5 graphiques pour comprendre l’ampleur de la mortalité liée au Covid-19 en Tunisie

Depuis plusieurs semaines, la Tunisie a connu une accélération de la propagation du virus et fait partie des pays les plus endeuillés de cette période. Cinq graphiques pour comprendre la crise... et les risques d'une cinquième vague à l'automne.
Par | 02 Août 2021 | reading-duration 10 minutes

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Le 31 juillet 2021, la Tunisie a dépassé la barre des 20.000 décès déclarés liés au Covid-19 et se place à la 30ème position mondiale en nombre absolu de décès ainsi qu'en nombre de décès rapportés à sa population. Près de la moitié de ces décès est survenue dans les trois derniers mois, entre la fin du mois d’avril et la fin du mois de juillet. Ce dernier mois, le plus meurtrier depuis le début de l’épidémie, a enregistré à lui seul quelque 5000 victimes. 

Sur les 7 derniers jours

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Ce graphique montre la position de la Tunisie par rapport aux autres pays (classement mondial, arabe et africain) concernant le nombre de décès par million d’habitant·es sur les 7 derniers jours du mois de juillet et le nombre absolu de décès sur la même période. Source : Worldometers et le ministère de la Santé tunisien. 

Par rapport à sa population, la Tunisie est le deuxième pays le plus endeuillé sur les sept derniers jours du mois de juillet, après les Îles Vierges britanniques. En Afrique, la Tunisie est en première position et se place aussi très loin devant l’ensemble des pays arabes, avec 105 décès par million d’habitant·es contre 25 pour la Libye et 18 pour Oman, respectivement deuxième et troisième. 

1258 décès liés au Covid-19 ont été enregistrés en Tunisie sur cette période. Le pays a connu le 13ème plus grand nombre de décès au niveau mondial (l’Indonésie, le Brésil et la Russie sont en tête), le 2ème plus grand nombre de décès en Afrique, après l’Afrique du Sud et se place en tête des pays arabes, devant l’Irak avec 447 décès et le Maroc qui en a enregistré 244.

Beaucoup de décès, très peu de tests

Ce graphique montre la position de la Tunisie par rapport aux autres pays (classement mondial, arabe et africain) concernant le nombre de tests effectués depuis le début de la pandémie par rapport au nombre d'habitant·es. Source : Worldometers et le ministère de la Santé tunisien. 

Alors qu'elle se situe dans la première partie du tableau mondial du nombre de décès, la Tunisie est à la traîne, par rapport à une grande majorité de pays, en termes de nombre de tests par habitant·es. Moins de 200.000 tests par million d'habitant·es ont été effectués depuis le début de l'épidémie alors que le Danemark en a effectué plus de 13 millions (soit plus de 13 tests par habitant·e).

La politique de dépistage limitée de la Tunisie peut avoir plusieurs effets négatifs sur le nombre de décès déclarés mais aussi sur le nombre de décès réels liés au Covid-19.

Contrairement à des pays comme l'Australie où le dépistage précoce sert à prendre des mesures préventives contre la propagation non contrôlée du virus (plus de 25 millions de tests pour quelque 34.000 cas déclarés et moins de 1000 décès), la Tunisie n'a pas réussi à contrôler l'épidémie après la réouverture de ses frontières fin juin 2020 et plus d'un quart des personnes testées en moyenne s'avèrent positives. Seulement 2,3 millions de tests ont ainsi été effectués pour près de 600.000 cas détectés. 

La politique de dépistage massive préconisée entre autres par l'Organisation mondiale de la Santé n'est toujours pas à l'ordre du jour. Celle-ci est censée détecter les cas positifs, y compris asymptotiques, les isoler et pouvoir tracer les cas contacts pour limiter les contaminations et donc les cas potentiellement graves. En permettant une telle propagation, la Tunisie a connu une augmentation très rapide du nombre de décès depuis plusieurs mois. 

Le nombre limité de tests peut aussi avoir un impact sur l'écart entre le nombre de décès détectés et le nombre de décès réels dans un pays donné. En effet, moins il y a de tests effectués, plus il est probable que des décès liés au Covid-19 ne soient pas enregistrés comme tels.

À ce sujet, Fayçal Ben Salah, Directeur général de la Santé, avait déjà affirmé à la TAP que 4000 décès liés au Covid-19 n'avaient pas encore été comptabilisés au 15 juillet.

Il avait également indiqué que quelque 4,5 millions de Tunisien·nes auraient déjà été contaminé·es, sans donner de détails sur la manière avec laquelle ces chiffres ont été collectés et consolidés.

