En 2019, Chahin quitte la Tunisie avec un objectif clair : préparer un doctorat en design industriel à Saint-Étienne. Après avoir décroché son diplôme de master à l’École supérieure des sciences et technologies du design à Tunis, il obtient une bourse d’étude pour poursuivre ses études en France.
Malgré cette bourse de recherche à hauteur de 2000 euros par an, ainsi que l’argent envoyé par ses proches depuis Tunis, les réalités financières de la vie en France viennent rapidement bouleverser les plans de Chahin.
"Recevoir de l’argent depuis la Tunisie était compliqué, les démarches bancaires étaient longues, avec même des blocages certaines fois. Avec le coût de la vie ici, je n'ai pas eu d’autre choix que de mettre ma thèse en pause", confie-t-il avec une pointe de regret.
Afin d’augmenter ses chances de trouver un emploi, Chahin quitte Saint-Étienne pour s’installer à une cinquantaine de kilomètres plus loin, à Lyon. Le jeune tunisien arrive ainsi à trouver un travail dans le secteur du bâtiment et de la décoration d’intérieur. “C’était vraiment difficile, les journées étaient interminables. Et à la fin du mois, le salaire ne suffisait même pas à couvrir toutes mes charges”, raconte-t-il. Peu satisfait de cette situation, il décide de chercher une voie plus technique qui pourrait mieux correspondre à ses compétences.
Grâce à ses aptitudes en bricolage et une courte formation, il parvient à se reconvertir dans l’installation d’équipements thermiques. “J’ai toujours été une personne douée pour les activités manuelles. Avec une petite formation, je suis rapidement arrivé à maîtriser les ressorts de ce métier”, dit-il fièrement. Bien que son nouvel emploi soit exigeant, il y trouve un certain équilibre.
La société pour laquelle Chahin travaille est un sous-traitant qui installe des équipements pour le compte de grandes entreprises du BTP. “On est souvent en première ligne pour les installations complexes, mais on n’a pas les mêmes avantages que les employés des grosses boîtes”, déplore-t-il. Pour cet emploi, Chahin touche un salaire de 1540€.
Voici un aperçu de ses sorties et entrées d’argent mensuelles :
Depuis la mise en suspens de ses travaux de recherches, Chahin a quitté son logement étudiant à Saint-Étienne. Arrivé à Lyon, il habite d’abord en colocation avec un autre étudiant tunisien pendant un certain temps, avant d'emménager seul dans un studio en banlieue lyonnaise. Au-delà du loyer et des charges mensuelles, le tunisien alloue une partie conséquente de ses revenus aux courses.
"Avec mon travail, je ne peux pas me permettre de manger dehors quotidiennement, je privilégie donc le fait de préparer mon déjeuner à la maison", explique-t-il.
Amateur de sport, Chahin accorde beaucoup d’importance à son bien-être physique. Le jeune homme va ainsi quatre à cinq fois par semaine à la salle de sport. Les weekends, il aime bien retrouver des ami·es tunisien·es autour d’un café, ou pour aller regarder des rencontres de football dans un bar.
Voici le détail de ses dépenses et revenus mensuels :
Malgré une situation financière fragile, Chahin tient à envoyer chaque mois de l’argent à sa famille.
"C'est vrai que ce ne sont pas de grandes sommes, mais c'est ma manière de remercier mes parents de m'avoir soutenu quand je suis parti en France".
Chahin reste aussi très attaché à la Tunisie. En 2023, il y retourne pour un événement majeur de sa vie personnelle : ses fiançailles avec Sihem*, sa compagne de longue date. “C’était important pour nous de formaliser notre engagement avant que je ne retourne travailler en France”, avoue-t-il avec émotion.
Cependant, à son retour en France, une mauvaise surprise l’attend : son titre de séjour arrive à expiration, et son employeur refuse de lui remettre un contrat en bonne et due forme, condition indispensable pour renouveler son statut légal. Cette situation plonge Chahin dans une grande incertitude.
Zone grise
Toujours en attente de renouvellement de son titre de séjour, Chahin continue de travailler illégalement. “Je n’ai pas le choix. Sans papiers, je ne peux ni rentrer en Tunisie ni régulariser ma situation facilement”, dit-il avec amertume. Cette précarité administrative s’accompagne de la crainte de perdre sa source de revenus. “Si je perds ce travail, je risque vraiment de me retrouver à la rue. Je vis toujours avec la peur de me faire contrôler”, confie-t-il.
Travailler sans titre de séjour signifie accepter des conditions parfois injustes. “ C’est vrai que mon patron prend un risque à m’employer, mais en contrepartie, il sait aussi qu’il peut me payer beaucoup moins que des travailleurs en règle”, déplore Chahin. Malgré tout, il persévère et garde espoir.
Pour supporter cette période difficile, Chahin s’appuie sur ses amis et la communauté tunisienne en France.
"On essaie de se serrer les coudes. Parfois, juste parler à quelqu'un qui comprend ce que tu vis peut vraiment t'aider", raconte-t-il.
Futur
Malgré les nombreux obstacles, Chahin ne perd pas de vue ses objectifs. Son objectif principal est de régulariser sa situation en France. “Une fois que j’aurai mes papiers, je pourrai enfin retourner en Tunisie pour préparer mon mariage”, dit-il avec un sourire plein d’espoir. Il espère ensuite revenir en France avec sa femme et construire une vie stable.
Mais ses ambitions ne s’arrêtent pas là. “J’ai toujours cette envie de finir ma thèse. C’est un projet qui me tient à cœur.” Chahin souhaite obtenir son doctorat et partager son savoir à travers l’enseignement. Le jeune homme conclut avec optimisme : “La route est encore longue, mais j’ai toujours cru que les efforts finissent par payer.”