Vous trouverez le premier épisode de la série de podcasts "Au cœur du Projet" sur inkyfada podcast à partir du mercredi 20 avril.
De juriste spécialisé dans l'interprétation des questions d'ordre constitutionnel, rendu célèbre par sa maîtrise "éblouissante" de la langue arabe et sa voix résonnante, il est devenu le deuxième président tunisien élu. La montée de Kais Saied à la présidence de la République était inattendue. Cependant, ses partisan·es considéraient que sa victoire était inévitable et prévisible, si ses concurrent·es n’avaient pas fait preuve de manque de clairvoyance envers le Projet politique qu'il représente et les attentes des Tunisien·nes lassé·es de la corruption de la classe politique existante.
Les artifices et les manifestations de mobilisation dans les rues étaient absents de la campagne électorale de Kais Saied. Sa campagne est plutôt apparue comme la tournée d'un candidat aux moyens limités, autour duquel s'est rassemblé un groupe de bénévoles, principalement composé de jeunes. Elle a même été baptisée la campagne " bouteille d'eau et expresso" pour illustrer l'austérité et le manque de ressources financières.
Après l'entrée de Kais Saied au palais de Carthage le 15 octobre 2019, ces bénévoles sont devenus plus important·es. La victoire de Kais Saïed a été considérée comme un cas de figure incontournable pour les études politiques et sociales, entraînant un vif intérêt à vouloir cerner de près les personnes actives à ses côtés. D'autant plus qu'il est devenu clair après le 25 juillet, dans les nominations et les choix du président, que sa consigne est de " ne faire confiance qu'à ceux qui sont au cœur du Projet".
Joindre la personne chargée de parler des partisan·es du président et de son Projet politique n'a pas été facile. Bien que toutes les personnes que nous avons interrogées parlent au nom du peuple, elles affirment qu’elles portent un Projet national global qui jouit d'une légitimité absolue. Or, l'opinion publique continue d'être surprise par les décisions du président, bien que celui-ci agit en accord avec les orientations dont il a parlé pendant des années.
Les bénévoles de la campagne de Kais Saied aux élections présidentielles étaient connu·es comme les membres de la campagne explicative, car le candidat considérait que ce qu'il faisait n'était pas une campagne électorale mais une campagne d'explication de son Projet politique.
Malgré sa victoire aux élections présidentielles et l’élimination de son adversaire au second tour, la présence des membres de la campagne est restée quelque peu limitée, avant qu'ils et elles n'occupent des postes politiques et administratifs importants, notamment comme ministre, gouverneur·e ou même délégué·e après le 25 juillet 2021, date à laquelle Saied a annoncé l'activation de l'article 80 selon une interprétation juridique lui permettant à lui seul de concentrer tous les pouvoirs et de retirer tout rôle aux partis et organisations.
Kais Saied a toujours considéré Sidi Bouzid comme le berceau de la révolution, et l'a récompensé en changeant la date de la fête de la révolution au 17 décembre, pour rendre à la ville son symbolisme. La ville représente l'un des plus importants noyaux populaires pour le président, même si cela n'est apparu clairement qu'après son arrivée au pouvoir.
Malgré cette base populaire, nous n'avons pas trouvé à Sidi Bouzid quelqu'un qui parle au nom des partisan·es et approfondit le Projet. Il nous a semblé que trouver une personne d’influence et qui puisse s'exprimer demande beaucoup de courage, d’autant plus que beaucoup ont refusé avant que Ziad Abdouli n'accepte de répondre à nos questions.
Nous avons voulu commencer notre série de rencontres avec les acteur·trices du Projet du Président à Sidi Bouzid. Bien que le concept de coordination pour le Président suppose l'existence de bureaux, de sièges de réunion et de coordinateur·trices responsables, nous avons trouvé des individus dispersés.
Après plusieurs tentatives, nous avons réussi à obtenir un rendez-vous avec Ziad. La rencontre n'a pas eu lieu dans un bureau ou tout autre endroit revêtant une dimension correspondant à une activité au sein d'une organisation structurée, clairement définie ou dotée de ressources financières. Ziad nous a attendus à la périphérie de Sidi Bouzid, où il nous a invités à nous rendre dans un café à l'abri des regards.
La discussion était spontanée et simple. Ziad semble être un habitué du café, amical et drôle à la fois. Après avoir passé environ une heure avec lui, nous lui avons demandé de coordonner des entretiens avec ses collègues de la campagne explicative. Il est important de souligner que nous n'avons pas réussi à interviewer une seule femme partisane du président.
