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Hamdi, 28 ans, “fils à papa” et gérant dans la restauration, 17.000 dinars par mois



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02 Janvier 2022 |
Hamdi traîne difficilement son image de “fils à papa” et tente tant bien que mal de s’en défaire. Pour cela, il s’investit dans le travail, redoublant d’efforts dans ses projets de commerces.

Du haut de ses 28 ans, Hamdi est gérant dans la restauration. Il tient un café, un restaurant de grillades et s’est lancé récemment dans son troisième projet, un autre restaurant. S’il a grandi dans un milieu très favorisé, le jeune homme tente de se défaire de sa condition par le travail. 

Rien ne le prédestinait à se lancer seul dans la restauration. À l’école, Hamdi est un élève moyen qui parvient seulement à se distinguer dans les matières scientifiques. Après l’obtention de son baccalauréat sciences, il aurait pu choisir la voie toute tracée par son père, à ses côtés. Ce dernier est armateur et possède plusieurs commerces dans la restauration ainsi que quelques biens immobiliers. Avec des projets de commerces plein la tête, Hamdi décide d’intégrer une faculté privée pour étudier la finance. 

Comme lui, beaucoup d’autres étudiant·es sont aisé·es mais en dehors des cours, le jeune homme préfère passer son temps avec les jeunes du quartier. Pourtant, avec ces derniers, son statut de “fils à papa” lui colle à la peau et le complexe. “Est ce que c’est de ma faute si mon père a réussi ? Est ce que cela fait de moi une personne pourrie gâtée sans cerveau ?”, s’exclame-t-il avec une voix nerveuse.

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Il reconnaît toutefois avoir été gâté toute sa vie : “J’ai vraiment eu tout ce que je voulais, la grosse berline par exemple pour mon bac”. Il insiste aussi sur le fait que son père est en même temps très sévère. “Mais c’est mon père, je ne peux pas m’embrouiller avec lui. Il ne me doit rien, je lui dois tout”, explique Hamdi, “je veux m’émanciper de lui mais je ne peux le faire qu’avec le travail”.

Après ses études, son père lui propose à nouveau de rejoindre les affaires familiales mais Hamdi décline. Il préfère se consacrer à ouvrir un café avec le peu d’argent qu’il a mis de côté depuis son baccalauréat. Mais il n’a pas vraiment les moyens de ses ambitions. Son père lui vient en aide en payant les deux premiers mois de loyer, et il fait avec de la récupération pour la décoration. Surpris par le résultat, son père lui donne de l’argent en plus pour que Hamdi s’achète le mobilier qu’il avait imaginé pour son café.

En 2018, tout est enfin prêt et le café ouvre, il emploie ses ami·es du quartier qui ont tou·te·s une situation socio-familiale compliquée. “Ce sont des ami·es que je connais de longue date, je crois sincèrement que la confiance se gagne, comme m’a appris mon père”, dit-il d’un ton très sérieux. Il est toujours présent et travaille aussi avec eux en plus de s’occuper de l’aspect administratif et de la comptabilité. Le café marche très bien, à tel point qu’il met de l’argent de côté et veut rapidement se lancer dans un nouveau projet : un restaurant de grillades. Mais le projet est stoppé net par le covid.

En dehors du premier confinement général, Hamdi se démène pour maintenir le café ouvert. Il continue de verser les salaires de ses employé·es grâce à l’argent qu’il a mis de côté. Il paye aussi le loyer du local qu’il a trouvé pour son nouveau restaurant. Ses économies fondent à vue d’œil, alors il s’endette. À côté de ça, il a la chance de ne pas avoir de charges. Il habite chez ses parents et les frais de sa grosse voiture sont prises en charge par la société de son père.

Voici un aperçu de ses dépenses et revenus mensuel·les :

Après quelques mois, les affaires reprennent, il arrive à rembourser ses dettes mais n’a plus la force ni l’argent pour le restaurant dont il paye toujours le loyer. Il traverse timidement une période de déprime. Son père, voyant bien l’état de son fils et reconnaissant qu’il a su gérer la pandémie, décide de le soutenir. Il finance la fin des travaux, et Hamdi se retrouve dans l’obligation de s’y remettre. En parallèle, ce dernier fait construire une extension à son café grâce aux bénéfices du commerce. Il y installe une salle de jeux vidéo.

