Un jeune homme de 22 ans, Marwen, est condamné à un an de prison sur la base de l’article 230.
Le président de la République, Béji Caïd Essebsi déclare à la télévision égyptienne que “l’article 230 ne sera jamais abrogé”, désavouant le ministre de la Justice Mohamed Salah Ben Aïssa qui avait appelé à sa dépénalisation une semaine auparavant. Rached Ghannouchi, leader du parti islamiste Ennahda, approuve la prise de position du président.
Six étudiants sont condamnés à 3 ans de prison pour pratiques homosexuelles et sont interdits de séjour à Kairouan.
Marwen et les six étudiants de Kairouan sont remis en liberté, après une réduction de leurs peines en appel.
L’association Shams est suspendue pour 30 jours à la suite d’une plainte du gouvernement qui la déclare illégale. Cette suspension intervient un mois après une déclaration virulente du député Ennahda Abdellatif Mekki, qui appelle à la dissolution de Shams.
Shams gagne son procès et est autorisée à poursuivre ses activités. Son vice-président, Ahmed Ben Amor a “salué la justice, qui a su prendre une décision neutre et juste”.
Intervention homophobe de l’acteur Ahmed Landolsi sur “Klem Ennes”, qui qualifie l’homosexualité de “maladie”.
Ahmed Ben Amor est invité à débattre sur le même plateau, pour réagir aux propos de l’acteur. Après cette apparition télévisée, il reçoit de nombreuses menaces de mort.
Dans un communiqué publié le 29 mars, Human Rights Watch, organisation internationale de défense des droits humains, rapporte le témoignage de cinq de ces jeunes garçons, traumatisés par leur arrestations.
Condamnations arbitraires et violences policières
En septembre 2015, Marwen*,un jeune étudiant, est arrêté à Sousse, dans le cadre d’une enquête pour meurtre. Si les soupçons d’homicide sont vite écartés, l’interrogatoire dévie rapidement sur l’orientation sexuelle du prévenu. Les policiers l’accusent d’avoir eu des relations homosexuelles avec la victime.
D’après le rapport de Human Rights Watch, le garçon dit avoir subi des violences physiques et des humiliations de la part de la police. Ils l’auraient giflé et menacé : “On va te violer, abuser de toi et te faire asseoir sur une bouteille de Fanta en verre” . Sous la menace, Marwen aurait fait de faux aveux et prétendu avoir occasionnellement fréquenté le disparu.
Il est ensuite emmené à l’hôpital, pour y subir un test anal. Espérant se faire disculper, le jeune homme accepte de subir l’examen qu’il décrit comme “très difficile”.
Le 22 septembre, Marwen est condamné à un an de prison, sur la base de l’article 230. Il est emprisonné jusqu’au 17 décembre, date à laquelle la cour d’appel réduit sa peine à 2 mois de prison (déjà purgés) et à une amende de 300 dinars.
Le 4 décembre 2015, six étudiants de la ville de Kairouan sont arrêtés à leur tour dans leur appartement universitaire. Au commissariat, ils auraient été malmenés par les policiers qui les auraient frappés et insultés en les appelant “miboun”, terme dégradant pour désigner les homosexuels en dialecte tunisien. Après avoir passé la nuit en détention, ils sont emmenés à l’hôpital, où on leur fait subir un test anal, alors qu’ils l’auraient explicitement refusé. Comme pour Marwen, cet examen est censé prouver leur “comportement homosexuel”.
“J’ai senti qu’ils me violaient. Je sens cela jusqu’à présent”, confie Amar*, un des étudiants.
Le 10 décembre, ils sont condamnés à la peine maximale de 3 ans de prison, et interdits de séjour à Kairouan. Ils sont incarcérés pendant un mois avant que leur peine ne soit réduite à un mois de prison (déjà purgé) et à une amende.
En détention, tous racontent avoir subi de nombreux abus de la part des gardiens et des autres détenus. Violences, humiliations et viols auraient été leur lot quotidien, jusqu’à leur libération. Amar et Kais*, deux de ces six étudiants, racontent à Human Rights Watch.
