Dimanche soir, il a été tué par une frappe israélienne alors qu'il se trouvait dans une tente de presse installée devant l'hôpital al-Shifa, en compagnie de ses collègues.
À ses côtés se trouvaient Mohammed Qreiqeh, Ibrahim Zaher, Mohammed Noufal et Moamen Aliwa, tous journalistes d'Al Jazeera, âgés de 28 à 33 ans. L'équipe travaillait dans cet abri précaire, situé près de l'entrée de l'hôpital, l'un des rares endroits disposant encore d'un accès à l'électricité et à internet. Vers 23 h 35, un drone israélien a visé directement leur position, fauchant ainsi la vie des cinq reporters.
Israël assume ses actes meurtriers
L'armée israélienne a rapidement justifié cet assassinat, alléguant qu'Anas al-Sharif était un membre du Hamas. Dans une vidéo publiée il y a quelques semaines, le porte-parole en langue arabe de l'armée israélienne, Avichay Adraee, avait déjà affirmé qu'al-Sharif était l’un des chefs des cellules du Hamas.
Ces accusations ont rapidement été réfutées par Al Jazeera, le média affirmant qu'Anas al-Sharif faisait partie des correspondants "les plus courageux de Gaza" et dénonçant un assassinat ciblé. Le Comité pour la Protection des Journalistes et des porte-parole de l'ONU jugent ces accusations comme "injustifiées" et "sans preuves".
Des précédents similaires, comme dans les cas de Ismail al-Ghoul ou Hossam Shabat, révèlent la stratégie meurtrière d'Israël, qui consiste à légitimer l’assassinat de journalistes en les présentant comme terroristes.
"Ils ont réussi à me tuer" : les derniers mots d’un témoin du génocide
"Si ces mots vous parviennent, sachez qu'Israël a réussi à me tuer et à museler ma voix." C'est par cette phrase, publiée à titre posthume sur ses réseaux sociaux, qu'Anas al-Sharif a laissé son ultime message au monde. Le journaliste s'y présente comme le porte-voix d'une génération sacrifiée, chargée de témoigner de la souffrance de son peuple : "J'ai vécu la peine dans tous ses détails... je n'ai jamais hésité à transmettre la vérité telle qu'elle est, sans altération".
هذه وصيّتي، ورسالتي الأخيرة.
— أنس الشريف Anas Al-Sharif (@AnasAlSharif0) August 10, 2025
إن وصلَتكم كلماتي هذه، فاعلموا أن إسرائيل قد نجحت في قتلي وإسكات صوتي.
بداية السلام عليكم ورحمة الله وبركاته
يعلم الله أنني بذلت كل ما أملك من جهدٍ وقوة، لأكون سندًا وصوتًا لأبناء شعبي، مذ فتحت عيني على الحياة في أزقّة وحارات مخيّم جباليا للاجئين،…
Anas al-Sharif y exprime aussi son attachement indéfectible à la Palestine et exhorte à ne jamais oublier les visages des enfants tombés sous les bombes. Enfin, il y confie également une demande intime : protéger sa famille, et en particulier son épouse Bayan et ses deux enfants, Sham et Salah.
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Les journalistes, cible déclarée d'Israël
L'assassinat d'Anas al-Sharif s'inscrit dans une hécatombe sans précédent : depuis le 7 octobre 2023, plus de 230 journalistes ont été tué·es dans la bande de Gaza, selon diverses organisations de défense de la presse. Ce chiffre fait de ce conflit le plus meurtrier pour les professionnel·les de l'information depuis des décennies. Dans ce territoire assiégé, les reporters travaillent souvent sans protection, au milieu des bombardements, dans des zones où même les hôpitaux et les abris humanitaires sont visés.
Pour Reporters sans frontières (RSF) la multiplication des frappes sur des positions connues comme étant des zones de presse témoigne d'une stratégie délibérée : affaiblir, voire réduire au silence, toute couverture indépendante du conflit. Le ciblage d'un journaliste en pleine mission – dans une tente de presse, face à un hôpital – ne relève pas de la simple "erreur de ciblage", mais bien d'une attaque directe contre le droit fondamental à l'information.
Cette dérive suscite une indignation internationale : l'Union européenne et le secrétaire général de l'ONU ont dénoncé ces frappes, appelant à des mesures concrètes de protection pour les travailleur·ses des médias et à une enquête indépendante, notamment devant la Cour pénale internationale (CPI). Mais sur le terrain, l'impunité prévaut.
Anas al-Sharif n’était pas un militant. Il faisait partie des derniers journalistes à documenter, caméra à l’épaule, la vie dans l’un des territoires les plus enclavés au monde. Son assassinat illustre les risques extrêmes auxquels sont exposé·es les reporters à Gaza et envoie un signal dissuasif à celles et ceux qui continuent de couvrir le conflit. Sans protection internationale, l’exercice du journalisme dans ces zones pourrait devenir impossible.