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Najla, environ 58 ans, femme de ménage avec son fils à charge, 670 dinars par mois



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19 Juin 2022 |
Après la mort de son mari, Najla est devenue femme de ménage pour subvenir aux besoins de ses enfants. Aujourd’hui, angoissée à l’approche de la vieillesse, elle rêve d’ouvrir son propre commerce.   

À la fin d’une journée pénible, Najla* s’installe chez elle et étend sa jambe douloureuse sur une chaise. Aujourd’hui, elle a nettoyé deux maisons. Demain, elle en aura trois autres. 

Depuis la maladie puis la mort de son mari, Najla travaille pour subvenir à ses besoins et aussi ceux de son fils qui souffre d’asthme. En multipliant les ménages et au prix de sa santé, elle arrive à gagner 670 dinars, ce qui lui suffit au quotidien.

Voici un aperçu de ses revenus et dépenses mensuel·les :

Najla a 58 ans, “sur les papiers”. Elle ne connaît pas réellement son âge. Originaire d’une région rurale, elle raconte que ses parents ne l’ont pas déclarée à la naissance mais seulement quelques années plus tard. 

Enfant, Najla n’est scolarisée que jusqu’à ses neuf ans. “L’école était moins accessible aux filles, c’était compliqué et même dangereux d’y aller”, raconte-t-elle. Élevée dans une famille nombreuse, elle grandit avec 13 frères et sœurs, nées de deux mères différentes. Son père épouse en effet deux femmes, “une situation assez normale pour l’époque”, commente-t-elle.

À 28 ans, elle se marie avec Montassar*, un commerçant vivant à Tunis. “J’étais perçue comme une vieille fille, mais mon père ne voulait pas me forcer à me marier”, raconte Najla. Avant son mari, plusieurs hommes lui ont ainsi demandé sa main, mais son père a toujours respecté son refus.

Le couple s’installe ensemble et a bientôt deux enfants : une fille et un garçon. La petite famille vit pendant plusieurs années dans la capitale. Mais au bout de sept ans, Montassar est victime d’une hémorragie cérébrale. Le couple décide de vendre leur maison à Tunis et de retourner dans leur région d’origine : ils et elles s’installent dans un quartier pauvre. 

Même des années plus tard, Najla regrette d’avoir quitté la capitale.

“Si j’étais restée à Jbel Jloud [ndlr : en banlieue de Tunis], cela aurait été plus facile pour moi de trouver du travail dans une usine ou dans un atelier, j’aurais gagné plus et mon mari et mon fils auraient mieux soignés”, estime-t-elle avec le recul. 

A partir de là, les difficultés financières s’accumulent, entre les médicaments nécessaires pour Montassar, qui ne peut plus travailler, et les besoins des enfants. Ils et elles comptent d’abord sur leurs économies et le soutien familial mais la situation empire après la mort du père de Najla puis le décès de Montassar, sept ans après son hémorragie cérébrale.

À la même période, son fils Hamdi*, alors âgé de 13 ans, développe des problèmes d’asthme. C’est à partir de là que Najla décide de commencer à travailler.

Au début, elle n’est payée que cinq dinars pour le ménage d’une maison. Progressivement, ses revenus augmentent. Après la révolution, elle est embauchée comme femme de ménage dans un musée, pour 360 dinars par mois, tout en continuant à travailler chez des particulier·es à côté.

“C’était la belle époque, je gagnais bien ma vie. Grâce à mes différents emplois mes enfants n’ont jamais manqué de rien. Ma fille a ainsi pu faire des études et devenir professeur de français”, raconte-t-elle avec nostalgie. 

Mais en 2019, Najla raconte qu’une vague de licenciements touche la fonction publique. Elle perd alors son emploi et ne peut compter que sur les ménages qu’elle fait chez des particulier·es. 

Progressivement, la mère de famille parvient à se faire un nom. Aujourd’hui, le ménage d’une maison lui fait gagner quelques centaines de dinars par mois. Najla est employée dans cinq maisons différentes, où elle se rend plusieurs fois par semaine, ce qui lui permet d’avoir un revenu de 670 dinars par mois.

Voici le détail de ses entrées et sorties d’argent mensuelles :

La cinquantenaire n’a qu’un seul jour de repos, le lundi, dont elle profite pour faire le ménage chez elle et ses courses au marché, qui lui coûtent 220 dinars par mois. 

