Intimité : Entre galères, tabous et idées reçues

Comment faire pour avoir un peu d'intimité et vivre sa sexualité quand on n'est pas marié ? Entre aspirations individuelles et nécessité de respect des normes sociales et familiales, les jeunes galèrent. Sara et Karim partagent leur expérience.
Par | 05 Août 2014 | reading-duration 0 minutes

Pour eux, amour rime avec galère. Sara a 27 ans, Karim 21 ans, et ni l’un ni l’autre ne sont mariés. Alors ils se cachent, se débrouillent comme ils peuvent pour tenter d’avoir un peu d’intimité dans une société largement conservatrice, où le sexe hors mariage est souvent tabou et condamné. Leurs histoires sont individuelles, mais les questions qu’ils se posent, les contradictions qui les déchirent sont celles de toute une génération, tiraillée entre aspiration à l’épanouissement personnel et respect des normes sociales et familiales.

Premier baiser, « première fois », contraception, avortement… Sara et Karim témoignent librement de leur expérience et de leur « parcours » intime. Leurs histoires racontent l’appétit de vivre, la soif de liberté, mais aussi l’angoisse, le doute, la révolte et la place grandissante du virtuel, devenu l’espace privilégié des relations amoureuses faute de lieux de rencontre.

Elles disent aussi l’ignorance, la difficulté de s’informer et la solitude face aux « accidents » de la vie sexuelle, quand il est impossible d’en parler autour de soi et qu’Internet est la première source d’éducation sexuelle.

« On parle de sexe à la maison, mais pas dans la pratique. On parle plutôt de la « morale » de la chose. On parle de la virginité, du fait d’avoir ou pas des rapports sexuels avant le mariage, de comment la société voit ça, et de comment nous on voit ça.

Parce que la société ne voit pas forcément la même chose que nous. Mais nous, on doit faire comme la société. Parce qu’on vit en société.

On discute aussi de l’avortement, du fait que si une fille non mariée tombe enceinte elle doit le faire pour pouvoir vivre dignement en société, du fait de se protéger, mais ce n’est jamais moi le sujet. On discute de ça d’une façon générale.

J e n’ose pas parler de moi-même. En tout cas, je n’ai jamais parlé avec eux ouvertement de ma sexualité. Je me dis toujours qu’ils acceptent que les autres soient comme ci ou comme ça, mais peut être pas leur propre fille. Parce que ça les touche directement. Ca les fait paniquer à cause de la société, ça les stresse.

Donc par rapport à ça, j’ai choisi de me faire ma propre éducation.

Bon, je connais les risques, je sais qu’il faut se protéger, d’après les spots publicitaires, les discussions avec mes parents et tout ça. Mais je me suis aussi renseignée toute seule. Parce qu’il y a quand même des risques de santé, de complications. Surtout quand on est obligé de vivre sa sexualité secrètement. Donc on n’a pas le droit à l’erreur, sinon ça va se savoir.

Et en fait, je me renseigne surtout depuis que j’ai perdu ma virginité. Je lis sur Internet, j’essaie d’avoir un maximum d’information sur la sexualité et les maladies.

Avant de perdre ma virginité, étant donné que je n’avais pas vraiment d’information, j’ai eu des problèmes. Avec mon copain, on ne savait rien, on n’avait pas d’expérience.»

« Je n’utilise que les préservatifs. Je n’ai jamais pris la pilule et je ne voulais pas la prendre tant que je ne vivais pas avec mon copain. En moyenne, j’avais une activité sexuelle une fois toutes les deux semaines. Donc ce n’était pas pour ça que j’allais prendre la pilule.

Donc je comptais mon cycle, et voilà, ça a toujours marché comme ça. Sauf quand je suis tombée enceinte, on était 'dans le feu de l’action', on n’avait pas de préservatif, mais on l’a fait quand même. Pourtant je savais que c’était risqué, et même pendant l’acte je pensais : 'Bon, il se peut que ça arrive cette fois… ' Et je n’ai pas pensé à prendre la pilule du lendemain.

