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Kaouther et Lotfi, 2500 dinars par mois et l’égalité dans les dépenses


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28 Mars 2018 |
Kaouther* a 58 ans et vit dans le gouvernorat de Jendouba. À deux ans de la retraite, cette infirmière au service de pharmacie peine à boucler ses fins de mois. Avec son mari Lotfi* et sa mère, elle soutient financièrement ses quatre enfants pour qu’ils et elles puissent faire des études. Plongée dans leurs porte-monnaie.
Kaouther a toujours travaillé dans les hôpitaux. Avant de venir travailler au département de la pharmacie il y a 10 ans, elle était infirmière dans le service d’ORL (Oto-rhino-laryngologie). Désormais, elle assure la bonne distribution des médicaments dans les différents services du centre hospitalier.

Pour cela, elle travaille six jours sur sept, le matin ou le soir et gagne 1200 dinars par mois. Son mari Lotfi* est instituteur. Elle ne connaît pas son salaire exact mais il serait un peu mieux rémunéré qu’elle, “1300 dinars, quelque chose comme ça”. Ces deux salaires leurs permettent d’assurer les dépenses du foyer.

Le couple est parent de quatres enfants. Deux sont passionné·es de musique depuis leur enfance et poursuivent leur passion dans le cadre de leurs études universitaires, après l’avoir pratiquée pendant les week-ends. L'aîné, âgé de 27 ans, termine sa deuxième année de master en musique à Tunis, tandis que sa soeur de 23 ans étudie en première année du même master à Sousse.

L’autre fille du couple a 25 ans et vit avec son grand frère à Tunis. Elle vient de terminer sa formation d’ingénieure et cherche désormais du travail. Un seul enfant vit encore dans la maison familiale de Jendouba. À 17 ans, il prépare un bac informatique au lycée.

Voici le résumé des entrées et sorties d’argent du couple:

Pour acheter leur maison et l’aménager, les parents ont dû souscrire à différents prêts : 20.000 dinars en 2001, puis, cinq ans plus tard, deux nouveaux emprunts de la même somme. Désormais, les parents remboursent chacun·e 10.000 dinars de leur troisième prêt, réparti sur six ans. Kaouther et Lotfi remboursent ainsi 450 dinars par mois chacun·e jusqu’en 2019, date de départ à la retraite de l’infirmière. Cette somme a servi à continuer les travaux d’aménagement dans la maison. “Mais maintenant c’est fini”, affirme-t-elle. Il reste seulement quelques travaux à faire dans leur logement, que ses enfants entreprendront peut-être plus tard.

Pour ce qui est des courses, le couple se divise les tâches. Elle débourse 150 dinars par mois chez son épicier et 50 dinars pour l’entretien de leur maison, tandis que son mari s’occupe d’acheter les produits frais comme les légumes et la viande pour environ 100 dinars par mois.

Les factures sont payées par les deux parents. Pour l’eau, le couple a payé 20 dinars pour les trois derniers mois et 70 dinars d’électricité sur la dernière facture. N’ayant pas de gaz de ville, la famille achète trois bouteilles de gaz par mois, comprises dans les courses, “pour le chauffage, se laver et préparer les repas”, détaille-t-elle.

Kaouther dépense 34 dinars par mois pour son forfait de téléphone. N’ayant pas internet à la maison, elle y a accès seulement depuis son portable. La mère de famille ne connaît pas le détail des dépenses de son mari, mais environ 150 dinars de son salaire sont consacrés à son forfait téléphonique, ses déplacements, ses repas à l’extérieur et à l’achat de ses cigarettes.

Les parents font appel à une femme de ménage pour entretenir leur maison. Kaouther a eu beaucoup de problèmes de santé et ne peut plus assurer ces corvées seule. Hypertension artérielle, cancer du sein, glaucome… “Et maintenant j’ai un kyste au sein”, déplore la mère de famille, qui devra se faire opérer prochainement.

Sans réellement chiffrer, elle est consciente d’avoir beaucoup dépensé par le passé pour les opérations et soins médicaux. Heureusement pour elle, l’hypertension et le glaucome sont sur la liste des affections prises en charge intégralement (APCI). Elle n’a rien à débourser pour le traitement de ces pathologies. Pour le reste, elle paye le tiers payant avant que la CNAM ne la rembourse.

La famille dépense peu pour les vêtements. “Ce mois-ci j’ai acheté un manteau pour 20 dinars”, explique Kaouther. Lotfi et ses enfants font de même, de temps en temps ils et elles se payent un vêtement, toujours aux fripes. Pour ce qui est des repas ou cafés, la mère de famille prend le temps d’aller deux à trois fois par semaine à la buvette de l'hôpital pour passer un peu de temps avec ses collègues hors de son service.

Ce sont les enfants qui génèrent le plus de dépenses pour le couple. Kaouther donne 400 dinars par mois à son fils aîné qui vit à Tunis. “200 dinars pour le loyer et 200 dinars pour le reste”, commente l’infirmière au service de pharmacie. Lotfi débourse chaque mois la même somme pour leur fille ingénieure. Leur autre fille, qui vit à Sousse, reçoit 200 dinars par mois de la part de son père. “L’été, elle gagne un peu d'argent grâce à sa musique”, explique Kaouther, “Elle nous aide pour le loyer.” La mère donne également un peu d’argent à leur dernier fils tous les mois, pour qu’il puisse s’acheter des sandwichs le midi.

La famille part peu en vacances. L’été dernier, Kaouther est allée rejoindre sa fille à Sousse, emmenant avec elle sa mère et son plus jeune fils. Elle a profité de ses vacances pour aider sa fille dans ses tâches quotidiennes, car cette dernière joue de la musique le soir. L’an dernier, c’est elle qui a payé le mouton de la famille pour l’Aïd.

Voici le détail de leurs entrées et sorties d’argent :

Zone grise

La mère de Kaouther est veuve depuis plusieurs années. Elle bénéficie d’un mandat laissé par son mari, un ancien militaire. Grâce à cet argent, elle aide ses petits-enfants, pour leur acheter des vêtements par exemple. Sans elle, la famille n’arriverait pas à boucler les fins de mois. La grand-mère donne un peu plus d’argent à sa petite-fille aînée, l’ingénieure vivant à Tunis, “parce que c’est la plus gâtée”.

En plus de cela, la jeune fille bénéficie de cours du soir d’anglais et français à la Bourguiba School pour améliorer son niveau, offerts par sa grand-mère. Grâce à cela, elle espère trouver un travail rapidement, ayant terminé ses études cette année. Leur seconde fille les aide à son niveau. Travaillant l’été, elle est un peu plus indépendante grâce à l’argent qu’elle gagne.

Futur

Kaouther ne voit pas son avenir à Jendouba. Proche de la retraite, elle compte partir s’installer à Tunis rapidement, avec son mari et leur dernier fils pour rejoindre leurs deux aîné·es. “Je pense surtout à mes enfants”, commente-elle. Le couple envisage de mettre leur maison de Jendouba en location, ce qui leur permettrait de gagner un peu d’argent en plus de leurs salaires.

Deux solutions s’offrent à elle. Soit Kaouther se fait opérer dans quelques temps et bénéficie de son congés longue maladie jusqu’à sa retraite, soit elle postule pour travailler dans un hôpital de Tunis. Lotfi, qui a deux ans de moins qu'elle, devrait dans tous les cas trouver un nouvel emploi à Tunis. En habitant avec leurs enfants dans la capitale, la mère de famille compte les aider à chercher du travail et préparer leur avenir.