Kasserine : les civil·es victimes de mines face à l'inaction de l'État

Depuis plusieurs années, les habitants des zones militaires fermées des montagnes de Kasserine sont régulièrement victimes des mines, tandis que les autorités peinent à assurer leur prise en charge et que l'État tarde à respecter ses engagements internationaux en matière de déminage. Reportage.
Par | 12 Novembre 2024 | reading-duration 15 minutes

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J'ai dû renoncer à mes rendez-vous chez le médecin à cause de la distance jusqu'à l'hôpital militaire et les frais que je ne peux pas assumer seule. Depuis l'accident, aucune autorité ne s'est manifestée, bien que nous ayons été en première ligne face aux terroristes”, déclare Najma Rhimi, 42 ans, survivante d’une explosion de mine terrestre dans les montagnes de Kasserine. 

Bien que l’accès y soit interdit par les autorités, ces montagnes, entourées de zones habitées, demeurent une source de subsistance pour les habitant·es qui continuent d’y aller, n'ayant pas d’autres moyens pour subvenir à leurs besoins.

La première explosion de mine terrestre dans la région remonte au 29 avril 2013 sur le mont Chaambi, visant des militaires en mission de ratissage à la recherche de terroristes ayant franchi la frontière tuniso-algérienne après la révolution de 2011. Ces terroristes appartenaient à la "Katiba Okba Ibn Nafaa", affiliée à Al-Qaïda au Maghreb islamique, ainsi qu'au groupe Jund Al-Khilafah, lié à Daech. Depuis cet incident, il est rare qu’une année s’écoule sans qu’une nouvelle explosion secoue la région.

L'infographie ci-dessus est basée sur une liste nominative obtenue par Inkyfada auprès du gouvernorat de Kasserine, à laquelle s'ajoutent des victimes non mentionnées dans le document officiel mais recensées par Inkyfada. Ce décompte exclut les militaires ainsi que les civils résidant dans les zones administrativement rattachées au gouvernorat de Sidi Bouzid (une partie du mont Mghila)  

En 2023, Inkyfada a recensé 9 personnes blessées dans des accidents de mines à Kasserine, parmi lesquelles figurent un militaire, un migrant originaire d'Afrique subsaharienne, et un lycéen en classe de terminale qui ramassait du bois pour le vendre et financer ses fournitures de rentrée. Ce dernier a perdu son œil droit et sa main lors de l'accident, d'après les rapports médiatiques qui ont suivi ces événements.

Le 6 juillet 2015, le décret présidentiel n°120-2015 a été publié, déclarant les montagnes de Châambi, Semama, Salloum, Mghila et les zones avoisinantes dans le gouvernorat de Kasserine comme des zones d'opérations militaires fermées. Il a également été décidé de déclarer les montagnes de Khashm al Kalb, Doulab, Tam Smida, Deriana, Tayoucha, Biriniou, Lajred et les zones avoisinantes dans le gouvernorat de Kasserine comme des zones d'opération militaires. 

Selon le rapport de 2023 de l'Observatoire des mines, les victimes des mines en Tunisie sont principalement situées dans les régions montagneuses du centre-ouest du pays. Après une baisse significative du nombre de victimes depuis 2018, qui a atteint zéro en 2022, ce chiffre a recommencé à augmenter en 2023.

Les secours après l'explosion 

Nejma raconte le jour de l’incident : "Au moment de l'explosion, j'ai cru que j'étais la seule à avoir été blessée. Quand je me suis remise du choc, j'ai trouvé ma voisine sans jambe. Je l'ai portée sur mon dos et descendue vers le village de Douar El Rhaïmia, au pied de la montagne, pour attendre les ambulances."

À peine descendue du lieu de l'incident en portant sa voisine, Nejma perd connaissance suite à ses blessures. Elle se réveille ensuite à l'hôpital régional de Kasserine, où elle découvre les dégâts causés par l'explosion : des blessures à l'œil droit et des éclats de métal incrustés dans son corps, tandis que sa voisine Khadija avait perdu sa jambe.

Touhami Bransi, 45 ans, a connu une expérience similaire. En avril 2023, durant le mois de Ramadan, il monte, comme il en avait l'habitude, dans les montagnes de sa région natale, Ain Zaïn, dans la délégation de Sbeïba, pour faire paître son troupeau. Ce travail, qu'il accomplissait lors des journées sans emploi dans le secteur agricole, lui permettait de subvenir aux besoins de sa famille, composée de quatre membres.

