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Mohsen 63 ans, retraité encore au travail, 2697 dinars par mois



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13 Février 2022 |
Pharmacien, vendeur de bois, apiculteur… Mohsen, 63 ans et retraité, a de nombreuses casquettes.
Les journées de Mohsen sont réglées comme une horloge. Le matin, il ouvre son dépôt de bois et y reste jusqu’à ce que son associé vienne le remplacer, vers midi. Il rentre manger, se repose avant la prière en fin d’après midi avec son groupe soufi. Parfois, il part voir ses ruches installées sur les terres familiales. Enfin, tous les jours il se rend à la pharmacie pour donner un coup de main et prendre un café, tout en parlant politique ou football.

Mohsen connaît le pharmacien depuis des années : ce dernier l’a formé il y a presque 50 ans, alors que Mohsen n’avait que 15 ans. A l’époque, il exerçait dans une officine à Korba, au Cap Bon. Mohsen est envoyé là-bas afin de suivre une formation de préparateur en pharmacie après avoir redoublé sa sixième année de primaire. Après trois ans d’exercice, le pharmacien et son apprenti reviennent s'installer dans leur ville d’origine.

Pendant cinq ans, Mohsen travaille ainsi à la pharmacie, jusqu’en 1979. Cette année-là, le lycée de la ville se retrouve sans infirmier au sein de l’internat et Mohsen est proposé pour assurer ce poste. Grâce à sa formation et son expérience, il sait appliquer les premiers soins et faire des injections. Avec ce nouvel emploi, Mohsen bénéficie d’un logement de fonction. Mohsen exerce pendant 39 ans, jusqu’à sa retraite, prise en 2018. 

Voici un aperçu de ses entrées et sorties d’argent mensuelles

En plus de travailler au lycée, Mohsen va régulièrement donner un coup de main à la pharmacie et multiplie les projets. Il commence par contracter un crédit pour acheter une maison et la mettre en location. Aujourd’hui, cette dernière lui rapporte 290 dinars par mois. 

Il investit également dans l’achat d’un garage dans lequel il exerce de nombreuses activités. Avec son frère, Mohsen commence à ouvrir une petite épicerie qui bénéficie de l’absence de concurrence aux alentours. Plus tard, il s'improvise restaurateur pendant quelques mois puis revend le restaurant, quand celui-ci devient rentable.

A la même période, Mohsen se lie d’amitié avec un homme qui le convainc d’acheter une quinzaine de ruches grâce à un prêt auprès de l’API (Agence de promotion et de l’industrie). Le jeune apiculteur les installe dans les terres familiales.

“il faut beaucoup s’occuper des abeilles, c’est une vraie passion !”, s’exclame-t-il, “Je me suis aperçue que chez nous les abeilles butinent non seulement l’eucalyptus mais aussi le thym, ce qui donne un goût bien particulier au miel. C’est un des meilleurs de Tunisie”.

Mohsen vend une partie du miel mais il en offre une grande partie à des ami·es et sa famille.

 En 2004, un cousin qui possède de grands magasins de meubles dans la capitale lui conseille de se lancer dans le domaine du bois, arguant que c’est une ressource rentable. Il se porte garant auprès des fournisseurs et Mohsen ouvre un dépôt en s’associant avec l’un de ses amis. Chacun investit 11.000 dinars et malgré la flambée des prix, ils réussissent à s’en sortir. “C’est ce qui m’occupe maintenant que je suis à la retraite”, commente Mohsen.

Voici le détail de ses entrées et sorties d’argent mensuelles :

Progressivement, Mohsen rembourse ses crédits et réussit à économiser. Dès qu’il en a eu la possibilité, il a investi dans un terrain et a fait construire sa maison dans lequel il habite désormais avec sa femme. 

Le mariage de Mohsen remonte à 1986. Sa femme, Jamila, est une cousine éloignée qu’il apprécie beaucoup, et d’un “tempérament calme”, comme lui. Pendant plus de dix ans, il et elle tentent d’avoir un enfant, sans succès. Mais tout change quand le frère et la belle-sœur de Mohsen décident de leur confier leur nouveau-né, une petite fille. Aujourd’hui, celle-ci étudie à Tunis. Mohsen et Jamila lui rendent visite une fois par semaine.

