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Alia, 24 ans, agente d’exploitation dans une société française de transport, 600 dinars par mois


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06 Novembre 2019 |
Alia* a 24 ans. Depuis un an, elle travaille comme “agente d’exploitation multimodale” pour l’entreprise française Bolloré Transports & Logistics, à Tunis. Elle gagne 600 dinars par mois. Même si elle arrive à s’en sortir, Alia limite beaucoup ses dépenses personnelles et se contente du minimum.

Alia est originaire de la région de Siliana, dans le Nord-est de la Tunisie. Après son bac, elle part étudier la finance et le commerce international à Sousse pendant cinq ans. Diplômée en 2017, elle commence immédiatement à chercher un emploi. Ce n’est qu’après des mois de recherche qu’elle finit par trouver un travail d’agente au sein de la société française Bolloré Transports & Logistics. Cette entreprise supervise le transport maritime de cargaisons, notamment de la France vers l’Afrique de l’Ouest. 

Alia passe ses journées derrière son ordinateur, à vérifier et valider les “bordereaux électroniques” nécessaires au transport des cargaisons qui lui sont envoyés par des employé·es en France. Elle vérifie que tout est en règle avec les partenaires en Afrique de l’Ouest, puis renvoie les documents à ses homologues français·es.

Elle a mis six mois pour trouver ce travail dont le salaire est de 600 dinars. Malgré tout, Alia s’estime assez chanceuse car cela lui permet de “vivre correctement”, même si elle trouve qu’elle n’est pas suffisamment payée pour son niveau d’études.

“Dès l’entretien, ils m’ont dit qu’ils n’avaient pas besoin de quelqu’un avec un master et qu’une licence suffisait”, raconte-t-elle. Elle aimerait trouver un autre travail, plus stimulant et mieux rémunéré, mais n’a aucune autre piste d’emploi pour l’instant.

Malgré ses faibles revenus, Alia parvient à rentrer dans ses frais, et même à économiser en moyenne une cinquantaine de dinars par mois, en évitant certaines dépenses.

Voici un résumé de ces entrées et sorties d’argent mensuelles :

Pour ce travail, Alia a quitté sa famille à Siliana et s’est installée à Tunis. Elle travaille du lundi au vendredi et un samedi matin sur deux. Pour pouvoir faire des économies, elle vit chez son oncle et sa tante, en banlieue de la capitale.

"Les loyer sont bien trop chers à Tunis, c’est minimum 200 dinars et je n’ai pas les moyens !”, s’exclame-t-elle. 

Alia travaille 45h par semaine et manque de temps pour faire ses courses. Pour cela, elle compte sur sa tante qui va au marché et dans les magasins environ une fois par semaine.

À chaque fois, Alia lui donne une trentaine de dinars pour contribuer aux dépenses du foyer. “J’essaie aussi d’acheter des petites choses pour la maison, quand je vois qu’un produit manque ou si je passe dans un magasin et qu’il y a une promotion intéressante...”, ajoute-t-elle.

Pour aller et revenir du travail, Alia prend un bus dont la station est à une vingtaine de minutes de chez elle. Elle favorise ce moyen de transport car l’aller-retour ne lui coûte qu’un dinar par jour. Mais quand elle est en retard, fatiguée ou que le bus n’arrive pas, il lui arrive de prendre un taxi. Le trajet jusqu’à l’entreprise lui coûte alors en moyenne 5 dinars. En tout, elle dépense environ 20 dinars par semaine pour se rendre au travail. 

Les trajets pour retourner à Siliana s’ajoutent à ces dépenses. Alia essaie d’aller voir sa famille au moins un weekend par mois, quand ce n’est pas deux ou parfois trois. Entre le taxi pour aller à la gare de Bab Saâdoun, le louage, puis le trajet jusqu’à son village, chaque aller-retour lui coûte en moyenne 25 dinars.

Si elle en a les moyens, Alia profite de ces trajets pour laisser des cadeaux et de l’argent à ses parents. Son père, agriculteur, a des revenus aléatoires tandis que sa mère est femme au foyer. Chaque début de mois, Alia essaie de mettre environ 50 dinars de côté pour ses parents et plus si besoin.

“Il y a deux mois, ma mère a été opérée et elle a besoin de médicaments, donc en ce moment, je lui donne plutôt 100 dinars par mois”, raconte-t-elle.

À côté de cela, Alia fait peu d’achats personnels. Elle utilise au maximum la connexion wifi pour ne pas acheter trop de recharges téléphoniques. Une à deux fois par mois, elle se rend aux fripes pour s’acheter quelques vêtements. Elle se contente du nécessaire en se fixant un maximum de cinquante dinars.

Pour le déjeuner, elle essaie toujours d’amener ses repas avec elle au travail pour ne pas acheter de la nourriture à l’extérieur. Elle se permet juste de prendre le petit déjeuner dehors - café et croissant - pour 2 dinars.

Parfois, il lui arrive de sortir avec son fiancé qui travaille également à Tunis. Ayant un meilleur salaire, c’est généralement lui qui paye le restaurant ou le café. Alia estime dépenser en moyenne 30 dinars pour ces sorties, environ deux fois par mois.

Voici le détail de ses dépenses et revenus mensuel·les :

La zone grise

Alia a du mal à définir clairement ses dépenses mensuelles. “Quand j’arrive à la fin du mois, je me demande toujours où est passé mon argent alors que j’ai l’impression de ne rien dépenser !”, s’exclame-t-elle. 

Au quotidien, elle a le sentiment de mal anticiper les dépenses imprévues ou ponctuelles, comme les rendez-vous médicaux, l’achat de médicaments ou encore de produits cosmétiques. D’après elle, ce sont surtout ces imprévus qui l’empêchent de mettre plus de côté.

Même si elle épargne peu, Alia est soulagée de ne pas être un poids financier pour ses parents et de pouvoir être indépendante. Elle aimerait simplement avoir un salaire qui corresponde à son niveau d’études. 

“C’est très frustrant d’avoir étudié pendant 5 ans et de n’être payée que 600 dinars. Mais je sais que c’est comme ça que les choses se passent et que je n’ai pas le choix”.  

Futur

Depuis septembre, Alia attend que son entreprise lui donne une augmentation. Comme elle travaille depuis un an pour cette société, son contrat est censé devenir un CDI avec une hausse de salaire de 100 dinars. Mais pour l’instant, rien n’a été fait et son augmentation est sans cesse reportée. 

Dans tous les cas, cela ne lui permettra pas d’épargner suffisamment pour son mariage prévu en 2021. Son fiancé a également du mal à mettre de côté car, depuis le décès de son père, il a sa mère et ses soeurs à charge. “On va être obligé de faire un emprunt”, estime-t-elle.

Malgré tout, elle reste optimiste. Après son mariage, elle voudrait pouvoir lancer un projet avec son futur mari.Depuis quelques années déjà, il est réparateur d’électroménager dans une société. “Si on monte notre entreprise ensemble, je pourrais m’occuper de tout ce qui concerne la comptabilité ou l'administration”

Motivée par ce projet, elle entend contracter un emprunt auprès d’un institut de microcrédit, mais cela ne l’inquiète pas plus que ça. “Je pense que monter mon propre projet, c’est ce qui me satisfera le plus”, conclut-elle.