“Je suis entré dans la montagne avec le troupeau, et dans un chemin étroit, la mine a explosé. À partir de ce moment-là, je ne ressentais plus ma jambe”, raconte Bransi. 

"Plusieurs voisins ont appelé les secours, mais l'ambulance a mis du temps à arriver et n'a pas pu atteindre le lieu de l'incident, une zone difficile d'accès. Ils ont donc dû me descendre eux-mêmes de la montagne jusqu'à la route, où l'ambulance m'a pris en charge pour me transporter à l'hôpital régional de Kasserine", où sa jambe a été amputée.

 Les témoignages recueillis par inkyfada sont nombreux et évoquent souvent des retards, voire l'absence des services de santé et de sécurité. Cependant, Abdelgahni Chaâbani, directeur régional de la santé à Kasserine, affirme dans une interview accordée à Inkyfada, qu'à chaque incident, "une coordination est mise en place entre les équipes de santé, la santé militaire et l’armée nationale afin d’organiser le transport du blessé depuis le lieu de l’accident jusqu’à l’hôpital”.

Chaâbani ajoute que, pour chaque intervention, “une équipe médicale complète se rend sur place à bord d’une ambulance équipée”. Il cite en exemple l’explosion d’une mine survenue en 2018, qui a coûté la vie à Charifa et Kheïra Hilali alors qu’elles cueillaient des herbes aromatiques au cœur du mont Sammama. À cette occasion, des ambulances et un hélicoptère militaire avaient été mobilisés pour évacuer les victimes vers l’hôpital.

Le 14 mars 2024, au mont Salloum, sur le versant surplombant la délégation de Hassi El Ferid, une mine a explosé sous les pieds de Saliha Garmiti, dernière victime en date. Malheureusement, elle n’a pas bénéficié de la mobilisation mentionnée par le directeur régional de la santé.

"Après l'explosion, mon fils a appelé les secours, mais personne n'est venu sur place", raconte Saliha. "Il a donc dû me transporter en moto jusqu'à l'hôpital de Hassi El Ferid, d'où une ambulance m'a ensuite transférée à l'hôpital Badreddine Aloui, à Kasserine." 

Les risques sur le trajet des secours

L'accès des ambulances aux sites d'explosions est compliqué, car ces zones se trouvent souvent au cœur des régions militaires ou dans des endroits difficiles d’accès, avec des routes mal entretenues.

Issam Fekraoui, secouriste dans la région, a pris en charge les victimes d'une explosion de mine dans la zone de Bouhaya, près du mont Abdeladhim, dans la délégation de Feriana. À l'époque, il travaillait à l'hôpital local avant de rejoindre l'hôpital régional Badreddine Aloui à Kasserine.

Issam se rappelle les détails de l'explosion survenue en septembre 2018, qui a coûté la vie à Hamza Kriri, âgé de 26 ans et père de deux enfants, ainsi qu'à son cousin, Youssef Kriri, alors âgé de 24 ans. Les deux jeunes hommes circulaient en voiture lorsqu'ils ont heurté la mine.

"Lorsque nous avons été appelés à nous rendre à la zone de Bouhaya pour transporter les corps des victimes à l'hôpital afin de procéder à l'autopsie et à l'examen du médecin légiste, la route était extrêmement difficile, parsemée de ravins et de virages dangereux. Un silence étrange et angoissant régnait sur la région", raconte le secouriste.

"J'ai eu le sentiment que le danger nous entourait tout au long du trajet entre l'hôpital de Feriana et la maison des victimes, malgré la présence de l'armée et de la garde nationale pour nous escorter." 

Le ressenti d'Issam était fondé, car au-delà des risques terroristes et de la crainte d'une attaque contre l'ambulance et son équipe médicale, la réaction des familles des victimes a été violente. "À notre arrivée au village des victimes, nous avons constaté que leurs familles les avaient déjà enterrées et refusaient d'exhumer les corps pour les transférer au médecin légiste. Les ambulances, la garde nationale et le délégué ont été attaqués à coups de pierres", raconte Issam. 

Le conducteur de l'ambulance a pris la fuite, tandis qu'Issam s'est caché sous le volant, croyant qu'il ne sortirait pas indemne. "Cependant, un vieil homme du village est intervenu, m'a sorti de la voiture et m'a éloigné de la zone de chaos jusqu'à ce que la situation se calme, me permettant ainsi de retourner à Feriana, mais sans les corps des victimes."

