Responsable approvisionnement, Insaf est l’intermédiaire entre l’entrepôt tunisien et les magasins. “C’est moi qui choisis les produits proposés à la vente et qui en détermine la quantité et le prix. On me contacte quand il manque des produits, quand ils ont des défauts, quand il faut ajuster les prix ou répondre à de grosses commandes”, explique-t-elle.
80 % de son travail s’effectue depuis le bureau et 20% sur le terrain, dans les magasins. Régulièrement, elle doit s’y rendre pour vérifier la présentation des produits et former les chef·fes de rayon, notamment avant les changements de saisons.
Entre les chargé·es d’approvisionnement des marques, les responsables des entrepôts et les chef·fes de rayon, Insaf côtoie régulièrement plus d’une centaine de personnes. “J’aime avoir beaucoup de collègues différents. Ici, on travaille toujours dans une bonne ambiance, même en réunion. Et la direction est à notre écoute. Pour moi qui aime dire ce que je pense, c’est très important !”, s’exclame-t-elle.
Sur le papier, Insaf travaille 48 heures par semaine. Dans les faits, c’est plutôt entre 52 et 58 heures qu’elle passe chaque semaine au bureau, du lundi au vendredi et parfois le samedi matin. “Personne n’attend ça de moi mais je suis cadre et je veux faire mon travail correctement. Si je cumule les heures supplémentaires, c’est pour mes collègues, pas pour mon patron !”, tient-elle à souligner.
En contrat CDI depuis trois ans, son salaire tourne autour de 1800 dinars par mois et varie selon les primes mensuelles. “Les primes dépendent du chiffre d’affaire des magasins et de nos propres indicateurs de performance. Dans le meilleur des cas, mon salaire peut grimper jusqu’à 2000 dinars“, indique-t-elle. Vu les nombreux appels qu’elle doit passer chaque jour, son employeur lui paye l’intégralité de son abonnement téléphonique et forfait internet.
Voici un aperçu de ses entrées et sorties d’argent mensuelles :
Insaf habite avec son père et son jeune frère dans un appartement de location à l’Aouina. Depuis le décès de sa mère, c’est elle qui subvient aux besoins du foyer. “On touche bien la pension de ma maman mais les 800 dinars mensuels permettent tout juste de couvrir le loyer les factures courantes”, précise-t-elle.
Tous les mois, Insaf donne environ 500 dinars à son père pour ses dépenses quotidiennes et au moins 200 dinars à son frère pour compléter ses revenus et financer une partie de ses cours du soir.
“Mon père est en incapacité de travailler et mon frère ne gagne que 700 dinars, alors je les aide”.
Elle aide également sa grand-mère maternelle à la hauteur de 60 dinars par mois. “C’est ce que ma mère avait l’habitude de faire… Maintenant qu’elle est partie, je prends la relève, c’est normal.”
Insaf s’occupe des courses pour toute la famille, grand-mère comprise. Pour les prendre en charge intégralement, elle s’est fixé un budget de 125 dinars par semaine. “Ça chiffre vite, si je ne fais pas attention. Alors je surveille les promotions et je compare les prix pour économiser au maximum. On ne mange presque jamais de viande par exemple, c’est trop cher”.
Par contre, elle se permet parfois quelques écarts, surtout quand elle a envie de gâter sa grand-mère. Pour lui faire des cadeaux, elle économise sur les courses. “J’aime lui offrir des vêtements, du parfum… En fait, tout ce que je ne peux plus offrir à ma mère, je l’offre à ma grand-mère… Et pour elle, je ne compte pas”, ajoute-t-elle.
Avant l’épidémie de Covid-19, Insaf allait au supermarché en sortant du travail. “Mais depuis que j’ai essayé la livraison à domicile pendant le confinement, je nous fais livrer toutes les courses. C’est nettement moins fatigant et je gagne un temps fou !”