Après cette histoire et l’avortement, on a continué à mettre des préservatifs, c’est tout. Parce que je sais que c’était plus ou moins ma faute, et donc qu’on aurait pu éviter ça. Ce n’était pas un accident à cause d’un cycle pas régulier par exemple. »

« Le manque d’intimité, ça a posé beaucoup de problèmes avec mon copain. C’est entre autres pour ça qu’on a rompu.

Notre relation a duré quatre ans, mais il ne voulait pas venir chez moi, et du coup je ne pouvais pas dire ouvertement à mes parents que je sortais avec lui. Pourtant ils se doutaient que j’avais un copain. Ils risquaient de me dire : 'Ok, tu sors avec lui, mais dans ce cas pourquoi il ne vient pas à la maison ? Si il ne vient pas c’est qu’il a des trucs à se reprocher.' Donc cette situation pouvait éveiller leurs soupçons : ils pouvaient soupçonner qu’on se voyaient en cachette.

Du coup j’ai décidé de ne rien leur dire, parce que lui n’assumait pas le fait qu’il sortait avec moi devant mes parents. Pourtant ça aurait pu être mieux. Pas au point qu’il vienne dormir chez moi en présence de mes parents : je sais quand même qu’ils n’auraient pas toléré ça. Mais ça aurait pu faciliter toute la relation.

Moi je voulais évoluer. Je voulais que ça soit plus assumé par lui. Lui il l’assumait par rapport à son propre entourage : il n’y avait pas de problème, j’allais chez lui, sa mère me connaissait, son père aussi. C’est par rapport à ma famille que je voulais qu’il assume. Mais lui, il refusait. Donc on pouvait pas évoluer comme ça.

D’ailleurs Facebook avait pris une grande place dans la relation avec mon copain. Au point qu’à la fin, il me disait qu’il aurait bien aimé sortir avec la vraie Sara, et pas avec la Sara de Facebook.

De toute façon, ma vie sexuelle, je n’ai pas le choix, je ne peux que la cacher. Par rapport à mes parents, par rapport à la société, et tout ça.

Je dormais chez mon copain, parce que ses parents étaient souvent absents, mais c’était toujours en cachette. Quand mes parents n’étaient pas là par exemple. Ou bien il fallait toujours que je leur dise que j’allais chez ma meilleure amie. Il fallait toujours que je mente en tout cas. Il n’y a pas à réfléchir là-dessus. Dans ces cas-là, ma meilleure amie est au courant, au cas où ils l’appellent. D’ailleurs, elle fait aussi la même chose avec moi !»

« Le fait qu’un couple ne puisse pas se tenir la main dans la rue ou s’embrasser, je trouve que c’est un problème. Ça m’énerve que ce soit interdit.

C’est clair que si jamais un policier voit un couple en train de s’embrasser, il va le 'rafler'  (voir encadré)  ! 'Qu’est-ce que tu fais avec elle ?' 'Vous êtes mariés ou pas ?' 'Est-ce que ses parents le savent ?' C’est les premières questions que les policiers vont poser au garçon. Et en plus ils vont directement appeler tes parents.

Moi, j’aimerais bien que tout le monde s’embrasse dans la rue ou se tienne la main, montre des signes d’affection. Avec plus de liberté et d’ouverture, il y aurait moins de frustrations, de viols, de harcèlement. Enfin, pour moi c’est très relié.

D’ailleurs, je me rappelle qu’avec mon premier petit ami, quand j’étais au lycée, on a rompu juste après notre premier – et seul – baiser ! Après un mois de relation !

C’était parce qu’on n’avait pas d’endroit où se voir, à part le lycée. Et on s’est embrassés parce qu’on a eu l’occasion de se retrouver avec des amis dans un appartement. On était tous ensemble, et après, chaque couple s’est enfermé dans une chambre, normal. Donc on a commencé à s’embrasser. J’ai pas du tout aimé. Et juste après, le lendemain, on ne s’est pas reparlé. On ne s’est jamais plus reparlé d’ailleurs. Peut-être que c’est parce qu’on n’avait pas aimé tous les deux.