Les victimes des mines sont généralement transportées vers l'hôpital local le plus proche du site de l'incident ou directement vers l'hôpital Badreddine Aloui, le seul hôpital régional du gouvernorat de Kasserine, qui compte plus de 500 000 habitant·es.

“Je n'ai bénéficié d'aucun soutien psychologique.”

Après cinq jours à l'hôpital de Kasserine, Nejma a été transférée à l'hôpital militaire de la capitale pour subir une intervention chirurgicale.

Dans les cas où les victimes sont transférées à l'hôpital régional de Kasserine, comme cela a été le cas pour Najma, le directeur régional de la santé affirme que “les équipes médicales de la région ont développé une expertise dans la prise en charge des incidents terroristes, notamment les explosions de mines”. 

"Toutes les équipes médicales des services d'urgence et de radiologie sont mobilisées, et des espaces sont préparés pour accueillir les blessés à l'intérieur de l'hôpital. Une coordination est mise en place pour transférer le patient [vers l'hôpital militaire], et son état de santé est suivi, avec l'État prenant en charge tous les frais."

Nejma a donc passé deux semaines à l'hôpital militaire de la capitale, "seule [...] dans un état de santé physique et psychologique difficile", raconte-t-elle, tandis que ses enfants sont restés seuls chez elle à Douar Rhaimet. À sa sortie, les médecins lui ont recommandé de revenir régulièrement à l'hôpital militaire pour poursuivre son traitement et effectuer des suivis nécessaires. Bien que le suivi soit "gratuit jusqu'à la guérison complète", comme le précise le directeur régional de la santé, les frais de transport entre Kasserine et la capitale pour ces consultations ont lourdement pesé sur Nejma.

“Ma situation financière ne m'a pas permis de suivre les rendez-vous médicaux, ce qui a aggravé ma santé et entraîné une perte de vision.” La santé mentale de Najma s'est également détériorée, et son mode de vie a radicalement changé depuis l'incident : “J'ai perdu ma concentration et je vis dans un stress constant, ce qui a affecté ma santé physique ainsi que mes relations familiales. Je n'ai bénéficié d'aucun soutien psychologique.”

Toutefois, pour le délégué de la région de Kasserine, Ahmed Hamdi, "les autorités régionales sont toujours les premières à prendre contact avec la victime, à suivre son état de santé à l'hôpital et à assurer un suivi de sa condition tant sur le plan psychologique que social". 

Depuis l'explosion, Nejma ne parvient plus à élever des moutons, et collecter du bois pour fabriquer du charbon, qui constituaient sa principale source de revenus, car elle ne peut plus accéder à la montagne. Elle quitte la région de Methnania, située au pied du mont Salloum, en quête d'une nouvelle source de revenu pour nourrir ses trois enfants. Elle réside désormais dans une maison dépourvue des besoins essentiels dans le quartier de Hay Ezzouhour, à Kasserine.

"Je subsiste, avec mes enfants, grâce à l'allocation pour familles nécessiteuses, qui ne s'élève qu'à 200 dinars par mois", raconte Nejma. "Ma belle-mère est obligée de mendier dans la capitale pour nous aider à couvrir les dépenses quotidiennes, en raison de la détérioration de notre situation économique et de l'augmentation des prix."

"Je n'ai reçu aucune indemnisation de l'État jusqu'à ce jour, à l'exception de 500 dinars qui m'ont été attribués le jour de l'incident à l'hôpital régional de Kasserine", ajoute Nejma. 

Dans une interview accordée à inkyfada, Ahmed Hamdi, souligne qu'il y a eu "des visites sur le terrain auprès des citoyens victimes des mines, et plusieurs d'entre eux ont bénéficié de divers avantages. Certains sont en train de finaliser les démarches nécessaires pour obtenir des compensations, en plus des efforts déployés par les autorités régionales pour mettre en place une cellule de suivi visant à améliorer leurs sources de revenus et à fournir un environnement propice à une vie digne." 

"Il y a une coordination totale entre les autorités régionales et l'Instance générale des résistants, martyrs, et blessés de la révolution et des opérations terroristes pour suivre ce dossier", confirme Ahmed Hamdi. 

