Son parcours est fait d’allers-retours. Née à Bizerte, elle quitte la ville pour Tunis, où elle décroche une licence en marketing. Diplôme en poche, elle tente sa chance en France. Elle obtient un master et effectue un stage de fin d'études à Paris, mais les opportunités se font rares et l’horizon professionnel peu prometteur.
Lilia rentre alors en Tunisie. Dans son pays natal, elle se lance dans le travail en freelance, entre missions pour des agences de communication et des événements culturels. Cette activité, stimulante, reste précaire, au gré des contrats et des réseaux. "C'était toujours un peu en flux tendu. J'aimais l'autonomie, mais ça n'offrait pas vraiment de stabilité, ni d'évolution claire", confie-t-elle.
En février 2023, une nouvelle occasion se présente et la jeune femme repart en France. Elle pose ses valises à Strasbourg, employée par une agence de communication. Mais la réalité la rattrape : l'ambiance est pesante, les tâches peu intéressantes, et Lilia peine à trouver sa place, tant dans l'entreprise que dans la ville.
"Je ne connaissais quasiment personne à Strasbourg. J'attendais impatiemment les week-ends pour partir à Paris voir mon petit frère qui faisait ses études là-bas. Paris me manquait, les gens, l'énergie, les possibilités."
L’année suivante, elle quitte son poste dans le cadre d'une rupture conventionnelle. Elle décide alors de se réorienter, de reprendre des études pour se spécialiser davantage. Elle s'inscrit dans un master de communication digitale dans une école privée parisienne.
Par chance, elle décroche rapidement une alternance dans une société spécialisée en logiciels. Ce n'est pas exactement son domaine de prédilection, mais l'équipe est bienveillante, et le cadre de travail agréable.
"Je ne suis pas spécialisée en informatique, mais humainement, mon cadre de travail est très sain. On me fait confiance et je progresse."
Lilia alterne entre ces jours de travail en entreprise et deux jours de cours à l’école. Elle touche le Salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC), soit environ 1426 euros par mois. Son école étant financée par l'entreprise, elle n'a pas à payer les frais de scolarité. " C'est un vrai soulagement. Rien que l'inscription aurait été impossible à financer seule." Son employeur couvre l’intégralité de ses frais de transport et elle profite de la complémentaire santé solidaire pour la prise en charge de ses frais médicaux.
Voici un aperçu de ses sorties et entrées d’argent mensuelles :
Lilia consacre un tiers de son salaire au loyer. Elle partage un appartement avec son petit frère et un ami de celui-ci dans le 19ᵉ arrondissement de Paris. "C'est une colocation un peu improvisée. Il y a une bonne entente entre nous, mais j'aimerais vraiment avoir mon espace à moi."
Elle limite au maximum ses autres dépenses, mais refuse de renoncer aux passions qui nourrissent son for intérieur. Une fois par semaine, elle sort boire un verre avec ses ami·es, parfois dans un bar de quartier, parfois après un concert.
La musique est sa grande passion : elle suit les programmations de salles indépendantes, explore les festivals de niche, et économise en amont pour se payer quelques billets chaque mois. "C'est là que partent mes plus grosses dépenses, hors loyer et courses alimentaires. Mais j'y tiens, ça me stimule intellectuellement."
De temps à autre, elle s'offre un livre, va au cinéma ou à une expo éphémère. Les musées gratuits, les lectures publiques ou les projections d'auteur·ices lui permettent aussi de nourrir sa curiosité sans trop entamer son budget.
"Paris est chère, mais paradoxalement, on peut encore y trouver des choses accessibles culturellement."
Voici le détail de ses rentrées et sorties d’argent mensuelles :
Zone grise
Habiter à Paris avec un salaire d'alternante reste un défi permanent. Même en colocation et en vivant de manière frugale, chaque mois demande une organisation millimétrée.
"Je vis avec le strict nécessaire. Si j'étais plus jeune, ce serait peut-être plus supportable. Mais à 34 ans, tu veux ton indépendance, tu veux un vrai chez-toi. Là, j'ai l'impression d'être encore en transition, comme dans une parenthèse."
Ce statut hybride — ni vraiment étudiante, ni vraiment salariée — l'empêche parfois de se projeter. Elle n'est pas éligible à certaines aides, doit gérer seule les imprévus, et ne peut pas toujours participer à des activités proposées par ses ami·es qui, eux, ont un salaire plein. "On me parle de voyages ou de weekends à la campagne, mais moi, je fais mes comptes pour pouvoir payer mon loyer ou bien économiser pour un billet d'avion pour partir voir mes parents en été", déplore la jeune femme.
Futur
Dans quelques mois, Lilia aura terminé son master. Outre son désir de valider son diplôme, elle espère surtout décrocher un CDI dans son entreprise actuelle. Les échanges avec sa tutrice sont encourageants, mais rien n'est encore garanti.
"Ce serait l'idéal. Je me sens bien ici. Et avec un salaire complet, je pourrais envisager de louer un petit studio et être complètement autonome."
Plus que tout, Lilia aspire à une forme de stabilité : un emploi fixe, un logement personnel, et la possibilité de voyager plus souvent. Pour l'instant, elle avance à petits pas, avec prudence, mais sans perdre de vue son cap : conjuguer vie professionnelle, ancrage personnel et richesse culturelle.
"Je ne veux pas juste survivre à Paris. Je veux y vivre pleinement", affirme la trentenaire.