Le fait que ce baiser ait été programmé, conditionné, ça a tout cassé. Ce n’était pas un acte spontané, sensuel, sentimental. »

« J’ai essayé de construire ma propre opinion à propos de la virginité. Et pour moi, la sexualité, c’est quelque chose qui t’es personnel et physique. Et je pense que la virginité ne doit pas être liée au mariage, je suis contre cette idée. Au contraire, ce sont des choses à vivre, et quand on a l’âge de vivre ça, on doit le vivre. Et ce n’est pas parce qu’on n’est pas encore mariée qu’on n’a pas le droit de le vivre.

Moi, ce qui me dérange surtout, c’est que l’honneur d’une fille soit relié à sa virginité. Donc relié à son c… quoi. Ça m’énerve complètement. Je suis contre l’idée que tout l’honneur d’une fille soit réduit à sa virginité. Je trouve ça vraiment cruel envers les filles. Ça les emprisonne.

D’ailleurs, une des raisons, entre autres, pour lesquelles j’ai décidé de perdre ma virginité, c’est parce que je me disais : 'Pourquoi les garçons, eux, ils ont le droit d’avoir des expériences, et d’exiger une fille vierge après, alors que la fille n’a pas le droit ?' Elle peut avoir ses expériences aussi et se marier après. Ou bien pourquoi elle, elle n’a pas le droit d’exiger un garçon vierge ? Parce que ça ne se 'voit' pas ?? Parce que ce n’est pas distinct physiquement ?? C’est c… ! C’est vraiment du sexisme et c’est carrément quelque chose qui me pousserait à vivre ailleurs.

C’est à cause de ce genre de choses, la société, les tabous, etc. que je ne veux pas vivre ici, en Tunisie, tout ma vie.

Quand je suis arrivée à l’âge de 23 ans, donc, je me suis dit : 'Allez, maintenant c’est le moment ! C’est une expérience à vivre, donc je vais pas attendre jusqu’à mes 25 ou 27 ans pour perdre ma virginité.'

Ça ne veut pas dire que j’ai sauté sur la première occasion. Je me suis dit : 'Ok, il faut le vivre, mais en même temps on doit attendre la bonne personne.' Ça ne veut pas dire attendre le prince charmant, mais attendre la personne qui a les mêmes idées.

C’est une expérience en fait. En tout cas, moi j’ai perdu ma virginité pour vivre l’expérience. Ce n’était pas par amour ou autre. Et comme la personne avec qui j’ai perdu ma virginité était vierge aussi, je me suis dit : 'Allez, on va vivre la même expérience.'

Et, pour ma part en tout cas, c’était aussi un acte de rébellion contre la société. Parce que avec mon petit copain précédent, quand j’avais 18 ans, on avait commencé à flirter. Mais on n’est jamais allés plus loin. J’avais peur de l’acte sexuel et aussi de ses conséquences dans la société et tout… D’ailleurs c’est ce qui explique qu’après j’ai décidé d’envoyer ch… toute la société et ce tabou.

Je me suis dit : 'Je vais prouver que je peux perdre ma virginité et ne pas être une fille facile ou une p… comme toute la société le pense.' La société pense vraiment qu’une fille pas vierge avant le mariage c’est une p…

Je voulais aussi avoir la conscience tranquille : je ne suis plus vierge mais je ne suis pas une fille facile.

Donc c’était une délivrance inimaginable ! Je n’ai jamais culpabilisé à propos de ça d’ailleurs : au contraire ! Au début j’étais même trop fière de ça. C’était une sorte de libération, de grande libération pour moi.

J’imagine que les garçons en général n’ont pas ces problèmes, ou ne se posent pas ce genre de question.

Je ressens quand même que c’est un stress. Je ressens mon stress à moi, le stress des filles que je connais. Parce qu’une fille qui n’est plus vierge est tout le temps menacée. Parce qu’un jour ou l’autre, sa mère pourra la soupçonner et l’amener chez le gynéco pour voir si elle ou vierge ou pas. Et si elle se rend compte qu’elle n’est plus vierge, elle pourra la rejeter. Une fille pas vierge en Tunisie est plus méfiante. Elle est plus sur ses gardes, pour que sa famille ne le sache pas. Pour les filles qui font l’hyménoplastie, je les comprends. Et c’est triste. Parce qu’elles le font pour pouvoir se marier. Pour être acceptée quoi.