Des hôpitaux saturés

Ce graphique montre le nombre de personnes hospitalisées en réanimation par rapport au nombre de lits de réanimation disponibles annoncés par le ministère de la Santé (dernière mise à jour : le 20 juillet 2021)

Le nombre élevé de décès peut également être expliqué par un système hospitalier qui se serait "effondré", selon les propos de Nissaf Ben Alaya, porte-parole du ministère de la Santé, dans un entretien accordé à Mosaïque FM début juillet.

Dans ce sens, Fawzi Mehdi, ancien ministre de la Santé, avait affirmé après son limogeage que les établissements hospitaliers disposaient d'un total de 540 lits de réanimation au 20 juillet, alors que 681 personnes étaient hospitalisées dans ces services le même jour. Depuis, le ministère de la Santé a cessé de communiquer ces chiffres. Avant d'être démis de ses fonctions, le ministre a également été critiqué pour la gestion du stock d'oxygène disponible. Le personnel de santé de plusieurs établissements hospitaliers avait mis en garde contre les risques imminents de pénurie qui pouvaient mettre en danger la vie des patient·es. 

De plus, au 16 juillet (date de la dernière mise à jour), les chiffres officiels faisaient état d'à peine plus de 21.000 patient·es pris en charge depuis le début de l'épidémie, alors même que plus de 17.000 décès cumulés ont été enregistrés le même jour.

Ces chiffres peuvent être révélateurs soit de l'inefficacité des soins pour les cas graves ayant nécessité une hospitalisation, soit d'une absence d'hospitalisation ou d'accès aux soins pour un nombre relativement élevé de victimes décédées du Covid-19. Dans les deux cas, le système de santé tunisien a montré ses limites.

Le pic est passé... une nouvelle vague à l'automne ?

Ce graphique montre le décalage constaté dans le temps entre le nombre de cas détectés et le nombre de décès enregistrés. Généralement, le pic enregistré du nombre de décès (trait rouge) intervient plus de 10 jours après le pic enregistré du nombre de cas (trait bleu). La durée réelle de ce décalage peut être faussée par le nombre limité de tests effectués qui ne rend pas compte du nombre réel de cas. 

Sur la moyenne hebdomadaire du nombre de cas détectés, le pic pour cette vague estivale meurtrière a été enregistré le 12 juillet dernier. Le pic du nombre de décès serait ainsi survenu plus de deux semaines après, à la fin du mois de juillet (toujours selon une moyenne hebdomadaire).

Depuis, la présidence de la République a annoncé l'allègement de certaines mesures (couvre-feu à 22h au lieu de 20h, cafés et restaurants pouvant servir jusqu'à 19h, etc.). Mais selon les données collectées depuis plus d'un an et l'analyse de l'allure de la courbe des décès liés au Covid-19, la baisse pourrait être limitée et une cinquième vague serait à prévoir à l'automne...

Le modèle prédictif présenté dans ce graphique a été calculé grâce à l'outil open source "Facebook Prophet" qui permet la prévision de données temporelles basée sur un "modèle additif". Les données décomposées de cette série (ici l'évolution de la courbe des décès enregistrés depuis près d'un an) permet de prévoir (en l'absence de nouvelles variables à même d'inverser la tendance) l'allure de la courbe de décès dans les prochains mois, selon des projections hautes, moyennes et basses. 

Si le pic estival est passé, il pourrait être de courte durée. L'analyse de l'évolution de la courbe des décès depuis près d'un an, avec un modèle prédictif basé sur ces données temporelles, permet de projeter l'allure de cette courbe pour les mois à venir. Selon ce modèle, le nombre de décès quotidiens à prévoir ne baisserait que très légèrement en août, avant de repartir à la hausse à partir du mois de septembre. Au moins 200 décès quotidiens, selon une projection basse, pourraient ainsi survenir entre les mois d'octobre et novembre 2021. 

En plus de mesures restrictives, d'une politique massive de tests ou encore d'un système de santé capable de prendre en charge les malades, plusieurs pays ont réussi à limiter le nombre de décès grâce à une campagne de vaccination relativement efficace. 

Ainsi, depuis le début du mois de juin, le Royaume-Uni a connu une hausse spectaculaire du nombre de contaminations, après la propagation exponentielle du variant Delta (variant extrêmement contagieux détecté pour la première fois en Inde). Le nombre de cas enregistrés était passé d'environ 3000 à plus de 50.000 à la mi-juillet. Pour autant, avec plus de la moitié de la population entièrement vaccinée, le nombre de décès n'a pas suivi une évolution similaire (un pic de 131 décès enregistrés fin juillet). 

En Tunisie, moins de 10% de la population est entièrement vaccinée. En l'absence d'une accélération sensible du rythme de vaccination ou de mesures drastiques permettant d'endiguer la propagation du virus (avec des variants de plus en plus contagieux), le pays n'échapperait pas à cette cinquième vague.