Chronologie d’une catastrophe annoncée
10 juillet 1992
Un règlement délaissé
Le règlement général de sécurité S10 spécifique aux passages à niveau indique les mesures à prendre dans le cas où un passage à niveau est dérangé, notamment lorsque les barrières ne sont pas fonctionnelles. La mise en place d’un gardiennage y est indiquée.
“Les gares encadrantes doivent prendre les mesures pour arrêter et retenir les trains jusqu’à réception de l’avis du rétablissement du fonctionnement normal de l’installation ou de la reprise du gardiennage provisoire”.
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20 février 2015
Des gardiens jugés inutiles
Habib Touj, directeur de l’audit et du contrôle au sein de la SNCFT adresse une correspondance au PDG. Dans cette lettre, il fait état d’une visite de terrain effectuée le 12 février avec le “président de la cellule de gardiennage” dans le gouvernorat de Nabeul. Il indique y avoir observé que les gardiens postés au niveau de certains passages n’avaient aucune utilité et passaient leurs journées “assis ou allongés”.
Arguant que d’autres passages non gardés n’avaient enregistré aucun accident, il recommande la suppression des postes de gardiennage.
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6 janvier 2016
Une consigne sans gardien
Une première version d’une consigne visant à résumer le règlement S10 est élaborée. L’article 8 de cette version prévoit l’affectation d’un gardien “dans les plus brefs délais” en cas de dérangement d’un passage à niveau à signalisation automatique. Ce dernier “ne doit pas quitter son poste sans être remplacé”. Mais cette proposition n’a jamais abouti.
Dans la version signée de cette même consigne, la disposition de l’article 8 a disparu et le gardien n’est plus mentionné. Aucune indication n’est alors donnée dans le cas où le dérangement du passage à niveau perdure.
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22 juillet 2016
La panne : ce que la SNCFT tente de cacher
Selon un fichier interne de la SNCFT, le passage à niveau de Jbel Jloud était dérangé depuis 159 jours avant l’accident. Le communiqué de la SNCFT faisait état d’un dérangement qui aurait duré une vingtaine de jours. Cette version officielle a été vivement contestée par de nombreux·ses témoins qui empruntent ce train ou traversent ce passage régulièrement.
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28 décembre 2016
Le drame
À 6h15, un train en provenance de Tunis percute un bus au niveau du passage de Jbel Jloud. Le bilan officiel fait état de 5 mort·es et 54 blessé·es.
Le chef du gouvernement Youssef Chahed charge le ministre du Transport de se rendre sur les lieux de l’accident et d’ouvrir une enquête pour déterminer les causes de l’accident. Cette enquête doit être rendue publique dans un délai d’une semaine. Le même jour, la PDG Sabiha Derbel est limogée.
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30 décembre 2016
Arrestation et nouvelle PDG
Un mandat de dépôt est émis à l’encontre du chauffeur du bus Hafedh Jnene. Le même jour, Sarra Rejeb est nommée PDG de la SNCFT en remplacement de Sabiha Derbel. Ex-PDG de Tunisair, elle avait été accusée de corruption et de népotisme. Des accusations qu’elle a vivement contestées.
En 2016, le rapport d’activité annuel de la SNCFT présente un bilan total de 66 tué·es et 158 blessé·es. Le rapport fait également état de 112 déraillements (dont 5 trains voyageurs), 87 tamponnements, 47 heurts de personnes ou encore 24 chutes de personnes.
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4 janvier 2017
Le ministère du Transport minimise la responsabilité de la SNCFT
Dans son communiqué publié une semaine après l’accident, le ministère du Transport impute au chauffeur de bus la responsabilité directe de l’accident. S’il convient de quelques insuffisances par rapport aux “mesures exceptionnelles” prises par la SNCFT, les résultats de cette “enquête” comportent plusieurs failles. Le ministère affirme en effet que la panne du passage à niveau est due aux récentes inondations et s’est produite une vingtaine de jours avant l’accident. En vérité, le passage est dérangé depuis le mois de juillet 2016. La SNCFT aurait mis en poste un gardien qui ne commencerait son travail qu’à 7h du matin, alors que l’accident s’est produit à 6h15. Mais la présence même du gardien aux horaires annoncés a été contestée. Le communiqué n’indique pas non plus que le conducteur de train roulait à 24km/h, soit 9km/h de plus que la vitesse qui avait été préconisée dans une note interne. Enfin, l’absence totale de visibilité du conducteur et de son aide-conducteur au niveau de ce passage, en partie due au fait que la locomotive était mal tournée, n’a jamais été mentionnée.