Moi, mes parents ne soupçonnent pas que je ne suis plus vierge. Ils ne se posent pas la question parce qu’ils voient que je n’ai pas de vie active… visiblement.

De la même façon, quand j’ai du aller chez un gynécologue une fois pour une infection urinaire, j’ai évité que ma mère vienne avec moi. Heureusement que j’étais grande et que je pouvais aller voir un médecin toute seule. Mais c’est vrai que c’est aussi un petit stress ! J’avais peur qu’elle me dise 'Allez, je viens avec toi', et tout ça.»

« J’ai avorté une fois, et c’était une expérience pour moi.

Je me souviens que j’ai su tout de suite que j’étais enceinte, dès mon premier jour de retard de règles. Avec mon copain, on l’avait 'fait' pendant la période fertile, donc je m’en doutais. Et j’ai fait deux tests de grossesse, qui étaient tous les deux positifs.

Donc on a fait des recherches sur Internet : comment avorter, à quelle période et tout ça. Et mon copain m’a dit : 'Ok, on va pas paniquer, j’ai une amie qui a avorté et qui connaît un gynéco.' Il m’a pris un rendez-vous, et on a fait ça calmement.

Je suis donc allée chez le gynéco, puis tout de suite à la clinique, le matin, avec mon copain et cette amie. Je n’ai même pas fait de consultation avant, ni rien. De toute façon on avait déjà compté : je m’étais renseignée sur les cycles, sur depuis combien de jours j’étais enceinte, et tout ça. Donc on a donné toute l’information.

Heureusement, le gynéco était cool, et il nous a expliqué comment ça allait se passer. C’était par aspiration, donc anesthésie générale et tout ça. Parce que j’étais presque à un mois de grossesse.

Et mon copain était beaucoup plus stressé que moi ! Moi, quand je suis partie à la salle d’opération, je rigolais avec le gynéco. Parce qu’en même temps, le fait que le gynéco soit cool a eu vraiment un effet très positif.

Mais par contre, le seul stress qui m’est venu après l’anesthésie c’est que j’imaginais qu’en ouvrant les yeux je voyais mon père et ma mère à la clinique et qu’ils étaient au courant, ou bien qu’il y avait eu une complication… Parce que tout était en cachette.

Et aussi, c’est vrai, il y a toujours le problème de l’argent. Ça coûte très cher. Ça a coûté 200 dinars pour moi, parce que c’était pas chimique, c’était par aspiration. C’est une opération quoi. Donc on s’est partagé les frais, mon copain et moi : cinquante-cinquante.

Je ne voulais pas aller au planning familial (voir encadré) . Parce que en pratique, si tu vas dans un planning familial et que tu es enceinte, ils vont te demander directement : 'Est-ce que vous êtes mariée ou pas ?' C’est la première question ! Une amie à moi est allée dans un planning familial, et c’est ce qu’ils lui ont demandé. Elle a dit qu’elle n’était pas mariée et les infirmières ont été vraiment très désagréables avec elles. Et elle m’a dit : 'Ne va jamais dans un planning familial. Ok, c’est gratuit et tout ça, mais ils ne vont jamais comprendre. Donc va à la clinique et c’est tout. Fait le proprement.' Donc le problème, c’est que au lieu d’essayer de comprendre ou d’aider, ils te font la morale. »

« Moi j’aurais aimé me marier avec mon copain pour une seule chose : si jamais on voulait vivre ensemble. Dans ce cas on n’aurait pas eu d’autre choix que se marier. Sinon c’est interdit par la loi (voir encadré) . Et ma famille aussi ne me laisserait jamais vivre avec un garçon sans mariage. Pas forcément parce que c’est contre leur morale, mais parce qu’ils ont toujours peur de la société, et de la loi surtout.

