Depuis le 21 juin, l’armée tunisienne est venue prêter main-forte aux soignant·es de Kairouan. Plusieurs tentes ont été installées. Elles jouxtent désormais l’hôpital de campagne dont elles sont séparées par des fils barbelés. Sur ce terrain situé en périphérie de la ville, un ballet d’ambulances amène de nouveaux patient·es, “c’est l’hôpital Ibn El-Jazzar qui nous envoie les cas les plus urgents”, affirme une militaire.
D’autres malades quittent la salle de sport. Lorsque leur état s’améliore, ils et elles laissent leur place aux cas les plus graves. Un homme âgé est accompagné dehors par deux médecins qui l’aident à monter dans la voiture de son fils. Même s’il n’est pas complètement rétabli, toujours dépendant d’une bouteille d’oxygène, il quitte l’unité Covid-19 en espérant pouvoir se remettre de la maladie à la maison. Alors que le besoin d’oxygène augmente ,plusieurs patient·es n’ayant pas trouvé de place à l’hôpital ont été contraints de louer au prix fort des concentrateurs pour se soigner chez eux, en dépensant jusqu’à 700 dinars par semaine.
À l'intérieur de la salle omnisports du Stade Hamda Laouani, plusieurs dizaines de lits ont été installés pour faire face à l'afflux de malades.
Des hôpitaux saturés
Devant l’unité Covid-19 de l’hôpital Ibn El-Jazzar trône un grand réservoir d’oxygène : chaque jour au moins 10.000 litres sont utilisés dans le gouvernorat, qui dispose d’une réserve de 30.000 litres d’oxygène renflouée en continu, selon la direction régionale de la Santé. Si l’hôpital Ibn El-Jazzar dispose de suffisamment de matériel, il manque de soignant·es : “il nous faut du personnel, nos médecins et infirmiers sont épuisés”, affirme son directeur.
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Selon Sofiene Romdhani, membre de la société civile locale, le problème principal de Kairouan est surtout le manque de places disponibles dans les hôpitaux, ainsi que du personnel sanitaire.
"En pleine crise, les conséquences de la disparité dans l’accès aux soins entre régions intérieures et villes de la côte sont sous les yeux de tout le monde”, explique-t-il.
Au début de la crise, en mars 2020, ni l’hôpital Ibn El-Jazzar, le mieux équipé de la région de Kairouan - qui compte 600.000 habitant·es - ni les neuf autres hôpitaux du gouvernorat n’accueillait de lit de réanimation comme l’explique Mohamed Ali Hamdi.
L'hôpital Ibn El-Jazzar dispose d'une réserve de 10.000 litres d'oxygène.
Puis l’hôpital a installé cinq places pour faire face à la première vague. Aujourd’hui la direction assure avoir créé quinze places supplémentaires, en affectant d’autres services comme pneumologie et cardiologie. Le gouvernorat est ainsi passé de cinq lits en réanimation à 40 selon les données fournies à Inkyfada par la Direction Régionale de la Santé de Kairouan. Mais cela ne suffit pas. L’arrivée de l’armée tunisienne a permis d’étoffer encore les capacités dédiées au Covid-19 dans le gouvernorat en ajoutant 12 lits de réanimation et 6 lits à oxygène.
À côté du Stade Hamda Laouani, l'armée tunisienne a installé des tentes qui abritent 16 lits afin d'accueillir des patient·es Covid-19.
Mais cela est loin d’être suffisant. Dès qu’un lit se libère, il est tout de suite occupé par un·e autre patient·e. “ Si la situation d'un malade s'améliore, on essaye de lui fournir un concentrateur d’oxygène pour qu’il rentre chez lui, on libère le lit qu'il occupe pour prendre en charge un autre malade”, explique Mohamed Ali Hamdi, le directeur de l’hôpital Ibn El-Jazzar.
Les capacités hospitalières dédiées au Covid-19 du gouvernorat sont centralisées dans la ville de Kairouan qui concentre la totalité des lits de réanimation et une grande majorité des lits à oxygène. Pour y accéder, les malades venant de région doivent parfois passer par plusieurs structures hospitalières avant d’atteindre l’hôpital régional Ibn El-Jazzar.
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Une explosion des cas
Ailleurs dans la ville, alors qu’il attend le résultat de son scanner en face de la clinique d’IRM, Majdi répète : “c’est une catastrophe”. À côté de lui, assis par terre, un homme de 90 ans garde son calme en regardant fixement devant lui, deux masques sur la bouche par peur d'être contagieux.
