour les études juridiques sur les migrations (ASGI), le réseau Refugees in Libya Alliance, ainsi que le laboratoire de recherche Liminal de l’université de Bologne, spécialisé dans les violences aux frontières. Abdallah, migrant soudanais, a partagé des messages, des photos, des vidéos et des coordonnées GPS avec Refugees in Libya et l’ASGI, avant que les autorités algériennes ne confisquent son téléphone. Son récit a été reconstitué à partir de ces données, d’une série de témoignages qu’il a fournis et d’une vidéo produite par le laboratoire Liminal.
L’affaire d’Abdallah et des autres membres du groupe expulsé depuis la Tunisie le soir du 3 mai a fait l’objet d’une requête officielle adressée par l’ASGI, via ses avocat·es, au Comité des droits de l’homme des Nations unies, demandant la mise en place de mesures de protection en leur faveur. La réponse du Comité, le 10 mai, a été positive, mais les autorités tunisiennes n’y ont pas donné suite et ont procédé, dans les jours suivants, à leur renvoi vers l’Algérie.
Dans un message adressé à Refugees in Libya le 4 mai 2024, Abdallah écrit : « Ils nous ont emmenés dans un lieu inconnu après avoir été humiliés et fouillés par la police. Nous avons tous été laissés sans nourriture ni eau, y compris les femmes et les enfants. »
L’homme tente ensuite de revenir en Tunisie, accompagné d’une soixantaine d’autres personnes. Elles sont empêchées de monter dans un train par des individus dont il est impossible de savoir s’il s’agit de simples citoyens, de responsables ou d’agents de sécurité. Le groupe finit par poursuivre sa route à pied, jusqu’à ce qu’il soit de nouveau intercepté par les forces de sécurité tunisiennes, à plusieurs dizaines de kilomètres de la capitale.
Là, les autorités les accusent d’« entrée irrégulière sur le territoire ». Le tribunal de première instance de Teboursouk les condamne à trois mois de prison avec sursis. Le groupe est libéré, mais aussitôt scindé en deux. Les familles, les femmes et les enfants sont dirigés vers un centre, tandis qu’un groupe de douze jeunes hommes, dont Abdallah, est transféré dans un commissariat de la capitale.
Le 18 mai, sans la moindre explication, Abdallah et ses compagnons sont de nouveau embarqués dans deux véhicules des forces de sécurité tunisiennes et conduits non loin de l’endroit où ils avaient été abandonnés auparavant. Le groupe se retrouve, une nuit de pluie, dans une zone montagneuse et boisée. Abdallah se souvient : « J’ai regardé sur ma droite et j’ai vu un panneau sur lequel il était écrit “Frontière algéro-tunisienne”. » C’est à ce moment-là que le Soudanais partage sa position GPS avec Refugees in Libya.
L’évacuation du campement où Abdallah vivait à Tunis a été un événement marquant, largement documenté. Les enquêtes de la série #DesertDumps ont mis au jour le caractère systématique des pratiques auxquelles Abdallah et d’autres ont été soumis, ainsi que l’implication de l’Union européenne.
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La nouveauté tient au fait que les déportations en chaîne d’un pays à l’autre, comme celles qu’a subies Abdallah, apparaissent aujourd’hui comme une pratique très répandue, comme le confirment les données et analyses les plus récentes.
Selon l’Organisation mondiale contre la torture, les autorités tunisiennes ont expulsé plus de 9000 personnes vers la frontière tuniso-algérienne en 2024, et au moins 7 000 autres vers la frontière avec la Libye. Ces chiffres sont à la hausse cette année également. « On estime que les autorités tunisiennes ont expulsé plus de 12 000 personnes entre janvier et avril 2025. On pense qu’au moins 8 000 personnes ont été renvoyées vers l’Algérie, ce qui les expose au risque d’une nouvelle déportation vers la Libye ou le Niger », indique un rapport de l’organisation publié début septembre.
Ces expulsions systématiques ne sont pas une nouveauté dans des pays comme le Maroc ou la Mauritanie, où elles se poursuivent depuis de nombreuses années. En Algérie, elles sont documentées depuis des décennies, tandis que le phénomène reste relativement récent en Tunisie.
Le journaliste algérien Sofiane Philip Nacer écrit que « la grande majorité des migrant·es, avant 2023, traversaient l’Algérie pour se rendre en Tunisie, soit pour chercher du travail, soit pour passer ensuite en Libye ou en Italie ». Mais depuis que les autorités tunisiennes ont commencé, en 2023, à organiser des campagnes régulières contre les migrant·es, Nacer note que « les expulsions collectives vers les frontières avec l’Algérie ou la Libye sont devenues monnaie courante ».