À l'occasion de la commémoration de la révolution, le 8 janvier 2023, la présidente de l'Instance générale des résistants, des martyrs et blessés de la révolution et des opérations terroristes, Faouzia Yaacoubi, visite la région de Kasserine. Elle déclare à la TAP que "la justice et les autorités de sécurité sont responsables de déterminer si les blessures (amputations) des civils blessés, résidant dans les zones militaires fermées à la suite d'opérations terroristes, sont directement liées à ces actes ou non".  

"Les victimes dont les blessures ont été confirmées comme résultant d'opérations terroristes ont reçu leurs indemnités, en fonction du handicap physique, évalué par la commission médicale nationale centrale", ajoute la présidente. 

Cependant, une liste des blessé·es des opérations terroristes dans le gouvernorat de Kasserine, obtenue par Inkyfada, montre que 19 personnes ont reçu une prise en charge médicale, incluant leur transfert à l'hôpital et une intervention chirurgicale. Le même document indique également les compensations financières ou en nature allouées aux blessés par l'Instance générale des résistants, des martyrs, et des blessés de la révolution et des opérations terroristes. Cependant, il n'y a aucune mention du soutien psychologique ou social accordé aux victimes.

Liste nominative des blessé·es des opérations terroristes

Le document révèle que parmi les 19 personnes inscrites sur la liste, 18 blessé·es, dont Nejma Rahimi, n'ont pas reçu de compensations de la part de l'instance jusqu'à ce jour. De plus, le nom de Touhami Bransi est complètement absent de la liste. 

 "Le premier rempart contre le terrorisme"

Nejma, Khadija, Touhami, Saliha et d'autres ont été blessé·es alors qu'ils et elles gagnaient leur vie en travaillant dans les montagnes. Ces personnes sont forcées de vivre et de travailler dans une région qui, depuis des années, se distingue par "sa position entre quatre zones militaires fermées, exposant ses habitants à la fois au terrorisme et aux accidents liés aux mines", comme le précise Ahmed Hamdi.

"L'État et les autorités régionales ne peuvent pas négliger les habitants des zones montagneuses. Il est impératif de maintenir les citoyens dans ces régions afin d'éviter qu'un vide ne se crée, permettant ainsi aux éléments terroristes de s'y installer", ajoute Hamdi. 

La "particularité" de la région ne se limite pas aux montagnes minées et fermées. Selon la dernière statistique sur l'évolution de l'indice de développement régional pour l'année 2024, le gouvernorat de Kasserine se classe dernier au niveau national, avec un indice de 0,35, tandis que le gouvernorat de Tunis, le mieux classé, atteint 0,57. De plus, cinq délégations de la région figuraient parmi les plus pauvres en 2020, avec la délégation de Hassi El Ferid occupant la première place en tant que la plus pauvre de tout le pays.  

Noomen Mhamdi, activiste de la société civile et résident à la délégation de Hassi El Ferid, explique dans une interview accordée à Inkyfada que "les habitants des flancs des montagnes sont le premier rempart contre le terrorisme et dépendent directement de leurs ressources".

Les activités économiques de ces régions sont principalement axées sur l'élevage de moutons et de chèvres. “C'est pourquoi les autorités s'efforcent de fournir des sources de revenus sous forme de têtes de bétail”, explique le premier délégué du gouvernorat de Kasserine. “Les autorités régionales apportent leur soutien aux victimes des mines en les accompagnant dans la création de projets et en les incitant à soumettre des idées de projets à mettre en œuvre dans ces zones”, ajoute-t-il.

Cependant, Touhami Bransi, dont la jambe a été amputée en avril 2023, attend toujours que les autorités régionales tiennent leurs promesses en lui accordant une licence pour ouvrir un kiosque ou vendre du fourrage, dans l'espoir que cela lui permettra de vivre dignement, étant devenu incapable de travailler dans le secteur agricole ou de s'occuper de son troupeau.

"Cette catégorie sociale subit une double peine. D'abord, pour des raisons de sécurité, toutes les zones où ils vivaient ont été classées en zones militaires fermées, privant ainsi la population de ses moyens de subsistance et aggravant ses conditions économiques et sociales. Ensuite, ils ont été frappés par l'implantation de mines, dont les victimes continuent de se multiplier jusqu'à aujourd'hui", déclare l'activiste, Noomen Mhamdi.  

