Charlie Hebdo : Cinq victimes tunisiennes

Cinq personnes d’origine tunisienne sont mortes dans l’attaque contre Charlie Hebdo et dans la prise d’otages qui a suivi la fusillade dans les locaux de la rédaction.
Par | 21 Janvier 2015 | reading-duration 10 minutes

Tunisiens résidant en France ou Français d’origine tunisienne, Yohav, Yohan, François-Michel, Elsa et Georges ont tous eu un lien avec leur pays d’origine. Ils sont morts dans les attentats de Charlie Hebdo et de l’hypercasher les 7 et 11 janvier derniers à Paris. Portraits de ces hommes et femmes, contre l’oubli.

Le doigt plein d’encre levé en signe de victoire. Yohav Hattab était fier, sur les photos partagées sur Facebook, d’avoir voté aux élections législatives de 2011 en Tunisie. A peine trois ans plus tard, il est tué, à 21 ans dans le magasin Hypercasher à Paris, alors qu’il faisait ses courses le vendredi 11 janvier 2014.

Venu faire ses études en France, ce jeune Tunisien, avait suivi sa scolarité à l’école juive de Tunis et il avait passé toute son enfance et son adolescence, au sein d’une famille pratiquante et d’une petite communauté de juifs Tunisiens très soudée, comme le confirme un proche, Yohan “on se connaît tous à Tunis.

Le jeune Yoav Hattab pose après avoir voté. Image profil Facebook.

Son père est le Grand rabbin de Tunis. Pour la famille, c’est un drame qui s’ajoute au décès d’une tante en 1985 dans un attentat à la synagogue de la Ghriba. Et pourtant, les premiers mots du père de Yohav sur le plateau de la chaîne française France 2 ont été un appel au calme :

" En Tunisie, les juifs n’ont pas de problèmes, nous sommes respectés par l’Etat et par les gens. Mon école a toujours été ouverte, on a vécu ensemble depuis notre jeunesse", a-t-il dit avant d’enchaîner "C’est un Tunisien qui est mort."

Yohan Cohen travaillait dans le magasin où a eu lieu la prise d’otages. Image profil Facebook.

Il n’est pas le seul. Yohan Cohen, employé de l’Hypercasher, la vingtaine lui aussi, a également trouvé la mort lors de la prise d’otages. Il est né de mère tunisienne et de père algérien et son grand-père n’est autre que le chanteur populaire d’origine tunisienne, Doukha, décédé en décembre 2014. Yohan est décrit par ses proches, à l’AFP, comme quelqu’un d’une "rare gentillesse".

François-Michel Saada, 63 ans est aussi né à Tunis. Cadre supérieur à la retraite, il était installé depuis longtemps en France. Il meurt également lors de la prise d’otages.

François-Michel Saada faisait ses courses dans le magasin. Image profil Facebook.

"C’était quelqu’un extrêmement droit, qui a conduit sa vie pour le bonheur de sa famille, qui ne faisait jamais d’histoire. Un mari, un papa exemplaire", a dit l’un de ses amis à la presse.

Parmi les salariés de Charlie Hebdo, Elsa Cayat, psychologue et chroniqueuse dans le journal, est la fille du Tunisien Georges Khayat. Elle est née à Tunis en 1960. Elle est décédée le 7 janvier 2015 dans la rédaction de Charlie Hebdo.

Parmi les victimes de l’équipe Charlie Hebdo, Elsa-Cayat. Image profil Facebook.

Dans sa dernière chronique, elle a écrit:

"La souffrance humaine dérive de l’abus. Cet abus dérive de la croyance, c’est-à-dire de tout ce qu’on a bu, de tout ce qu’on a cru."

A ses côtés, Georges Wolinski, le "petit juif de Tunis" comme il se surnommait lui-même dans un portrait pour un journal, il y a quelques années. Le dessinateur a vécu à Tunis au milieu d’une famille d’immigrés, polonais et italiens. Son père meurt assassiné quand il a deux ans et sa mère est envoyée en France pour des problèmes de santé. Georges, après avoir arpenté la médina de Tunis durant toute son enfance et vécu dans le centre-ville, la rejoindra à son adolescence.