Nacer est l’auteur du rapport « Répression des mouvements migratoires, précarité fabriquée et régimes frontaliers racialisés dans l'Algérie post-Hirak : au nom de la souveraineté, au service de l'accumulation de rentes », publié par le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux. Il y explique que « l’Algérie a répondu à cette nouvelle réalité sur sa frontière nord-est en renforçant la présence sécuritaire et en multipliant les opérations de refoulement et de déportation en chaîne vers le Niger ou la Libye ».
L’Algérie applique deux formes d’expulsion vers le Niger
Après avoir été abandonnés dans le désert pour la deuxième fois, Abdallah et ses compagnons décident cette fois de se diriger vers l’Algérie. Ils arrivent aux abords de la ville de Tébessa, à l’est du pays. Là, ils croisent « plusieurs amis qui étaient avec nous en Tunisie, eux aussi expulsés, dans un état de santé très critique à cause des coups et des mauvais traitements subis là-bas ».
Les jours passent dans cette situation que Abdallah décrit comme « extrêmement difficile. Il y a des informations selon lesquelles la police mène des opérations à Alger en ce moment. […] Les expulsions vers le Niger vont s’étendre jusqu’ici [à Tébessa] demain ou après-demain ». Lui et ses camarades tentent de se cacher, sans succès. Selon son récit ultérieur, les autorités algériennes les retrouvent dans un campement improvisé dans les montagnes près de Tébessa et procèdent à leur arrestation.
La politologue Tasnim Abderrahim explique que ces pratiques d’expulsion « controversées » depuis l’Algérie remontent au milieu des années 2000. Dans un article publié par le Conseil européen des relations internationales, elle écrit : « En décembre 2014, l’Algérie a renforcé ce dispositif à travers un accord informel avec le Niger, qui permet chaque année le renvoi de milliers de migrant·es, très majoritairement de nationalité nigérienne. […] L’opération prend généralement la forme de descentes de police dans des villes comme Alger ou Oran. Les migrant·es sont ensuite détenu·es dans des centres temporaires avant d’être transféré·es à Tamanrasset, dans le sud du pays. De là, ils et elles sont envoyés en convois militaires vers le Niger. »
Aujourd’hui, l’Algérie met en œuvre deux formes de déportation vers le Niger. La première correspond aux convois organisés dans le cadre de l’accord de 2014 entre l’Algérie et le Niger, destinés aux Nigérien·nes. La seconde, dite « informelle », vise toutes les autres nationalités.
Dans le premier cas, les autorités des deux pays conviennent d’un transfert direct vers la petite ville d’Assamaka, en plein désert nigérien. Dans le second, les personnes expulsées sont abandonnées dans ce que l’on appelle « le point zéro », une zone désertique au cœur de la frontière. Les personnes refoulées, laissées à elles-mêmes, doivent alors marcher près de quinze kilomètres pour atteindre Assamaka. C’est précisément ce qui est arrivé à Abdallah.
Le jeune homme raconte avoir passé onze jours en détention à Tébessa après son arrestation, avant d’être transféré dans un autre centre, à plus de 1 500 kilomètres, à Tamanrasset, dans le sud du pays. Le premier centre était, selon lui, « surpeuplé », les conditions y étaient « catastrophiques » et la manière d’y traiter les gens « effroyable ».
Il se souvient : « Quand ils venaient distribuer la nourriture, ils arrivaient avec des bâtons et des tasers. Un jour, une bagarre a éclaté dans la salle et ils ont utilisé du gaz lacrymogène contre les femmes et les enfants. » Il ajoute : « Après l’enfer que nous avons vécu à Tamanrasset, les coups, les insultes et les humiliations se sont intensifiés. »
Puis vient la déportation proprement dite. Les gens sont embarqués entre huit et neuf heures du matin dans des bus en direction du sud. Ils sont abandonnés sans eau, sans nourriture et sans assistance à la frontière avec le Niger, sur la route menant à Assamaka. Cette zone est connue sous le nom de point zéro, mais il est difficile de confirmer si Abdallah est passé par cet endroit précis. Les personnes refoulées, parmi lesquelles des femmes, des enfants et des hommes victimes de violences, doivent parcourir à pied plusieurs kilomètres sous la chaleur écrasante, guidées par quelques personnes connaissant déjà le trajet, car ce n’est pas leur première expulsion.
Selon un document de la Commission européenne publié fin août, fondé sur des données du HCR et du Service européen pour l’action extérieure, « la situation au Sahel est marquée par les déplacements forcés liés aux conflits, les expulsions collectives et des déportations effectuées dans des conditions éprouvantes ». Le texte confirme que les expulsions d’Algérie vers le Niger « se poursuivent et concernent également des réfugié·es et des demandeur·euses d’asile enregistré·es ».