Moi je m’en fous de me marier ou pas. Tant que je vis avec la personne, ça me suffit. Mais si on reste en Tunisie et qu’on veut vivre ensemble, il faut se marier, pas le choix. Et mon copain n’était pas du même avis. Lui il aurait accepté de vivre en concubinage. Il n’était pas contre.

En tout cas, ça ne sert à rien de se marier si tu ne connais pas la personne au quotidien : après, tu vas vite divorcer parce que tu vas découvrir des trucs que tu connais pas, c’est normal. »

« On n’a jamais vraiment parlé de sexe avec ma mère, mais elle se doute bien que je couche avec des filles. Et elle me dit juste de me protéger.

Mais j’ai commencé à être vraiment sensibilisé à ça il y a quelques années, quand j’ai vu le logo du Sidaction à la télé. Ma mère m’a expliqué que c’était une maladie sexuellement transmissible. Donc j’ai fait des recherches et j’ai compris certaines choses.

Maintenant j’essaie de faire comprendre autour de moi, parce que je pense qu’il y a un gros problème à ce sujet-là. Les gens ne savent pas où aller quand ils ont eu un rapport non protégé (voir encadré) . Et en plus il n’y a pas que le sida. Il y a d’autres maladies sexuellement transmissibles qui sont dangereuses et plus répandues. J’ai beaucoup d’amis qui en ont eu.

En tout cas j’essaie d’encourager les gens à aller faire le test de dépistage du sida. Mais quand j’ai été moi-même obligé d’aller faire un test, j’ai failli vomir dans le métro ! Ça fait vraiment peur. »

« La plupart du temps, j’utilise des préservatifs (voir encadré) . Mais les préservatifs qui sont distribués gratuitement par des associations par exemple, quand je les utilise, parfois je suis obligé d’en utiliser quatre à chaque rapport parce qu’ils ne sont pas de très bonne qualité. Une bonne marque, ça coûte trop cher…

D’ailleurs, la fois où ma copine est tombée enceinte, on s’était protégés. Mais un de ces préservatifs a éclaté, comme toujours. Mais cette fois il a éclaté au mauvais moment. On n’a pas non plus pensé à la pilule de lendemain. Je sais que ça existe, mais c’est pas vraiment bien pour la santé de la fille.

Elle ne prenait pas non plus la pilule. De toute façon, on n’habitait pas ensemble donc on le faisait occasionnellement, parce qu’on n’avait pas d’endroit pour le faire. Je ne vois pas l’utilité dans ce cas-là. »

« Bon, moi j’ai un peu de chance, parce que je suis en colocation maintenant. Donc je galère pas trop. Mais je connais des gens qui passent leur temps ensemble sans jamais être seuls. Ils sont soit dans un café, soit dans un restaurant, soit avec des amis. C’est pas facile de trouver un endroit où on peut être tranquille.

Avant, je voyais mes copines soit dans chez un pote qui me prêtait son appartement, soit quand mes parents n’étaient pas là. Et là t’as vraiment peur ! T’as le cœur qui bat, tu te demandes quand est-ce que ta mère va ouvrir la porte et tu sais qu’elle va te tuer si elle te voit ! Tu flippes vraiment !

À cause de ces trucs, les sentiments n’ont pas pu évoluer dans des relations que j’ai eues. Parce que c’est la routine de se voir tout le temps dans les cafés, de ramener la fille chez elle sans être repéré par ses voisins ou sa famille, puis de rentrer, de se parler au téléphone et de recommencer la même chose le lendemain.

Enfin, quand même, dans mon milieu, c’est un peu ouvert. Mais là où j’habitais avant, dans un quartier plus populaire, tu voyais jamais un mec et une fille ensemble, à part au lycée. Là-bas, à 18h, chacun part dans une direction. À 20h ils font 'l’offre' téléphonique, et là il parlent jusqu’à 8 h du matin. Et ils parlent, ils parlent, ils parlent pendant douze heures, et c’est tout. »

« Moi, personnellement, ça ne me dérange pas d’embrasser une fille dans la rue. Ça m’est déjà arrivé que la police me voie, et qu’ils viennent me dire que ça se fait pas, et tout. Mais en général on n’abuse pas quand même. On se tient la main, on se fait des câlins, et quand je dis qu’on s’embrasse dans la rue je parle juste d’un petit bisou.