Georges Wolinski, se surnommait lui-même le «  petit juif de Tunis « . Crédit : Le Figaro.

L’homme reste très proche de son pays de naissance à mesure qu’il commence sa carrière entre ses débuts à Hara-Kiri, mai 68 et Charlie Hebdo. Il participe à plusieurs documentaires et débats après la révolution tunisienne. On le voit notamment dans un documentaire retraçant son enfance à Tunis, revenir sur ses souvenirs dans "Ici ou ailleurs" de Philippe Lézin.

Il y discute avec un commerçant de la Médina qui lui explique la signification de la main de Fatma. Il semble chez lui à Tunis. Tout comme dans le documentaire d’Habib Mestiri Chroniques d’une révolution aux côtés de citoyens tunisiens, de l’actrice Claudia Cardinale et de l’humoriste Michel Boujenah.

"Il venait de la génération qui n’avait connu que la Tunisie coloniale mais c’était un homme plein d’humanisme avec un humour à la tunisienne : très léger par rapport à la vie et un peu moqueur. Contrairement à ce qu’on peut dire sur les gens de Charlie Hebdo, c’était quelqu’un qui avait un regard très distancié par rapport aux religions, tolérant mais léger. Son intention n’était jamais de vexer ou d’être méchant", se souvient le réalisateur Habib Mestiri.

Autre cinéaste tunisien à lui rendre hommage, Ahmed Bennys dans le journal de gauche Attariq du 17 au 23 janvier. Dans une lettre à Wolinski, l’homme salue le dessinateur qu’il avait connu dans sa jeunesse. “Je me souviens d’un déjeuner avec des amis Tunisiens où l’on évoquait la situation dans mon pays et dans le monde Arabe : chiites contre sunnites, coptes en Egypte, catholiques contre maronites ,salafistes contre soufis, alaouites musulmans contre juifs, juifs contre musulmans. Et toi (Georges Wolinski) de rire : 'Je ne suis pas juif ! Je ne suis pas chrétien je ne suis pas musulman ! Je suis un homme libre!'"

LES POLEMIQUES

Face à ces morts, les autorités tunisiennes ont mis du temps à réagir, surtout suite au décès de Yohav Hattab. "Nous sommes très choqués et nous avons reçu peu de soutien des politiques", déclare Yohan, un de ses amis. Une polémique a également éclaté lorsqu’il a été annoncé que le jeune Tunisien serait enterré en Israël. L’association Tunisienne de Soutien aux Minorités via sa présidente, Yamina Thabet a réagi dès les premiers jours et a témoigné: la journée de vendredi a été vécue dans l’angoisse pour elle et les membres de la communauté.

"La prise d’otages intervenait après une première catastrophe, qui était l’attaque contre Charlie Hebdo. Nous étions déjà traumatisés. Nous avons tous des amis et des proches qui sont à Vincennes. Cette nouvelle a été un deuxième traumatisme. Surtout que la famille de Yoav ne savait pas comment avoir des informations sur la situation. Il fallait attendre des nouvelles via les médias. Il n’y avait pas de vis-à-vis. Rien n’a été fait par les autorités tunisiennes", explique Yamina. Une veillée et un rassemblement avec d’autres associations et la communauté juive ont été organisés le samedi 19 janvier en hommage aux victimes.

Veillée en l’honneur des victimes à Tunis le samedi 17 janvier 2015. Crédit : Mabrouka Khedir.

La cérémonie a réuni plus d’une centaine de personnes. Beaucoup de personnalités tunisiennes se sont aussi exprimées depuis, comme Gilles Jacob Lellouche, propriétaire d’un restaurant à Tunis. Il avait aperçu Wolinski venu une fois manger avec sa fille dans le restaurant.

«Je suis retourné par ces événements. Mon seul sentiment c’est que finalement de la même manière que la Tunisie a été à l’origine des révolutions dans le monde arabe, elle paie aujourd’hui un tribut pour que le monde prenne conscience de l’horreur dans lequel on plonge.»