Un nouveau front maghrébin
L’itinéraire d’Abdallah renvoie à une image souvent utilisée en Italie pour commenter les politiques migratoires, celle du « renvoi du fardeau ». L’idée brutale est que les migrant·es constituent un « poids » que chaque pays tente de repousser vers celui qui le précède sur les différentes routes migratoires.
Au départ, cette logique s’appliquait entre pays européens. Elle concerne désormais aussi les pays méditerranéens, dans le cadre des politiques d’externalisation des frontières menées par l’Union européenne. Aujourd’hui, ce schéma apparaît également entre pays africains. Les expulsions sont devenues, à plusieurs reprises, une source de tensions diplomatiques, par exemple entre l’Algérie et le Niger, ou entre la Tunisie et la Libye.
Dans le même temps, ces pratiques se développent dans une période de coopération et de coordination accrues entre les pays du Maghreb, en particulier l’Algérie, la Libye et la Tunisie.
Mokhtar Dan Yaye, d’Alarm Phone Sahara, explique que son organisation a rencontré, lors de ses activités humanitaires à la frontière nigéro-algérienne, « des personnes qui disent venir de Tunisie » depuis février 2023. L’organisation a compilé plusieurs témoignages similaires à celui d’Abdallah. Sur cette base, Dan Yaye affirme que « les expulsions en chaîne se déroulent régulièrement depuis le début de l’année 2024 ».
En avril 2024, les dirigeants des trois pays se réunissent à Tunis pour le premier sommet annonçant un nouveau « front maghrébin ». Plusieurs observateurs décrivent cette initiative comme une démarche « soutenue par l’Algérie contre le Maroc ». Les trois États y décident « la création de groupes de travail conjoints pour coordonner les efforts visant à protéger les frontières communes contre les flux migratoires irréguliers et les autres formes de criminalité organisée ».
Dans une note du Conseil européen des relations internationales, Abderrahim écrit que « la migration est devenue un thème central du sommet ». Il observe que les pays d’Afrique du Nord ont longtemps hésité à approfondir leur coopération, mais que l’augmentation du nombre d’arrivant·es dans la région et les tensions sociales qui en ont découlé les ont poussés à revoir leur position. « L’intérêt manifesté par les dirigeants pour la migration n’a rien de surprenant », précise t-il, rappelant « des années de discussions, d’accords et d’ententes entre les pays d’Afrique du Nord et leurs partenaires européens ».
Ces discussions et accords se poursuivent aujourd’hui, notamment avec l’Italie, et se sont même intensifiés dans certains cas.
Le politologue Anthony Dworkin précise que « le gouvernement italien se voit comme le promoteur d’un nouveau modèle de relations avec l’Afrique du Nord. » L’Italie a joué un rôle central dans les politiques européennes d’externalisation des frontières vers la Libye et la Tunisie. Elle entretient aujourd’hui d’excellentes relations avec l’Algérie et discute de la question migratoire avec elle depuis l’époque des ministres de l’Intérieur Marco Minniti (2016-2018) et Luciana Lamorgese (2019-2022).
Leur successeur, l’actuel ministre Matteo Piantedosi, a signé en 2024 un accord de sécurité avec l’Algérie visant à « surveiller, prévenir et combattre les trafiquants d’êtres humains ». Il a rencontré à plusieurs reprises les ministres de l’Intérieur de l’Algérie, de la Libye et de la Tunisie. Parmi ces rencontres figure une réunion au ministère italien de l’Intérieur en mai 2024, puis une autre en octobre de la même année, lorsqu’il les invite au sommet du G7 présidé par l’Italie, et enfin une rencontre à Naples en avril dernier. Lors de cette dernière, il déclare : « Nous devons continuer à travailler ensemble pour renforcer les retours volontaires assistés […] tout en préservant la cohésion de ce cadre. »
Les « retours volontaires » sont-ils vraiment volontaires?
Le retour volontaire depuis les pays du Maghreb est un outil controversé, mis en œuvre par l’Organisation internationale pour les migrations grâce à des financements de l’Union européenne et de ses États membres. Il peut être utile dans certaines situations, mais dans d’autres il suscite de sérieux doutes sur son caractère réellement « volontaire », compte tenu des conditions dans lesquelles se trouvent les migrant·es. Cela n’empêche pas le recours croissant à ce dispositif dans les pays du Maghreb, y compris en Algérie.