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8 janvier 2017
Une manifestation de soutien au chauffeur de bus
À Béni Khiar, dans le gouvernorat de Nabeul, un sit-in est organisé pour protester contre l’arrestation du chauffeur du bus impliqué dans l’accident. Des représentant·es politiques (majorité et opposition) et de la société civile locale contestent les résultats de l’enquête qu’ils jugent orientée et de nature à dédouaner les responsabilités réelles de la SNCFT. Ils et elles demandent la mise en place d’une commission d’enquête indépendante et, le cas échéant, la démission du ministre du Transport.
15 février 2017
Un responsable de la SNCFT parmi les accusés
À la clôture de l’enquête préliminaire, trois personnes sont mises en examen. Le conducteur du bus et le conducteur du train sont entre autres accusés d’homicide involontaire sur la base du code de la route. Mais ils ne sont pas seuls. Nabil Bouali, directeur de zone, responsable de la sécurité du secteur de Jbel Jloud au moment de l’accident, est également mis en cause, malgré ses tentatives de nier tout manquement lié à la sécurisation du passage à niveau défectueux. Il risque notamment deux ans d'emprisonnement pour “homicide involontaire, commis ou causé par maladresse, imprudence, négligence, inattention ou inobservation des règlements”, sur la base du Code pénal.
7 mars 2017
Libération conditionnelle du chauffeur de bus
Environ deux mois après son arrestation, le chauffeur de bus bénéficie finalement d’une libération conditionnelle. L’instruction est toujours en cours.
17 octobre 2017
Un troisième PDG en moins d'un an
En septembre, Radhouane Ayara remplace Anis Ghedira à la tête du ministère du Transport. quelques semaines plus tard il décide de nommer Anis Oueslati à la tête de la Société nationale de chemins de fer, remplaçant Sarra Rejeb qui n’est restée en poste que quelques mois.
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En 2017, le rapport d’activité annuel de la SNCFT présente un bilan total de 52 tué·es et 121 blessé·es. Le rapport fait état de 91 déraillements (dont 8 trains voyageurs), 68 tamponnements, 54 heurts de personnes ou encore 18 chutes de personnes.
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18 octobre 2018
Une nouvelle panne
De fortes pluies provoquent une fois de plus une panne au niveau du passage de Jbel Jloud. Cette fois, un gardien est présent.
18 Janvier 2019
Fraj Ali, de l’enquête du ministère à la tête de la SNCFT
Fraj Ali était le directeur général des transports terrestres au moment de l’accident de Jbel Jloud. Invité sur les plateaux de télévision, il avait minimisé la responsabilité de la SNCFT dans le drame, reprenant les contre-vérités qui allaient être ensuite communiquées par son ministère. Il a notamment affirmé que le passage à niveau était en panne depuis seulement 20 jours, à cause des inondations, ce qui a été contredit. Il a aussi imputé la responsabilité des accidents à l’inconscience et aux actes de malveillance des citoyen·nes. En janvier 2019, il est nommé PDG de la SNCFT.
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Crédits
épisode 1
Réalisation :
erige sehiri
Journaliste :
Kais Zriba
image :
amine aissa
ahmed thabet
son :
aymen touihri
musique :
omar aloulou
Édition :
Monia ben hamadi
malek khadhraoui
assistant montage :
samy chaffaï
post-production :
time studio
mohamed mathlouthi
mixage :
oussama ayachi
maquette train :
issameddine fitati
édition sous-titres :
haïfa mzalouat
aymen touihri
collaborations
chronologie :
kais zriba
erige sehiri
monia ben hamadi
marwen ben mustapha
haïfa mzalouat
Design :
Malek khadhraoui
Développement :
Aymen jerbi