Chaque été, il et elles partent en vacances trois semaines à la mer à bord de la vieille 4L de Mohsen. Souvent, ses frères et sœurs partent également avec eux.

Zone grise

Mohsen reconnaît que son travail dans le dépôt de bois le fatigue beaucoup. Il doit faire attention au stock, à la caisse ainsi qu’à la comptabilité surtout que les prix n’arrêtent pas d’augmenter. “Bientôt, le bois que je vends sera un produit de luxe !”, s’étonne-t-il. Son travail bénévole à la pharmacie et ses ruches lui prennent également beaucoup de temps et d’énergie. “Je ne suis plus tout jeune après tout…”, dit-il. 

“Mais je serai devenu fou si j’avais complètement arrêté de travailler après la retraite ! Je ne sais pas ce que j’aurais fait de mes journées”, ajoute-t-il après un temps de réflexion. 

Après le travail, Mohsen s’autorise un moment d’apaisement au sein de son groupe soufi. Il a rejoint cette communauté une quinzaine d’années auparavant, sur invitation d’un ami. Mais à cette époque, ce qui a un lien de près ou de loin n’est pas bien vu, se souvient Mohsen. il hésite un peu mais curieux, il finit par les rencontrer. “J’étais très méfiant au début”, raconte-t-il, “Mais je me suis aperçu au fur et à mesure à quel point c’était apaisant. Ils lisaient le Coran d’une manière que je ne connaissais pas. C’était plus doux, plus chantant”.

Mohsen explique qu’il est particulièrement touché par les valeurs revendiquées par le groupe. “Ils prônaient de vraies valeurs qui me ressemblaient comme la bianveillance, la tolérance et l’ouverture. C’est une vision de la religion bien plus douce. Et nous mettons en pratique ce que nous étudions”, détaille-t-il. Ils et elles réparent ainsi des maisons, aident des personnes dans le besoin, etc. Mohsen et ses ami·es construisent également une petite mosquée qui vise à les réunir et accueillir les plus défavorisé·es. C’est l’occasion d’organiser des repas et des grands débats.

“Avant la révolution, les autorités se sont intéressées à nous et ont commencé un peu à nous persécuter”, continue Mohsen.

Mais d’après lui, les choses sont rapidement rentrées dans l’ordre car le groupe était formé de “gens respectables et connus dans la ville”.  “Puis au bout d’un moment ils ont vu qu’on était inoffensif et qu’on ne revendiquait rien de particulier, donc ils nous ont laissé tranquille… tout en gardant un œil sur nous”. 

Futur

Après avoir passé sa vie à travailler et à économiser, Mohsen s’est toujours senti à l’abri. Jusqu’à présent, il ne s'était jamais inquiété côté finances mais la flambée des prix et l’avenir de sa fille l'inquiètent.

Cette dernière envisage de finir ses études en France. Elle a déjà été acceptée en alternance dans un master professionnel. Elle pourra être hébergée par une cousine qui habite à Paris mais Mohsen reste inquiet. Il a le sentiment que sa fille est “naïve et manque d’expérience pour s’installer seule dans une grande ville”.

Malgré ses peurs, Mohsen compte la soutenir du mieux qu’il peut. Il envisage même de reprendre le commerce de blé et de zgougou, une activité qu’il pratiquait à une époque, pour lui envoyer plus d’argent quand elle sera installée en France. 

Il espère tout de même qu’elle reviendra s’installer en Tunisie après ses études. Il se rassure en disant qu’il sait que sa fille est très attachée à ses parents. “C’est elle qui nous a imposé de venir la voir une fois par semaine à Tunis”, précise Mohsen. “Même si je n’ai pas grand espoir dans les gens qui gouvernent pour l’avenir de la Tunisie, je préfère qu’elle vive près de nous…”, reconnaît-il. Malgré ces craintes, Mohsen assure qu’il est heureux. Entre sa famille, ses abeilles et ses commerces, sans oublier le soufisme qui est son havre de paix.