Après des années d’engagement très limité, « les autorités algériennes ont montré un intérêt renouvelé pour la coopération en matière de migration », en particulier pour les « retours volontaires vers l’Afrique subsaharienne », selon un document du Conseil de l’Union européenne daté de juillet 2024, obtenu par l’ONG Statewatch. Un autre document de la Commission évoque jusqu’à « 10 000 retours volontaires par an depuis le pays ». Malgré la hausse de ces chiffres, le volume reste modeste, alors que l’Algérie, la Libye et la Tunisie poursuivent en parallèle les rafles et les expulsions.
Des expulsions contraires au droit international
L’Association pour les études juridiques sur les migrations a suivi de près le cas d’Abdallah et conclu que les expulsions dont il a été victime en Tunisie et en Algérie ne respectent pas les normes internationales pour plusieurs raisons. Adelaide Massimi, de l’association, explique qu’« en aucun cas les autorités d’un pays ne peuvent arrêter une personne, quelle que soit sa nationalité ou sa situation administrative, sans aucune procédure légale, la transférer de force vers un autre lieu et la priver de liberté ».
Elle ajoute que, « de manière générale, une personne détenue ou déplacée de force doit être informée de la décision de justice qui la concerne et dispose de la possibilité de la contester par des voies de recours effectives qui garantissent son droit à la défense dans le cadre d’un procès équitable ». Massimi souligne aussi que Abdallah et le groupe qui l’accompagnait ont subi, lors des expulsions, des « menaces » et ont été transportés « dans des conditions totalement inadéquates ». Les modalités mêmes de ces opérations « sont donc en totale contradiction avec les droits consacrés par les conventions internationales ».
L’association insiste en particulier sur le fait que les expulsions réalisées par la Tunisie et l’Algérie violent les conventions interdisant la torture et les traitements cruels, inhumains ou dégradants (Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Convention des Nations unies contre la torture). Le principe de non refoulement est également bafoué (Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés, Convention des Nations unies contre la torture). Il en va de même pour l’interdiction des expulsions collectives (Charte africaine des droits de l’homme et des peuples).
Ces pratiques portent aussi atteinte au droit des personnes expulsées à une vie digne et à leur droit de demander l’asile, tels qu’ils sont garantis par la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, par le Pacte international relatif aux
droits civils et politiques et par la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Dans les semaines qui ont suivi le sommet de Naples entre l’Italie, l’Algérie, la Libye et la Tunisie, les trois pays maghrébins ont renforcé leurs dispositifs. En Tunisie, la Garde nationale a démantelé des camps informels abritant au moins 9 000 personnes près de Sfax et procédé à plusieurs déportations vers les zones frontalières avec l’Algérie. En Libye, des arrestations et des expulsions ont également eu lieu. Alarm Phone Sahara a enregistré l’arrivée d’environ 800 personnes à la frontière libyo nigérienne en moins d’un mois.
En Algérie, Thobo Lancinet, coordinateur de Médecins du Monde Belgique, basé au Niger, affirme que son organisation « observe, depuis début avril 2025, une augmentation du nombre de migrant·es expulsés d’Algérie vers le Niger ». Il ajoute que « les arrestations et les expulsions depuis l’Algérie ne sont pas nouvelles, mais nous assistons désormais à une hausse des opérations collectives ».
Les autorités nigériennes indiquent que plus de 16 000 personnes ont été expulsées vers leur territoire depuis le Maroc en seulement deux mois, d’avril au début juin, soit l’équivalent de la moitié du nombre de personnes refoulées pendant toute l’année précédente. En 2024, plus de 31 000 personnes ont été expulsées, contre environ 26 000 en 2023.
Dernière étape: Agadez
À son arrivée dans la localité nigérienne d’Assamaka, Abdallah parvient à poursuivre seul sa route, d’abord vers la ville d’Arlit, puis vers Agadez, la principale agglomération du nord du pays. Là, à partir d’octobre 2024, il obtient une place dans le centre humanitaire de la ville, sans que ses conditions de vie ne s’améliorent vraiment.
Le centre d’Agadez, ouvert en 2018 grâce à des financements européens et italiens, est géré par le gouvernement nigérien en coopération avec le HCR et d’autres organisations partenaires. Jusqu’à la mi-septembre, il accueillait environ 2 000 personnes, dont beaucoup originaires du Soudan et d’autres pays d’Afrique subsaharienne. Certain·es bénéficient du statut de réfugié·e, mais la grande majorité sont des demandeur·euses d’asile qui attendent la réponse de l’État nigérien à leur demande de protection internationale, parfois depuis des années.
Selon l’ONG Info Migrants, la plupart sont arrivé·es après avoir été expulsé·es dans le désert par les forces algériennes.