Et du temps, Insaf en manque, notamment pour cuisiner. Pendant la semaine, elle déjeune systématiquement à l’extérieur et il n’est pas rare qu’après une longue journée de travail, elle dîne au restaurant avec quelques collègues. Pris au fast-food ou au restaurant, ses repas lui reviennent à environ 10 dinars par jour en moyenne.
Autre grosse dépense dans son budget : le transport. Si Insaf privilégie le covoiturage ou le vélo durant le week-end, en semaine, elle se déplace uniquement en taxi. Pour aller et revenir du travail, elle dépense environ 15 dinars par jour. “Des années durant, j’ai pris les transports en commun. J’ai subi les retards, la mauvaise organisation, sans parler des attouchements ! Je me suis jurée qu’à partir du premier jour où je gagnerais un salaire, je ne prendrais plus jamais les transports en commun !” Pour elle, hors de question de transiger là-dessus, même si le trajet en bus ne coûte qu’un dinar et lui reviendrait bien moins cher.
Par contre, côté vestimentaire, Insaf est devenue bien plus économe. “Avant, je m’achetais des vêtements toutes les semaines. Maintenant, je regarde d’abord ce que je porte vraiment. Je ne vais aux fripes qu’une seule fois par mois, pour me faire plaisir, et avec un budget d’environ 50 dinars”.
C’est plus rarement encore qu’Insaf se rend en salon de coiffure. “Une fois tous les six mois environ et ça me coûte dans les 90 dinars. Mais cette année, avec la pandémie, je n’y suis même pas encore allée !”, dit-elle en riant.
Enfin, pour évacuer le stress de la journée, Insaf fréquente une salle de sport dont l’abonnement lui revient à 40 dinars par mois. Elle aime également sortir avec ses ami·es et pratiquer des activités qui ne coûtent rien : baignades, randonnées, vélo, camping... Ce qu’elle ne dépense pas pour elle-même, Insaf le laisse à son frère, en plus des 200 dinars qu’elle lui donne déjà.
“En fin de mois, il est souvent dans le besoin, alors je lui donne entre 50 et 100 dinars. Je ne peux pas faire autrement, il n’a que moi après tout !”
Voici le détail de ses entrées et sorties d’argent mensuelles :
Zone grise
Depuis la mort de sa mère, c’est Insaf qui assure tout à la maison : le paiement des factures, les courses, le ménage, etc. “J’ai appris à mon père et à mon frère à s’occuper de leurs repas, de leur lessive, à faire le ménage dans leur chambre... Même si chacun fait pour soi, au quotidien il me reste encore pas mal de choses à gérer.”
À 33 ans, Insaf estime avoir un bon salaire. Mais vu ses charges familiales, elle n’arrive pas à épargner et se retrouve facilement dans une situation financière difficile.
“Il suffit que quelqu’un de la famille doive aller chez le médecin pour que mon budget explose, et cela arrive souvent”, déplore-t-elle.
Dans le meilleur des cas, son compte affiche zéro en fin de mois, mais cela arrive rarement. “Le mois de Ramadan est particulièrement coûteux. J’achète beaucoup de nourriture, je sors plus souvent et prends le taxi plus tard, ce qui me coûte plus cher”. Cette année, le confinement lui avait permis d’économiser 800 dinars qu’elle avait immédiatement déposés sur un compte épargne. “Mais, peu après, notre frigo est tombé en panne et il a fallu le remplacer”, soupire-t-elle.
Futur
Professionnellement, Insaf n’a pas de souci à se faire. Avec un poste clé comme le sien, elle ne risque pas de perdre son emploi. De plus, elle aime son travail et se sent valorisée dans l’entreprise.
Cependant, elle admet qu’elle ne vit pas comme elle le souhaiterait. En 2014, elle avait entamé les démarches pour émigrer au Canada mais le décès de sa mère a brisé son élan. “Depuis, je n’ai pas eu le courage de regarder mes projets en face. Je ne me vois pas me marier et avoir des enfants mais, quand j’en parle, ça choque les gens. J’en ai assez de devoir me justifier”, s’exclame-t-elle. “J’aimerais partir, juste pour pouvoir vivre librement, tout simplement.”