“Dès qu’ils s’ennuyaient, les gardiens nous forçaient à danser comme des femmes devant eux. Si nous refusions, ils nous giflaient. Tous les jours, ils nous faisaient sortir avec des menottes, nous battaient et fourraient leurs matraques en nous”.
Soutien des associations et de la société civile
Ces deux affaires ou suscité une vague d’indignation relativement nouvelle en Tunisie. Une partie de l’opinion publique, à travers les réseaux sociaux, a critiqué ces condamnations arbitraires et plus particulièrement le test anal, les jugeant contraires aux libertés individuelles et aux conventions internationales. Des associations tunisiennes de défense des droits humains telles que la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme, ou l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates ont officiellement appelé à l’abrogation de l’article 230, arguant qu’il était contraire à la nouvelle Constitution, censée garantir le respect des libertés individuelles et de la vie privée.
De nombreuses associations nationales et internationales ont ainsi appelé à la libération de tous les détenus de l’article 230, à l’arrêt des poursuites en raison de l’orientation sexuelle, ainsi qu’à l’interdiction de la pratique du test anal, en rappelant que cette pratique est considérée comme une atteinte à l’intégrité physique par la Convention des Nations unies contre la Torture.
Cette vague de soutien a permis la médiatisation des deux affaires et les peines des condamnés ont été réduites en appel. Mais même sorties de prison, la situation reste difficile pour toutes les victimes de l’article 230. Rejetées par leur famille et leur entourage, elles sont souvent livrées à elles-mêmes, psychologiquement fragiles ou dans une situation économique précaire.
Des associations essaient tant bien que mal de les prendre en charge et de les soutenir. Par exemple, Damj, créée officiellement en 2011 mais existant déjà sous la dictature de Ben Ali, suit et accompagne environ 85 jeunes, grâce à des centres d’accueil où les membres de la communauté LGBT peuvent débattre et exprimer leurs inquiétudes. Cette organisation prend soin des personnes en situation de précarité en raison de leur orientation sexuelle. Mawjoudin, travaille de la même manière : elle cherche à soutenir psychologiquement les victimes de discriminations et d’agressions.
D’autres choisissent de prendre part au débat dans la sphère publique. Depuis sa légalisation en mai 2015, l’association Shams fait beaucoup parler d’elle, notamment dans les médias, car elle est la seule organisation revendiquant ouvertement les droits des minorités sexuelles dans ses statuts. L’association a engagé un débat frontal sur l’homosexualité en participant à des débats télévisés ou en organisant des réunions publiques.
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Mais cette visibilité médiatique a déjà joué en sa défaveur : le 12 décembre 2015, le vice-président, Hedi Sahly, doit fuir le pays en raison des multiples menaces de mort émises à son encontre. Le 4 janvier 2016, l’organisation reçoit une notification du chargé de contentieux de l’Etat qui veut suspendre ses activités pour 30 jours, assurant qu’elle n’a pas d’existence légale. Shams fait immédiatement appel de cette décision.
Selon Ahmed Ben Amor, également vice-président de Shams, cette décision serait “politique”. Elle a été prise à la suite de l’intervention du député Ennahdha Abdellatif Mekki qui avait vivement condamné l’existence d’une association défendant les droits des homosexuels. Il a ainsi déclaré “que ces pratiques (homosexuelles) étaient condamnées par la loi” et qu’autoriser cette organisation était “ dangereux pour la paix sociale”, en évoquant pêle-mêle le taux de divorce, les violences conjugales ou encore la consommation de drogues.
Le 24 février, la Cour donne finalement raison à l’association qui est autorisée à reprendre ses activités. “Shams a salué la justice qui a su prendre une décision juste et neutre”, commente Ahmed Ben Amor dans une déclaration à Inkyfada. “ll était normal que la cour nous donne raison, car les motifs de la plainte étaient totalement infondés. Shams est une association légale et conforme”.