Refugees in Libya décrit le centre d’Agadez comme un « camp de détention en plein désert ». Dans une publication récente intitulée « Le livre de la honte », l’organisation affirme que le HCR « maintient les réfugiés dans des tentes au milieu du désert pendant des années, sans solution, tout en prétendant les protéger. En réalité, les gens refusent de se soumettre ».
Quelques semaines avant l’arrivée d’Abdallah, des protestations ont éclaté dans le centre. Elles se poursuivent encore aujourd’hui. Dans une pétition signée par les résident·es, on peut lire : « Nos protestations continuent jusqu’à ce que nos demandes simples soient satisfaites. Nous ne voulons pas rester ici. Nous méritons de vivre comme tous les êtres humains. » Les protestataires réclament une amélioration de leurs conditions de vie, mais surtout leur réinstallation dans un autre pays.
En réponse, Fava Olivier Atetsa, du HCR au Niger, déclare : « Malheureusement, les possibilités de réinstallation sont extrêmement limitées au niveau mondial. » Il précise que l’organisation « continue d’encourager les gouvernements à élargir leurs programmes de réinstallation », mais que « la demande dépasse largement l’offre ». Atetsa décrit la situation dans le centre comme « difficile, surtout dans un contexte de manque de financements humanitaires ». Il ajoute que le HCR poursuit « son travail de sensibilisation auprès des bailleurs afin d’obtenir des ressources supplémentaires ».
Le Niger après le coup d’État
Le gouvernement nigérien a répondu aux protestations par l’intimidation et les arrestations. Certaines personnes ont été expulsées, d’autres libérées, tandis que le sort d’un certain nombre de détenu·es arrêtés fin août reste inconnu. En janvier dernier, le ministre nigérien de l’Intérieur déclarait que les personnes expulsées d’Algérie « compromettent la sécurité du Niger ». En mai, le gouvernement a annoncé, en collaboration avec l’OIM, un plan de retour visant 4 000 migrant·es.
Pourtant, nombre d’entre eux ne peuvent en aucun cas rentrer dans leur pays d’origine, comme Abdallah et toutes les personnes venues du Soudan, où la guerre fait toujours rage. Pour Atetsa, du HCR, « la solution la plus réaliste pour elles est de favoriser autant que possible leur intégration dans les systèmes éducatifs, les services de santé et l’économie locale du Niger ». L’expression « autant que possible » mérite cependant d’être précisée.
Le Niger est en effet un pays extrêmement pauvre. Il se classe à la 188ème place sur 193 dans l’indice de développement humain des Nations unies, qui mesure l’état de santé, le niveau de vie et l’accès à l’éducation. Il accueille depuis des années un nombre très important de réfugié·es, aujourd’hui plus de 430 000, principalement originaires du Mali et du Nigeria, auxquels s’ajoutent plus de 460 000 personnes déplacées à l’intérieur du pays.
Ces dernières années, le Niger a occupé une place centrale dans le partenariat avec l’Union européenne pour la mise en œuvre des politiques d’externalisation des frontières européennes. Il a été le principal bénéficiaire de projets d’une valeur totale de 250 millions d’euros entre 2015 et 2020, financés principalement par le Fonds fiduciaire d’urgence de l’UE pour l’Afrique, créé spécialement pour freiner la migration irrégulière.
Mais la situation a radicalement changé après le coup d’État de juillet 2023.
L’une des premières mesures adoptées par la junte militaire qui a pris le pouvoir à Niamey a été l’abrogation de la loi 36 de 2015, qui criminalise le trafic de migrant·es, mettant ainsi pratiquement fin à la coopération avec l’Union européenne dans ce domaine. Cette décision a eu d’importantes répercussions pour les pays voisins. La hausse du nombre de personnes expulsées du Niger vers l’Algérie et la Libye a contribué, par effet de retour, à l’augmentation des expulsions en sens inverse depuis ces deux pays.
Ainsi, le Niger est le plus pauvre des pays de transit pour les migrant·es, mais c’est aussi celui qui accueille le plus grand nombre de réfugié·es et de demandeur·euses d’asile, tout en disposant des moyens les plus limités pour continuer à jouer au « renvoi du fardeau » au détriment de la vie et des libertés des migrant·es.
Ainsi, le Niger est le plus pauvre des pays de transit pour les migrant·es, mais c’est aussi celui qui accueille le plus grand nombre de réfugié·es et de demandeur·euses d’asile, tout en disposant des moyens les plus limités pour continuer à jouer au
« renvoi du fardeau » au détriment de la vie et des libertés des migrant·es.






