Les géants de la tech en soutien logistique de la guerre
Au-delà des bombes et des chars, la guerre moderne repose aussi sur une puissance invisible, mais cruciale : la technologie. Le rapport de Francesca Albanese, Rapporteure spéciale sur la situation des droits de l'homme dans les territoires palestiniens occupés, met en lumière l’importance des infrastructures numériques développées par des multinationales américaines qui alimentent les opérations israéliennes.
Google (via sa maison mère Alphabet) et Amazon Web Services, par le biais du projet Nimbus, fournissent à l’armée israélienne un cloud de grande capacité, appuyé par des services d’intelligence artificielle. Cette infrastructure a été renforcée à partir d’octobre 2023 pour compenser les limites du cloud militaire israélien, offrant un outil essentiel pour le traitement massif des données de renseignement.
Microsoft Azure, en soutien, prend en charge le traitement de données liées aux opérations sur le terrain, agissant comme un partenaire de secours.
Plus controversée encore, Palantir Technologies développe des plateformes d’intelligence artificielle permettant d’automatiser le ciblage militaire en temps réel.
Ces systèmes, où la supervision humaine est parfois absente, posent de sérieuses questions éthiques sur le rôle des algorithmes dans la prise de décision létale.
La surveillance biométrique et électronique complète cet arsenal. IBM, HP et le controversé NSO Group sont impliqués dans la gestion des checkpoints et l’espionnage numérique. Le logiciel Pegasus, conçu par NSO, est documenté pour son usage dans les territoires palestiniens, où il facilite la surveillance étroite des populations. Ce recours à des géants de la tech confirme un basculement : la guerre ne se mène plus uniquement sur le terrain, mais aussi dans les serveurs et les algorithmes.Une machine industrielle au service de l’occupation
L’armement classique reste cependant un élément clé du conflit. Elbit Systems, spécialiste israélien des drones et systèmes de surveillance, et Israel Aerospace Industries, acteur majeur du secteur, fournissent des équipements intégrés aux véhicules de combat. Du côté américain, Lockheed Martin est cité pour la vente de chasseurs F-16 et F-35 utilisés dans les bombardements. De son côté, le groupe italien Leonardo S.p.A aurait fourni des radars et composants militaires.Parmi les équipements employés sur le terrain, les bulldozers Caterpillar D9 sont utilisés pour détruire des infrastructures civiles à Gaza, comme des maisons, routes, hôpitaux, ou des mosquées, ce qui leur vaut d’être qualifiés d’ “armes de guerre”, par la juriste dans son rapport.
“La violence militarisée a permis la création de l’État d’Israël et continue d’alimenter son projet colonial de peuplement. Les fabricants d’armes israéliens et internationaux ont développé des systèmes de plus en plus efficaces pour expulser les Palestiniens de leurs terres. Par la collaboration comme par la concurrence, ils ont affiné des technologies qui permettent à Israël d’intensifier la répression, l’oppression et la destruction”, note Albanese.
Au cœur de la chaîne logistique, Maersk, géant du transport maritime, est accusé d'avoir continué à assurer la logistique de cargaisons sensibles à destination des ports israéliens. Plusieurs ONG et activistes, notamment en Tunisie, avaient lancé des appels au boycott et mené des opérations de contestation devant le siège de Maersk pour alerter sur la complicité de l’entreprise danoise dans le génocide en cours à Gaza.
Enfin, des banques internationales telles que le groupe français BNP Paribas et le britannique Barclays sont pointées du doigt pour leur rôle dans le financement d'entreprises liées à l'occupation, via prêts, investissements ou participations. Un soutien indirect, mais structurant, qui alimente cette économie du génocide.
Si le rapport présenté à l’ONU met en évidence plusieurs acteurs, certains fournisseurs ou sous-traitants identifiés ont été identifiés par des enquêtes indépendantes.
Le média d’investigation français
Disclose a par exemple documenté des liens significatifs entre
l’industrie militaire israélienne et des sous-traitants français comme Thales ou Safran, qui fournissent des composants essentiels, soulignant un réseau d’approvisionnement complexe et méconnu.
Le collectif israélien
Who Profits recense quant à lui un éventail étendu d’entreprises impliquées dans la colonisation, la gestion des prisons, des checkpoints et l’armement, certaines agissant dans l’ombre, mais avec un impact direct sur le terrain.
Enfin, selon Investigate, une initiative de l’American Friends Service Committee qui recense les entreprises impliquées dans des violations des droits humains, le groupe Ashtrom
fournirait des matériaux et réaliserait des travaux pour le service pénitentiaire israélien, en plus de ses activités dans les colonies.
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Responsabilité et appel au respect du droit international
En réponse à la publication du rapport, Israël a vivement contesté ses conclusions. La mission diplomatique israélienne à Genève l’a qualifié de “sans fondement juridique, diffamatoire et [d’]un abus flagrant de sa fonction” . Le gouvernement accuse également l’ONU de relayer des “narratifs militants” et dénonce un document “partial” et “hostile”. Plusieurs entreprises citées dans le rapport ont, de leur côté, refusé de commenter publiquement les accusations les visant.
Face à cette réalité, la rapporteuse spéciale appelle les États à adopter une posture ferme et cohérente. Suspendre tous les accords commerciaux, technologiques ou militaires avec les entreprises impliquées est une première urgence. Elle préconise par ailleurs la mise en place d’enquêtes internationales indépendantes pour faire la lumière sur ces complicités économiques dans des crimes de guerre.
Plus encore, Albanese insiste sur la nécessité d’instaurer des mécanismes contraignants capables d’encadrer et de réguler les activités des entreprises sur ce terrain sensible, afin que le droit international ne reste pas lettre morte.
Enfin, elle invite la société civile, les universitaires et les investisseurs à jouer un rôle éthique, notamment en pratiquant le désinvestissement et en organisant des campagnes de boycott ciblées.
“Le cadre juridique international est suffisamment clair pour affirmer qu’il est illégal de collaborer avec Israël”, affirme Albanese , “tant que celui-ci maintient une occupation illégale et continue de commettre des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, et même un génocide.”