Quelques jours plus tard, l’association publie un spot de sensibilisation demandant l’abrogation de l’article 230, avec plusieurs artistes et militants.
Une recrudescence de réactions homophobes
Mais l’ouverture du débat quant à la question de l’orientation sexuelle a aussi conduit à une exacerbation de la parole homophobe. Le 16 mars 2016, Aïcha Attia, une actrice tunisienne, déclare, sur le plateau de Tunisna TV, “Je suis contre l’homosexualité, et son encouragement, mais je suis très tolérante”. La contradiction de son intervention est pointée du doigt par les internautes, qui en font la risée des réseaux sociaux.
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A peine un mois après, lors de l’émission “Klem Ennes”, l’acteur Ahmed Landolsi fait une déclaration très virulente à l’encontre des homosexuels, estimant que “l’homosexualité était une maladie” qui n’a pas sa place dans une société où l’islam est religion d’Etat. Son intervention divise l’opinion entre partisans de l’acteur, qui plaident la liberté d’expression, et sympathisants de la cause LGBT, demandant des excuses publiques. Excuses qu’Ahmed Landolsi a refusé de faire.
La semaine suivante, Ahmed Ben Amor participe au même programme. Mais ce qui devait être un droit de réponse aux propos de l’acteur se transforme en un débat “stérile” où sont exprimés de nombreux “clichés” véhiculés sur les personnes homosexuelles, regrette le militant. “Je n’étais censé faire face qu’à une seule personne”, explique-t-il, “J’ai montré à quel point l’intervention d’Ahmed Landolsi était homophobe et misogyne. Mais on m’a opposé des clichés tels que: ‘Qui joue le rôle de la femme et porte le bikini à la plage dans un couple gay?’”.
Depuis cette apparition télévisée, le militant aurait reçu près de 500 menaces de mort, par téléphone, via les réseaux sociaux ou encore dans la rue.
Une absence de volonté politique
Même si le débat a envahi les sphères publique et médiatique tunisiennes, au niveau politique, les commentaires en faveur des droits LGBT sont très rares. Une des seules réactions notables est celle de Mohamed Salah Ben Aïssa, alors ministre de la justice, à la suite de la condamnation de Marwen. Le 28 septembre 2015, sur les ondes de Shems FM, il appelle à l’abrogation de l’article 230, le considérant contraire à la nouvelle Constitution tunisienne. “Il n’est plus admis de violer les libertés individuelles et le droit à la vie privée”, avançait-il.
La semaine suivante, il est désavoué par le président Béji Caïd Essebsi, qui déclare, lors d’une interview à la télévision égyptienne, que l’abrogation de cette loi “ n’arrivera pas” et que le ministre de la Justice “ne parle qu’en son nom”. Le 20 octobre, ce dernier est démis de ses fonctions, officiellement en raison d’un litige concernant le Conseil supérieur de la magistrature.
Même son de cloche au sein du parti islamiste Ennahda. Le 8 octobre 2015, dans une interview accordée à France 24, Rached Ghannouchi déclare approuver la décision du président de la République et dit “être contre l’abrogation de la loi 230, tout en respectant les libertés individuelles de chacun”.
Ainsi, même si le débat se concrétise dans la société tunisienne, le gouvernement ne semble pas vouloir s’emparer de la question ou même considérer l’idée d’une abrogation de l’article 230, avançant que cette question n’était pas prioritaire. Plusieurs organisations ont critiqué cette absence de soutien politique, ainsi que la banalisation des propos homophobes.
“Le gouvernement ne réagit pas”, commente Ahmed Ben Amor, “Quand j’ai voulu porter plainte à cause de toutes les menaces que je reçois, la police m’a dit qu’elle défendait le pays contre les terroristes et qu’elle ne protégeait pas les ‘pédés’. Les personnes homosexuelles sont tout simplement des citoyens de seconde zone en Tunisie”, conclut-il.