À l’entrée de la clinique, un groupe de femmes avec des enfants essaient de déchiffrer les résultats qu’elles ont enfin obtenus. “ Quand on vient faire un test PCR ou un scanner thoracique, c’est déjà trop tard. Nous sommes conscients que, très probablement, nous avons été contaminés. Parfois le test PCR est négatif, mais le scanner nous montre que nous avons le Covid-19”, explique Majdi, en faisant les cent pas.
“ À Kairouan, en ce moment, nous avons tous un proche positif au Covid-19. S’il n’est pas à l’hôpital, il est à la maison avec nous”.
Devant la clinique d'IRM, plusieurs personnes attendent les résultats de leur scanner, pour savoir s'ils et elles ont été contaminé•es.
Dans ce gouvernorat sinistré, où le taux de positivité des tests Covid-19 oscille autour des 50%, la pandémie semble ne pas vouloir s’arrêter malgré le discours rassurant de Mohamed Rouis, le directeur régional de la Santé. “À partir de la semaine prochaine, nous espérons observer une stabilisation de la courbe des infections au Covid-19”, explique-t-il à inkyfada, chiffres à la main.
En attendant, le gouvernorat a dépassé les 400 cas de contamination pour 100.000 habitant·es, un taux d’infection “très élevé” selon le ministère de la Santé. D’autant plus que dans la région, la campagne de vaccination piétine. Seule 5,8% de la population a reçu une première dose de vaccin selon le site Open Data de Evax. Dans le gouvernorat de Tunis, ce taux approche les 20%.
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Cette forte contamination fait craindre la présence du variant Delta, une mutation du virus qui se caractérise par une propagation particulièrement élevée. "Actuellement, le séquençage complet est en train d’être fait pour savoir de quoi il s’agit”, explique le directeur régional de la santé. Plusieurs souches prélevées sur des patient·es atteint·es du Covid-19 ont ainsi été envoyées à l’Institut Pasteur de Tunis. Selon Henda Triki, cheffe du service du laboratoire de virologie clinique de l’Institut, “les résultats sortiront dimanche”.
Derrière l'hôpital de campagne, des sacs poubelles remplis de déchets Covid-19 jonchent le sol.
“On doit bien manger, chacun s’arrange comme il peut”
Face à l’urgence, les autorités ont décrété un confinement général du 20 au 27 juin, tout comme cela a été fait à Béja, Siliana et Zaghouan. Mais les mesures peinent à être respectées. Quand on s’éloigne des cliniques et des hôpitaux de la ville, le sentiment de désespoir laisse place à la résignation.
Un confinement général d'une semaine a été déclarée dans la ville.
Interrogé sur l’évolution de la situation sanitaire, Hamza, désabusé, se contente de secouer la tête. Contraint de fermer son activité, ce commerçant en ferraille ne pointe pas du doigt celles et ceux qui continuent à travailler malgré le confinement : “on doit bien manger, chacun s’arrange comme il peut”, dit-il en s’éloignant du centre-ville en scooter, là où des dizaines de personnes sont en train de faire leurs courses sans respecter les mesures de distanciation sociale. Quelques ruelles plus loin - à l’abri du bruit des klaxons des taxis qui continuent de rouler, ainsi que les transports collectifs - Sofiene Romdhani rejoint ses propos.
“Sans autre alternative, même des personnes positives au Covid-19 continueront de sortir et aller travailler”, confirme-t-il.
Selon lui, il est impossible de faire respecter un confinement général sans aides sociales destinées aux plus vulnérables. D’autant que dans le gouvernorat de Kairouan, 34,9% de la population vit avec moins de 5 dinars par jour, le taux de pauvreté le plus élevé du pays.
“Il suffirait d’assurer aux familles une allocation de 200 dinars comme l’avait fait le gouvernement précédent, pour que les gens puissent vraiment rester chez eux”, estime-t-il. Sofiene aussi continue à se retrouver avec ses amis dans un café vide, chacun assis à une table différente pour tenter de garder quelques mètres de distance. Sa famille travaille à l’hôpital de la ville, alors ce militant achète régulièrement des tests rapides à la pharmacie pour contrôler son état de santé. “Je me suis résigné au fait que ça m’arrivera, tout simplement”.