La quantité de travail est considérable : il gère deux chantiers en même temps, les démarches administratives, la comptabilité, en plus de la gestion habituelle de son café. Comme il gagne beaucoup d’argent qu'il ne déclare pas, il ne peut pas tout laisser au comptable. Une fois les travaux terminés, les deux affaires prospèrent, tant son nouveau restaurant que son café désormais agrandi.

Voici le détail de ses dépenses et revenus mensuel·les :

Zone grise

La relation avec son père occupe une place importante dans la vie de Hamdi. “Mon plus gros complexe dans la vie est cette étiquette de “fils à papa”. Je travaille nuit et jour, je ne rechigne devant rien pour prouver ma valeur”, explique-t-il. Bien que son objectif soit de réussir par lui-même, son père l’aide régulièrement.

Pourtant, la relation ne lui apporte pas toujours que des avantages. Déjà, Hamdi se dit obligé de payer des pots-de-vin régulièrement “pour la moindre chose”. Mais en plus, il lui arrive de devoir payer pour son père, qui tient lui aussi divers commerces. Plusieurs fois, des responsables de la mairie sont venus dans son café ou dans son restaurant le menacer d’enlever des chaises ou de fermeture. “Si lui [son père] ne veut pas donner, c’est toi qui paiera à sa place”, aurait lancé l'un d'eux au jeune homme. 

De toute façon, Hamdi n’est pas non plus clair dans sa comptabilité ni dans les multiples  autorisations nécessaires. “Si tu déclares tout, tu fermes au bout de 6 mois”, s’exclame-t-il. “Entre les pots de vin, es impôts et les taxes, c’est impossible de s’en sortir, alors il faut faire un choix”.

Si le travail et ses projets lui prennent le plus clair de son temps, Hamdi s’octroie de temps en temps des sorties ou des loisirs. Dans ces moments-là, il se lâche et invite fréquemment certain·es proches, il règle alors les additions.

L’entrepreneur se sent parfois seul. Il s’est séparé de sa dernière copine après la fin des études. D’après ses dires, elle ne comprenait pas ce besoin incessant de travailler et de se compliquer la vie alors qu’il aurait pu rejoindre les affaires de son père. Il n’a pas envie d’une relation stable qui lui prendrait trop de temps. “Pour avoir une vraie relation, il faut y mettre du temps et de l’énergie, ce que je n’ai pas”, affirme-t-il. 

Futur

Sa mère trouve que Hamdi travaille trop. Elle lui demande souvent s’il a quelqu’un qu’il voudrait lui présenter - un sous-entendu pour le mariage. Mais c’est loin d’être sa priorité, “si un jour je veux des enfants, j’aimerais trouver une mère porteuse”, dit -il en riant.

D’autant plus qu’il a un nouveau projet de restaurant. Il a trouvé le local et assez d’argent pour payer le loyer mais pas assez pour investir dans la décoration qu’il veut. Alors cette fois, il attend car il veut réussir à l’ouvrir sans l’aide de son père. Hamdi a des idées très précises vis-à-vis de la décoration - comme pour ces précédents commerces - et il ne prévoit aucune concession qu’il devrait faire si son père était mêlé au projet. Il envisage ainsi de prendre un crédit.

Il voudrait aussi investir dans un terrain qu’il a repéré, soit pour construire soit pour le revendre plus tard avec une plus-value. À terme, il aimerait embaucher des gérant·es pour ses commerces afin qu’ils fonctionnent sans son intervention et répondre aux demandes incessantes de son père de travailler avec lui dans l’armature et le transport maritime. “ Je pense plutôt à créer une société complémentaire à la sienne, pour que l’on travaille ensemble mais que ce soit indépendant”, explique-t-il.

La reconnaissance sociale est pour lui un objectif primordial et il met tout en œuvre pour cela. Hamdi espère prendre sa retraite à 45 ans, afin de voyager et profiter de la vie. “Vu comme je suis parti, je dis cela maintenant mais est ce que j’arriverai un jour à arrêter de travailler ?”, s’interroge-t-il. “Je me pose vraiment la question. Je bouillonne d’idées et de projets, il me faudrait encore une autre vie”.