Le déminage des montagne : "une idée en cours"  

Le jeudi 10 août 2023, Kais Saied a visité Adnan Maamouri, un élève blessé lors de l'explosion d'une mine et hospitalisé à l'hôpital militaire. Lors de cette visite, il a affirmé que “l'État, par l'intermédiaire de toutes ses institutions, doit mettre fin à l'injustice et à l'oppression des pauvres et des démunis, afin que chaque citoyen puisse vivre en sécurité dans un pays où la dignité et la souveraineté sont préservées”.

Adnan, âgé de 17 ans, a été blessé trois jours plus tôt dans l'explosion d'une mine qui lui a coûté son œil et sa main droite. Il était en train de récolter des herbes dans le Djebel Mghila. Le jeune homme a quitté son domicile “pour travailler en raison de la pauvreté, dans le but de poursuivre ses études et d'acheter les fournitures scolaires”, selon sa sœur.  

Les accidents liés aux mines se poursuivent depuis 10 ans et ont fait de nombreuses victimes, entre mort·es et blessé·es. Cependant, aucune stratégie n'a été mise en place pour le déminage des montagnes habitées. Inkyfada a tenté de contacter le ministère de la Défense nationale pour obtenir des informations sur le nombre de victimes des mines dans les montagnes classées zones militaires fermées, tant parmi les civil·es que parmi les militaires, et pour savoir s'il existe une stratégie pour déminer ces montagnes. Cependant, aucune réponse n'a été reçue au moment de la rédaction de l'article.

En l'absence de données officielles à l'échelle nationale, un rapport du Centre international de déminage humanitaire révèle que le nombre total de victimes, entre tués et blessés, civils et militaires, en Tunisie, depuis 2000 jusqu'en 2022, a atteint 279 personnes. Il convient de noter que ces chiffres incluent également les explosions de mines laissées par les vestiges de la guerre.

À Ain Sidi Mahmoud*, dans le gouvernorat de Kasserine, où Saliha a été blessée, son mari, Belkacem Dhibi explique qu'il a demandé "à plusieurs reprises aux unités militaires qui effectuaient des patrouilles dans la montagne de déminer les zones où les mines étaient plantées, en raison du danger qu'elles représentaient pour les habitants de la région qui travaillaient à la collecte de la matière à base de jonc dans la montagne. Nous avons adressé des appels directs aux autorités régionales et par les médias, mais il n'y a eu aucune réponse". 

Le programme de déminage des montagnes est une "idée proposée aux autorités centrales", explique Ahmed Hamdi. "Mais il n'existe pas de vision claire à ce sujet".  

"Il y a un effort pour trouver des solutions, d'autant plus que ces zones représentent des sources de subsistance pour les citoyens et doivent être préservées", ajoute le délégué. 

Le 4 décembre 1997, la Tunisie a signé la Convention des Nations Unies sur l'interdiction de l'emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction, connue sous le nom de la Convention d'Ottawa*. La Tunisie fait partie des 164 pays signataires de ce traité, entré en vigueur en 1999*. En 2003, un comité national a été créé conformément au décret n°2003-1266, chargé de suivre la mise en œuvre des dispositions de la convention et de la "coordination des efforts nationaux visant la sauvegarde des citoyens des dangers des mines antipersonnel et des restes explosifs des guerres".   

En mars 2009, la Tunisie annonce, en vertu de l'article 5 de la Convention, avoir achevé le déminage des zones officiellement reconnues comme contaminées, s'ajoutant ainsi à la liste des 30 pays ayant réussi cette opération. Cependant, le rapport du Landmine and Cluster Munition Monitor souligne que "bien que plusieurs incidents d'explositions de mines improvisées aient été rapportés, la Tunisie n'a pas encore présenté de compte rendu aux États membres concernant la présence de ces mines, et elle doit fournir des précisions sur la nature et l'étendue de cette contamination".  

En attendant que la “vision” concernant le plan de déminage des montagnes classées zones militaires fermées dans la région soit clarifiée, les explosions continuent, et leurs victimes sont principalement des personnes issues de milieux socio-économiques vulnérables.   

“Ceux qui ne périssent pas sous les attaques des terroristes ou dans une explosion de mine doivent vivre avec un handicap permanent. Ils ne seront pas les derniers à souffrir”, conclut Noomen Mhamdi. En effet, ils ne furent pas les derniers, car une mine terrestre a explosé le 24 mars 2024 dans le Djebel Mghila, blessant un autre jeune à la jambe, qui a dû attendre l’arrivée des ambulances avant d’être transporté à l’hôpital pour recevoir des soins.