Hassen Bouallegue vit avec son épouse, au-dessus de la maison familiale, non loin du stade de foot de la Cité Ettadhamen-Mnihla. Ses parents et ses frères vivent tous sous le même toit, à des étages différents. Tout cela, ils ne le doivent qu’à une chose: le tri des poubelles.
Métier de famille
Même si les temps sont parfois durs, Hassen garde toujours le sourire. C’est dès l’âge de 10 ans qu’il a commencé à collecter des recyclables. “Mon père et mes oncles étaient barbécha avant l’indépendance”, raconte-t-il.
" Depuis tout petit (…) je sortais avec mon père pendant les vacances collecter des déchets. On faisait le tour des maisons, on allait après à Souk El Asr, Mallassine, Cité Fattouma, au Bardo…"
Il abandonne définitivement sa scolarité à l’âge de 15 ans, pour se consacrer à ce métier. “Nos conditions nous ont obligés à abandonner l’école. Les études demandent beaucoup de choses, notamment des moyens”, commente-t-il.
“J’ai élevé mes enfants toute seule. Leur père travaillait tout le temps”. M’barka, la mère de Hassen, réagit timidement et tient à préciser qu’avec leur situation financière, il était difficile de subvenir aux besoins d’une famille nombreuse.
" Nous sommes des gens pauvres, on vit de la poubelle".
“Mon père était très fatigué, il sillonnait la ville sous le soleil tout le temps, à un moment, il n’en pouvait plus et ne pouvait plus nous nourrir. Du coup, on a dû travailler avec lui pour l’aider”, poursuit Hassen. “C’est notre destin d’être des barbécha.”
Les deux frères de Hassen sont eux aussi barbécha. Sa mère et son épouse les aident de temps en temps dans leur travail, pour les soulager.
" C’est grâce à la poubelle que j’ai pu avoir une maison, grâce à la poubelle que j’ai pu me marier, grâce aux poubelles que je peux vivre".
Évolution de carrière
Il y a six ans, Hassen est devenu collecteur. “ Ce sont les barbécha qui ramènent le plastique et le reste. Nous on prend la ‘marchandise’ de chez eux, on la trie et on l’envoie aux usines” explique-t-il.
Le collecteur reçoit ainsi les déchets recyclables pour ensuite les vendre à six usines. “ Il y a l’usine du plastique, l’usine du plastique épais, l’usine des bouteilles en plastique…” explique Hassen.
Cela n’a pas été facile d’évoluer dans sa carrière. “ Il faut beaucoup d’expérience. C’est notre père qui nous a appris le métier, il nous a appris à négocier, à parler avec les clients…” explique Hassen.
Lorsqu’il était barbéch, il gagnait entre 500 et 600 dinars par mois. “10, 15, 20 dinars par jour, ça dépend”. Depuis qu’il est devenu collecteur, son salaire varie entre 1200 et 1500 dinars par mois, mais ce n’est pas stable.
“Nous on travaille avec tous les types de déchets: plastique, aluminium, plastique épais”, explique-t-il. “Les revenus varient selon ça et la quantité. Le prix d’une chaise en plastique est différent du prix d’un cageot, de celui des bouteilles en plastique ou de carton”.
Le local de collecte des barbécha est à seulement quelques mètres de sa maison, à côté d’un lycée et de jeux pour enfants. Entre les deux, une marée de sacs poubelles et de déchets viennent s’entasser, déposés là par les habitants du quartier.
Les sacs sont éventrés pour récupérer les produits vendables. Le reste, essentiellement des déchets ménagers, du papier et des sacs plastiques, s’entasse sans que personne ne les ramasse.
En plus de son métier, Hassen s’occupe bénévolement de la trésorerie de l’association “Barbécha de Tunisie”, qui compte 70 adhérents.“C’est une association de protection de l’environnement et recyclage”, explique-t-il.
L’association sert essentiellement de relais de communication entre l’ensemble des barbécha. “Nous avons la liste des barbécha, nous connaissons ceux qui le sont vraiment et ceux qui ne le sont pas”, explique le trésorier. “Il y a des gens qui ont un autre boulot, ils sont salariés et ils prennent des congés de 10-15 jours pour collecter des déchets. Alors que nous c’est notre métier, on n’a pas d’autres sources de revenus.”
Les “barbécha de Tunisie” ont aussi plusieurs projets en cours, notamment la confection de sacs à main et de chapeaux à partir de sacs en plastiques recyclés ou encore des vaccins. En plus de cela, cette association fournit des tenues spéciales à chacun de ses membres.
“On a tellement d’expérience, s’il y a une bouteille dans les parages on peut la sentir”, s’esclaffe Hassen, avant de redevenir sérieux. “On est venu nous dire qu’on avait besoin d’être plus structurés, qu’on allait nous aider. Mais à part (les projets en cours), il n’y a rien. Aucun ministère ne nous voit. (…) on nous dit de ‘revenir demain’”.
“Il y a même de vieilles personnes, parfois de vieilles dames qui devraient être aidées en priorité par le ministère des Affaires Sociales… on les voit avec leur brouette, fatiguées, et si elles ne trouvent rien à ramasser, elles n’ont pas de quoi manger”.
Vie de famille
Hassen a fait construire un étage au dessus de chez ses parents. C’est là qu’il habite avec son épouse. “Avant je louais un appartement à 300 dinars par mois. Je travaillais ici et je me suis dit: les 300 dinars que je mets dans le loyer, il vaut mieux que je les utilise pour construire une maison, donc j’ai construit un étage au dessus notre maison”, explique-t-il.
Son frère, qui habite avec lui, l’aide entre son travail et son rôle dans l’association. “Mon frère travaille avec moi. Quand j’ai une réunion ou des engagements avec l’association, je le laisse dans le local du groupement. Ma mère et ma femme m’aident aussi, je leur ai appris le métier” commente le collecteur.
Quand Hassen imagine son avenir, il voit grand. “J’ai de gros rêves. Je dis toujours que les barbécha, c’est tout un empire. On est plus de 70.000. Je rêve de faire une success story comme aux États-Unis: passer de la collecte de déchets à un millionnaire”, imagine Hassen. “Mais ça ça n’existe pas en Tunisie, seulement aux Etats-Unis!”.