La plupart de ses autres dépenses sont dédiées au quotidien son fils et les frais liés à sa santé. Ce dernier a arrêté l’école au lycée et peine à trouver un emploi stable depuis. À une époque, il faisait de la contrebande d’essence, jusqu’à la fermeture des frontières avec l’Algérie. Aujourd’hui, mis à part des petits boulots de transport de marchandises, il dépend entièrement de Najla. 

Cette dernière lui donne une dizaine de dinars par jour, principalement pour son café et ses cigarettes.

“Il vit avec moi et c’est difficile”, admet-elle. 

Le reste de ses revenus étant consacré aux frais du foyer, entre les factures d’eau et d’électricité, ou les réparations occasionnelles. “Ma maison est très modeste, mais je veux qu’elle soit propre. J’essaie donc de raccommoder ce que je peux toute seule”, raconte-t-elle, en admettant qu’elle doit néanmoins souvent faire appel à des réparateurs de son quartier, ce qui lui coûte environ 30 dinars par mois. “Il y a toujours quelque chose qui ne va pas, si ce n’est pas la plomberie c’est l'électricité ou la télé ou les portes…”, énumère-t-elle. 

Le peu d’épargne qui lui reste sert principalement à payer les crédits qu’elle prend souvent dans les petits commerces de son quartier, généralement en début de mois.

Pour se vêtir, Najla ne dépense rien. Elle reçoit de temps en temps des vêtements de la part de ses employeuses . “Je n'ai pas acheté de vêtements neufs depuis des années ! Les vêtements qu’elles me donnent me suffisent largement”, affirme-t-elle. Elles lui fournissent aussi des cartes téléphoniques. Najla doit parfois compléter pour avoir du forfait mais ça ne dépasse pas les six dinars par mois. L’essentiel pour elle est de rester joignable pour le travail.

Au quotidien, Najla n’a pas de loisirs à part rendre visite à sa fille, femme au foyer. 

“Je n’ai pas le temps. De toute façon, je suis trop fatiguée en rentrant du travail”, décrit-elle. 

Le soir, à la fin de sa journée, elle rentre et regarde occasionnellement la télévision. Sinon, Najla apprécie particulièrement de s’asseoir sur le palier de sa porte et regarder les enfants jouer. 

Zone grise

Depuis le début de la pandémie, Hamdi est sans emploi. “Quand il travaillait, il m’aidait. Il n’a simplement pas eu de chance. Il n’y a pas de travail ici et sa santé est fragile”, estime-t-elle. 

Dans ces conditions, Najla ne peut compter que sur elle-même et ne peut pas se permettre de tomber malade ou de ne pas être en capacité de travailler. L’année dernière, elle s’est fracturée la jambe, mais elle n’a pas pu prendre le temps de se rétablir correctement : elle devait retourner faire des ménages le plus tôt possible. 

Pourtant, Najla devrait pouvoir compter sur des aides de l’État, en ayant notamment accès au carnet de soins gratuits. Celui-ci a été suspendu après son embauche au musée, mais depuis son licenciement en 2019, elle attend de pouvoir le récupérer, en vain. “Personne ne peut me dire si j’y ai encore droit ou quand je l'aurai de nouveau”, se désole-t-elle. 

Elle est également censée percevoir 180 dinars de retraite mais elle n’a, jusqu’à présent, rien reçu. 

"J’angoisse beaucoup pour mes vieux jours. D'être malade et de ne pas pouvoir me soigner correctement. De ne plus pouvoir travailler et de n’avoir accès ni à ma retraite ni à mon carnet de soins gratuits”, confie-t-elle. 

D’autre part, elle s’inquiète pour l’avenir de Hamdi : "Je voudrais que mon fils travaille. Si je ne suis plus là, il sera perdu”, craint-elle. 

Futur

Pour pouvoir travailler malgré l’âge, Najla aimerait ouvrir son propre commerce dans une petite pièce chez elle. Celui lui permettrait de “ne plus se fatiguer et d’avoir un filet de sécurité, pour [elle] et [son] fils”. Elle pense demander une aide financière à ses employeuses ou faire en sorte que son fils puisse prendre un crédit. 

“Mes rêves sont simples : un peu de sécurité, que mon fils aille bien et qu’il trouve une gentille fille pour se marier. Et surtout que les administrations arrêtent de me balader de services en services pour ma retraite et mon carnet de soins”, conclut-elle.