Mais par exemple quand je vais courir à Sidi Bou Said, de temps en temps, je vois beaucoup de couples, et pas seulement en train de s’embrasser. Il y en a qui sont carrément en train de faire l’amour dehors ! J’ai aussi vu la police faire des arrestations régulièrement (voir encadré) . Comme au parc du Belvédère à Tunis.

Quand je vois ces couples de gens qui ont 26-27 ans, un peu âgés quoi, et qui se cachent, ça me rend triste. Je les regarde et je me dis que j’ai de la chance d’avoir mon propre appartement maintenant. Parce que c’est un peu gênant pour eux. Tu te dis qu’ils veulent mettre du sentiment dans ce qu’ils font, et qu’ils doivent toujours s’arrêter parce que quelqu’un passe.

Mais ils sont obligés. Obligés de faire des trucs ridicules, des trucs d’adolescents pour se rencontrer en cachette. Des trucs que normalement on fait au lycée. »

« C’est difficile pour les filles… surtout quand les mecs ne sont pas compréhensifs. Moi je peux me marier avec une fille qui a fait l’amour je ne sais pas combien de fois et ça ne me dérange pas. Je peux aussi me marier avec une fille qui ne l’a jamais fait, c’est pareil.

Je pense que si la vision des garçons change, si les garçons ne traitent pas de p… les filles qui font l’amour ou qui sortent avec des mecs, là la société va changer. La fille aura plus confiance en elle aussi.

Mais quand je parle de ça autour de moi et que je dis ce que je pense, souvent les gens ne sont pas d’accord avec moi, et parfois on me dit même que je vais me marier avec une p…

En tout cas, je me suis dit que si j’ai une fille plus tard, je l’élèverai comme je veux, et que quand elle aura un copain, vers 22 ans par exemple, je l’inviterai à la maison.

Par contre, si elle tombe enceinte jeune et qu’elle n’est pas mariée, je ne sais pas… C’est dur. C’est vrai que maintenant je suis un peu ouvert d’esprit et tout, mais quand ça va m’arriver je ne vais pas savoir comment me comporter. Je ne peux pas dire que je vais la frapper ou la disputer, mais je ne peux pas dire non plus que je vais lui dire : 'C’est pas grave ma fille on va s’occuper de ça ensemble.' J’y ai pensé beaucoup de fois et je n’ai pas trouvé de réponse. »

« Oh p…, j’oublierai jamais ça !

Quand ma copine est tombée enceinte, on est allés voir un gynécologue à La Marsa. Ils nous a dit que l’opération allait coûter 500 dinars. Je lui ai dit : 'Moi je te donne 1000 dinars si tu veux, je m’en fous. Cette fille doit rentrer chez elle sans problèmes.' Donc il nous a donné rendez-vous et après il nous a vendu deux pilules, pour 50 dinars, qu’elle devait prendre avant l’avortement pour ouvrir le col de l’utérus.

Après, on a contacté la grande sœur de ma copine, qui était au courant, qui avait eu la même expérience plus jeune et qui est médecin. On lui a raconté l’histoire et elle nous a dit que c’était une arnaque. Donc finalement on est allés voir le gynécologue de sa sœur, qui a fait l’avortement et tout.

Mais il a été obligé d’écrire sur les papiers que c’était un kyste ! C’était pour cacher, parce que c’était illégal. En fait si la fille n’a pas 24 ans l’avortement est interdit sans permission de la mère (voir encadré) . Elle avait 21 ans, et bien sur elle ne pouvais pas le dire à ses parents.

Du coup quand elle est entrée dans la salle d’opération, les infirmiers et tout l’hôpital croyaient que c’était un kyste. Il nous avait même demandé de porter des bagues pour faire croire qu’on était mariés. Et quand ma copine est sortie de l’opération, la secrétaire de l’hôpital nous a dit : 'Félicitations, Monsieur et Madame !'

