Le tournant décisif a eu lieu le 12 décembre 2021, lors d’une Assemblée générale extraordinaire opaque. Ce jour-là, dans un silence assourdissant, les statuts de la FTT ont été modifiés pour supprimer toute instance de contrôle et de recours.
Que le CNAS repose en paix
Le CNAS (Comité National d'Arbitrage Sportif), une instance indépendante chargée de trancher les litiges au sein de la FTT, a purement et simplement été effacée des statuts de la fédération. Ce comité jouait pourtant un rôle essentiel puisqu’il permettait aux clubs, joueur·ses et entraîneur·es de contester les décisions fédérales devant une juridiction tunisienne neutre, garantissant un minimum d’équité dans la gouvernance du tennis national.
En lieu et place du CNAS, Selma Mouelhi avait instauré une “commission d’appel interne”, entièrement sous son contrôle. Un organe fantoche, où les décisions sont rendues par des proches, des allié·es soigneusement sélectionné·es pour ne jamais remettre en cause ses décisions. Avec cette modification, elle est devenue juge et partie, verrouillant totalement les recours possibles pour toute personne contestant son autorité.
En d’autres termes : toute opposition est désormais impossible. Un club sanctionné ? Un·e entraîneur·e écarté·e injustement ? Un·e joueur·se victime d’une décision fédérale arbitraire ?
Aucune issue ne leur est laissée. La seule alternative reste le Tribunal Arbitral du Sport (TAS) en Suisse, une procédure coûteuse et inaccessible pour la majorité des acteurs du tennis tunisien.
Ce coup de force s’est déroulé dans le plus grand silence. Aucune concertation, aucune communication préalable, aucune opposition possible. Ceux qui étaient présents lors de cette Assemblée générale extraordinaire n’ont eu d’autre choix que de subir une modification statutaire orchestrée avec minutie. Des documents que inkyfada a pu consulter attestent des changements imposés, démontrant une volonté délibérée d’éliminer tout contre-pouvoir. Mais plus choquant encore, le ministère des Sports n’a jamais invalidé ces nouveaux statuts, laissant Selma Mouelhi agir sans entrave.
Le royaume Mouelhi
Avec cette modification statutaire, le tennis tunisien devient un royaume sous l’autorité exclusive de sa présidente. L’impact de cette mainmise est colossal. Avec un tel verrouillage, les clubs sont à la merci de décisions fédérales arbitraires, les joueur·ses n’ont aucun recours face aux injustices et les entraîneur·es peuvent être exclus sans explication, sans qu’aucune institution ne puisse intervenir.
Cette dérive autoritaire s’est manifestée de manière flagrante avec la suppression de l’article 40, qui imposait une limitation des mandats à trois périodes consécutives. Ce verrou démocratique, essentiel pour éviter toute présidence à vie, a été balayé, ouvrant la voie à une gouvernance sans fin. Désormais, Selma Mouelhi peut se maintenir à son poste indéfiniment, consolidant ainsi son pouvoir sans craindre la moindre alternance.

Il n’est pas permis d’occuper le poste de président d’un bureau de la FTF pendant plus de trois mandats complets consécutifs au sein de la même fédération.
Cette manipulation statutaire ne s’arrête pas là, puisqu’en modifiant l’article 35, qui définissait la composition du bureau fédéral, elle a imposé trois vice-présidents, alors que le règlement initial n’en prévoyait qu’un seul. Ce changement lui permet donc de placer ses alliés aux postes clés, garantissant une majorité qui lui est totalement acquise.

