Droits et Libertés

Crise carcérale en Tunisie : trois décès suspects en deux semaines

En seulement quinze jours, la Tunisie a connu la mort suspecte de trois jeunes hommes incarcérés, dans des circonstances troublantes qui ont suscité de vives réactions et interrogations sur la situation des prisons du pays.
Par | 21 Juillet 2025
Disponible en arabe
Il s’agit de Hazem Amara, Mohamed Amine Jendoubi et Wassim Jaziri. Tous souffraient de problèmes de santé, tous ont vu leur liberté restreinte dans un système pénitentiaire en crise, marqué par une surpopulation aiguë, un accès limité aux soins médicaux et des scandales récurrents dont les principales victimes sont de jeunes hommes.

Hazem Amara : des soins refusés

Hazem Amara, 24 ans, originaire de Grombalia, est arrêté à la suite d’un différend avec un client dans le café dans lequel il travaillait comme serveur. Transféré à la prison de Belli, son état de santé se détériore rapidement. Diabétique depuis l’enfance, il a subi cinq opérations à cœur ouvert.

Sa mère affirme avoir présenté un dossier médical attestant de son besoin urgent de médicaments, mais avoir été empêchée de les faire entrer en prison. Elle dénonce un mépris manifeste du droit de son fils à la santé.

Au fil de ses visites, elle observe un gonflement sous ses yeux et décrit des conditions de détention qu’elle qualifie d’humiliantes : absence de lit, difficultés d’accès aux toilettes.

Extrait du rapport médical documentant les causes du décès de Hazem Amara. Source : Chaker Jahmi (Facebook)

Après environ trois semaines, Hazem est transféré à l’hôpital Tahar Maamouri de Nabeul, où il meurt le 12 juillet 2025, les mains et les pieds entravés, selon un rapport de l’organisation Intersection. Il aurait vomi durant une longue période sans intervention médicale suffisante.

Son décès soulève de nombreuses questions sur l’incapacité du système carcéral à garantir les droits fondamentaux des détenu·es malades, ainsi que de fortes suspicions de mauvais traitements.

Mohamed Amine Jendoubi : un non-lieu ignoré

Mohamed Amine Jendoubi, 22 ans, est, lui aussi, diabétique. Un non-lieu a été prononcé dans son affaire depuis plusieurs mois, sans qu’il soit pour autant libéré. En janvier 2025, sa mère publie une vidéo en direct exposant la souffrance de son fils : enchaîné, en détention, dans un état de santé très dégradé, jusqu’à ce qu’il sombre dans le coma.

Le 17 juillet 2025, une vidéo relayée sur les réseaux sociaux montre la famille découvrant la mort de leur fils, survenue dix jours plus tôt à l’hôpital Charles Nicolle. La famille affirme n’avoir reçu aucune notification officielle, un fait qui provoque une vague d’indignation et des accusations de dissimulation et de négligence dans la gestion du dossier.

Wassim Jaziri : mort sous silence

Wassim Jaziri, 25 ans, originaire de Sfax, souffre de troubles psychiques chroniques. Il est incarcéré à la prison civile de Sfax. Lors de leur dernière rencontre, il confie à son père ne pas avoir mangé depuis quatre jours.

Le lendemain, le 19 juillet 2025, la famille apprend son décès, sans qu’aucune explication ne leur soit donnée sur les causes réelles ou les circonstances de sa mort, accentuant le flou et l’opacité autour du drame.

Un système carcéral inhumain

Les prisons tunisiennes font face à une crise structurelle : plus de 32 000 détenu·es réparti·es dans 30 établissements pour une capacité d’accueil globale de seulement 18 000, soit un dépassement de plus de 12 000 personnes, selon Fethi Jarray, président de l’Instance nationale pour la prévention de la torture.

La majorité des détenu·es sont de jeunes hommes sans jugement définitif, maintenus de longues semaines, voire des mois, dans des centres de détention. Ils y vivent dans des conditions indignes, dans des cellules exiguës, mal ventilées, sans accès aux soins les plus élémentaires.

Fethi Jarray affirmait, en février 2025, que cette surpopulation exerce une pression considérable sur l’ensemble du système pénitentiaire tunisien, détériorant les conditions de vie et de santé des détenu·es ainsi que les conditions de travail du personnel pénitentiaire.

Les causes de la répétition de ces drames sont multiples. Le système pénitentiaire tunisien souffre de carences profondes dans l’accès aux soins : pénurie de médicaments, absence de personnel médical spécialisé, retards fréquents dans le transfert des malades graves vers les hôpitaux. Ces retards aggravent les états de santé, augmentent les risques de décès et exposent les détenu·es à des souffrances évitables.

Sur le plan juridique, nombre de personnes sont maintenues en détention provisoire bien au-delà des délais légaux, souvent sans procès, sans assistance juridique, et en l’absence d’avocat·es lors des premières phases d’enquête. Une situation qui porte atteinte à leur droit fondamental à un procès équitable et à une défense effective.

À cela s’ajoutent les conditions matérielles de détention elles-mêmes : promiscuité extrême, mauvaise hygiène, manque de ventilation, recours abusif aux entraves physiques. Ces éléments aggravent l’état de santé des détenu·es et créent un environnement propice à la reproduction de tragédies similaires à celles récemment constatées.

La société civile tire la sonnette d’alarme

Des organisations de défense des droits humains et des acteur·ices de la société civile appellent à des enquêtes indépendantes et transparentes sur ces morts en détention. Elles exigent le respect du droit à la santé et à la dignité des détenu·es, tel que garanti par la législation tunisienne et les traités internationaux.

Elles insistent également sur la nécessité de réformer l’infrastructure pénitentiaire, d’adopter des peines alternatives pour désengorger les prisons, et de revoir le recours excessif à la détention préventive.

Des associations tunisiennes continuent de documenter les violations des droits humains en milieu carcéral, à l’image de l’organisation Intersection qui a documenté le cas de Hazem Amara. À ce jour, ni les autorités judiciaires ni les ministères concernés n’ont publié de communiqué explicatif ou annoncé l’ouverture d’enquêtes sur ces récents décès.

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