Il était magnifique ce docteur. Je le remercierai jamais assez. Et la facture était de 200 dinars finalement. Plus les 40 dinars de la consultation.

Je pense qu’on peut faire ça gratuitement au planning familial (voir encadré) . Mais moi, je voulais amener ma copine dans une clinique privée. Parce que c’était ma faute. Je devais prendre mes responsabilités. »

« Le problème ici, c’est que les gens se marient sans jamais avoir vécu ensemble. Ils passent trois ans à se voir dans des cafés, sans intimité, sans partager des choses du quotidien, et une fois mariés ils voient qu’il y a des problèmes et que ce n’est pas si facile.

Moi, je pourrais passer toute ma vie avec une fille sans me marier. Mais je ne vis pas seul, je vis en société. Et en Tunisie, si tu as un enfant sans te marier, il va avoir des problèmes, c’est sûr. Et je n’ai pas envie de ça. Parce qu’il ne s’agit pas seulement de ma vie là. Si moi je l’accepte, peut-être que ma femme ne l’acceptera pas. Et si ma femme l’accepte, les voisins ne l’accepteront peut-être pas. Et le jour où l’enfant ira à l’école, on va le traiter de 'weld haram'. Et si je meurs il ne pourra pas avoir d’héritage.

Bref, de toute façon, je ne pense pas au mariage traditionnel, où tu dépenses 200 000 dinars, etc. Moi, ce sera juste avec quelques proches. Et tout l’argent qu’on dépense pour le mariage – l’argent qui sert à acheter la fille en fait, parce que moi je vois ça comme ça – je l’utiliserai pour le voyage de noces. Ce sera beaucoup mieux. »

A-t-on le droit de s’embrasser dans la rue ?

En Tunisie, rien n’interdit de façon explicite de s’embrasser dans la rue. En revanche, l’atteinte publique « aux bonnes moeurs » est condamnée par les articles 226 et 226 bis du Code pénal . Problème : la loi est très vague puisque les « bonnes moeurs » ne sont pas définies. Ce qui laisse toute latitude à la police, puis au procureur et au juge pour juger ou non de l’atteinte à la pudeur.

ART. 226

« Est puni de six mois d’emprisonnement et de qarante-huit dinars d’amende, quiconque se sera, sciemment, rendu coupable d’outrage public à la pudeur. »

ART 226 bis

« Est puni de six mois d’emprisonnement et d’une amende de mille dinars quiconque porte publiquement atteinte aux bonnes mœurs ou à la morale publique par le geste ou la parole ou gène intentionnellement autrui d’une façon qui porte atteinte à la pudeur. Est passible des mêmes peines prévues au paragraphe précédent quiconque attire publiquement l’attention sur une occasion de commettre la débauche par des écrits, des enregistrements, des messages audio ou visuels, électroniques ou optiques. »

Le planning familial

En Tunisie, les plannings familiaux gérés par l’Office national du planning familial sont accessibles à tous, l’ensemble des prestations sont gratuites (contraception, avortement), et les femmes y ont la possibilité de choisir librement d’avorter et de choisir librement leur contraception.
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LE DÉPISTAGE DU VIH

En Tunisie, le dépistage du VIH est gratuit et anonyme depuis 2007. L’Association tunisienne de lutte contre les maladies sexuellement transmissibles et le sida (ATL/MST/SIDA) recense sur son site Internet les centres de conseil et de dépistage anonyme, gratuit et volontaire disponibles en Tunisie. Un numéro vert, le 80 101 212, est également disponible pour répondre aux questions et orienter vers ces centres de conseil et de dépistage.

OÙ TROUVER DES PRÉSERVATIFS ?

Des associations telles que l’Association tunisienne de lutte contre les maladies sexuellement transmissibles et le sida (ATL/MST/SIDA) organisent régulièrement des campagnes de distribution de préservatifs. Des préservatifs sont également disponibles dans les plannings familiaux.