De là, Ziad nous a emmenés chez Ayman Ghanmi, un technicien du centre sanitaire de base et un ancien militant du Parti des travailleurs. Ayman nous a accueillis avec deux autres amis du Projet, dont Najeh Saghrouni, responsable des affaires juridiques à l'hôpital de Sidi Bouzid et ancien militant du Parti des travailleurs.
Toutes les interviews étaient loin d'être officielles, mais ressemblaient plutôt à une réunion d'amis, car nous étions invités principalement pour regarder le match de football du premier tour du championnat d'Afrique des Nations.
La deuxième ville la plus engagée auprès de Kais Saied, selon ses partisans, est Sfax. A la sortie de Sfax, vers Mahdia, nous avons interviewé Ahmed Mejri, l'un des jeunes chômeurs qui considèrent Kais Saied comme le leader de cette phase et ont soutenu sa candidature aux élections et appuient ses décisions à l'heure actuelle. Nous avons appris récemment qu'Ahmed Mejri a été nommé délégué à Ain Djelloula dans le gouvernorat de Kairouan.
Trouver un·e représentant·e des partisan·es de Kais Saied à Sfax n'a pas non plus été facile. Ils existent en fait, mais évitent les interviews avec la presse. Malgré leur affirmation sur le fait qu'il n'existe pas de hiérarchie de responsabilités et de tâches entre eux, il est évident qu'il existe une inégalité en matière de postes ou pour parler du Projet.
Outre Ahmed Mejri, nous avons interviewé l'un des responsables du Projet dans la région de Sfax, dont le discours était très politique. Notre interlocuteur a approfondi le Projet politique que porte Kais Saied, tout en révoquant sa volonté de personnaliser sa victoire aux élections. Il insiste que ce qui a rassemblé les électeur·trices autour de lui est le Projet politique, dont le Président n’est que le fer de lance.
Notre interlocuteur présente les fondements de ce Projet qui consiste à faire renaître la démocratie en tant que forme d'organisation politique des sociétés en lui rendant son élément originel et l'essence de son existence, à savoir le peuple.
" Le peuple est la source de la démocratie et la source de l'autorité et de la souveraineté. La démocratie est en fin de compte le règne du peuple lui-même, qui n'existe plus dans les démocraties bourgeoises et les démocraties libérales. D'où l'idée que les individus sont égaux quels que soient leurs fonctions et leurs positions", d’après ses dires.
En ce qui concerne la consultation nationale, notre interlocuteur la considère comme l'un des piliers du Projet car il s'agit d'une consultation directe qui ne transite pas par des intermédiaires tels que des représentant·es, des partis ou des organisations. Il y voit la réalisation de la démocratie directe, qui est l'esprit du Projet selon lui.
Nous sommes rentrés à Tunis après notre visite à Sidi Bouzid et Sfax. Nous avons fait tout notre possible pour parvenir à contacter le plus grand nombre de partisan·es du Projet, mais la tâche n'a pas été facile. Après des tentatives répétées pendant des semaines, nous avons finalement rencontré Fawzi Daas et Abdel Hamid Ouled Ali.
Fawzi et Abdel Hamid ont évoqué leur rencontre avec Kais Saied, et ont invoqué son soutien aux sit-in de Kasbah 1 et 2.
Il semble que la présence de Kais Saied auprès de nombreuses associations civiles après 2011 en tant qu'expert juridique a également contribué à la prolifération de son nom dans les régions du pays et a rassemblé autour de lui nombre de ses partisan·es actuel·les.
Tous ceux que nous avons rencontrés se caractérisent par une expérience politique modeste. Cependant, ils proviennent de milieux plus proches de la gauche que de la droite, et ils voient dans le système politique précédent un élément qui doit être effacé et remplacé sur la base d'une nouvelle législation qui va au-delà de la formalité de la démocratie pour atteindre son essence en "impliquant le peuple dans la décision et en lui permettant de demander des comptes aux responsables".
A travers ce podcast, inkyfada décortique les spécificités des membres de la campagne explicative de Kais Saied et se plonge avec eux dans des échanges spontanés sur leur participation aux élections, leur présence dans les nominations, leur positionnement par rapport à la consultation et aux décisions du président après le 25 juillet, ainsi que leurs représentations du Projet politique.
Ces entretiens nous révèlent une idée fondamentale : Un rêve collectif réunit ces groupes autours d'une personnalité qui prévoit de subordonner la réalité aux exigences de ce rêve.
Vous trouverez la série “Au coeur du Projet”, qui comprend quatre épisodes, tous les mercredis sur inkyfada podcast.