Tous les membres du bureau de la fédération sont des bénévoles qui exercent sans rémunération.
Nouvelle version de l'article 36 : Composition
Le bureau de la Fédération est composé de :
- Un président
- Un vice-président
- Un trésorier général
- Quatres membres
Tous les membres du bureau de la fédération sont des bénévoles qui exercent sans rémunération.
Ancienne version de l'article 35 :
La répartition des fonctions au sein du bureau fédéral se fait comme suit :
- Président de la fédération (le président est la tête de liste gagnante aux élections)
- Vice-président
- Trésorier
- Neufs membres
Le cas Ons Jabeur
Quand on évoque la relation entre Selma Mouelhi et les athlètes tunisien·nes, notamment avec Ons Jabeur, il est, selon une source à inkyfada, “ essentiel de dissiper toute illusion”. “ Il ne s’agissait nullement d’une relation fondée sur le respect mutuel ou le soutien sportif, mais d’une entreprise opportuniste.”
“Dès que les succès d’Ons Jabeur ont commencé à attirer l’attention internationale, Selma Mouelhi a saisi l’occasion pour tenter de capitaliser sur cette réussite, cherchant avant tout à se mettre elle-même en avant plutôt qu’à servir les intérêts du tennis tunisien ou de l’athlète.”
Cette stratégie s’est traduite par des comportements d’une rare intrusivité. "Elle s’imposait dans le box du staff d’Ons Jabeur sans réelle invitation et sans aucune légitimité sportive", explique un habitué des circuits internationaux. Bien qu’elle disposât d’un badge d’accès en tant que vice-présidente de la Fédération internationale de tennis (ITF), elle a délibérément forcé sa présence dans des espaces strictement réservés aux membres de l’équipe technique de la joueuse.
"À Wimbledon, cela a été très mal perçu par le staff", souligne un membre de l’entourage sportif d’Ons Jabeur. Le geste, loin d’être anodin, était motivé par un besoin évident d’apparaître devant les caméras, plutôt que par un quelconque souci de soutenir l’athlète.
Le malaise était palpable. "Son objectif était avant tout d’être visible aux caméras", confie une source présente lors des compétitions. Elle ne participait ni aux briefings tactiques, ni aux conseils techniques. “Sa posture n'était pas celle d’une dirigeante sportive investie dans la réussite de son athlète, mais plutôt celle d’une spectatrice en quête de reconnaissance médiatique.”
Pire encore, son comportement dans ces espaces privilégiés aurait cruellement manqué de professionnalisme. "Elle s’affichait parfois avec un verre de whisky à la main", rapporte un témoin présent dans le box. Une attitude perçue comme déplacée dans des zones réservées aux athlètes et à leurs équipes techniques, où rigueur, concentration et sérieux sont les maîtres mots.
En clair, la "relation" entre Selma Mouelhi et Ons Jabeur n'était en rien fondée sur un soutien sincère ou sur un accompagnement structuré de l'athlète. "Tout n’était qu’apparence, calcul et stratégie de communication personnelle", tranche un ancien de la FTT.
“Selma Mouelhi a utilisé la réussite d’Ons comme une vitrine, sans jamais jouer le rôle que l’on attend d’une présidente fédérale digne de ce nom.”
Ce constat amer illustre une logique plus large, où, pour Selma Mouelhi, les athlètes ne sont pas des talents à accompagner et à protéger, mais des instruments qu’elle manipule selon ses besoins de communication et de pouvoir. Un climat délétère qui ne se limite pas aux relations avec les athlètes, mais qui s'étend jusque dans la gestion des structures elles-mêmes.
Des allié·es protégé·es
Avec l’omission du CNAS, l’unique organe indépendant pouvant arbitrer les conflits sportifs, les règles du jeu ont changé. Désormais, celles et ceux qui sont proches du pouvoir fédéral bénéficient d’une protection totale, tandis que ceux qui osent critiquer la gestion de la FTT sont systématiquement sanctionné·es. Un club en désaccord avec la fédération risquerait des représailles financières, voire la suppression pure et simple de son affiliation.
La situation du Tennis Club de Mégrine illustre parfaitement les dérives de gouvernance qui ont gangrené le tennis tunisien sous l’ère de Selma Mouelhi. À l’origine du conflit, un cas évident de conflit d'intérêt.
Haikel Lakhdher, alors secrétaire général de la FTT et bras droit assumé de la présidente, aurait tenté de prendre le contrôle du club, dont il est issu.
Profitant de sa position au sein de la fédération, il aurait imposé son autorité au club de manière totalement abusive, allant jusqu’à signer lui-même les contrats des entraîneur·es et établir personnellement les programmes d’entraînements, selon une source proche de la FTT à inkyfada. Une intrusion directe dans la gestion quotidienne du club, en totale contradiction avec l’éthique sportive et l’indépendance associative.
Cette mainmise a rapidement provoqué de vives tensions au sein du Tennis Club de Mégrine.
“De nombreux adhérents ont été choqués par cette gestion autoritaire et se sont élevés contre ces pratiques”, témoigne un proche du Tennis Club de Mégrine.
D’autres clubs, eux aussi agacés par un traitement préférentiel accordé à Mégrine au détriment du reste du circuit tunisien, ont dénoncé une politique de favoritisme orchestrée avec la bénédiction de la fédération. Sous la pression grandissante et pour tenter de préserver les apparences, Selma Mouelhi a fini par pousser Haikel Lakhdher vers la sortie, orchestrant une démission de façade qui ne trompait personne sur la nature réelle des événements.
Aujourd’hui, le Tennis Club de Mégrine paie au prix fort les conséquences de ces années de gestion calamiteuse. Selon les informations d’ inkyfada, de nombreux·ses joueur·ses et parents, déçu·es par les dysfonctionnements et le climat délétère, ont quitté la structure. Le club, autrefois dynamique, peine à se relever.
En revanche, les proches de la présidente bénéficient d’une impunité totale. Les clubs alliés reçoivent des subventions supplémentaires, les entraîneurs complaisants sont récompensés par des postes bien rémunérés et certain·es joueur·ses bénéficient de privilèges évidents.
L’article 53, qui régit la gestion des démissions, illustre cette dérive. Selon ce texte, si des membres du bureau fédéral démissionnent, ils et elles sont remplacé·es par simple désignation jusqu’aux prochaines élections générales. Ce mécanisme lui permet de recomposer son bureau à sa guise, en excluant toute voix discordante. Dans n’importe quelle fédération démocratique, une vague de démissions entraîne de nouvelles élections pour garantir une gouvernance légitime. Mais sous Selma Mouelhi, ces principes élémentaires ont été balayés, et le bureau reste sous son emprise, quel que soit le nombre de départs.

La dissolution de la Fédération par décret ministériel met un terme à l’ère Mouelhi, avec un comité de gestion transitoire chargé d’assurer l’organisation des prochaines élections. Si une nouvelle phase du tennis tunisien s’amorce, les interrogations sur la gouvernance du sport demeurent.