Les murs perdus d’El Seed

Le graffeur tunisien a parcouru pendant plus de trois semaines la Tunisie laissant sa trace sur des lieux oubliés du paysage, des endroits qui ont une valeur émotionnelle ou historique.
Par | 02 Juillet 2014 | reading-duration 10 minutes

Disponible en arabe
El Seed, graffeur franco-tunisien, s’est fait connaître en Tunisie en graffant un verset du Coran sur le minaret d’une mosquée à Gabès. L’artiste, dont le travail appelle à la tolérance, a parcouru pendant quatre semaines la Tunisie et a laissé sa trace sur des lieux oubliés du paysage, qui ont une valeur émotionnelle ou historique pour la Tunisie.
La carte des villes et villages parcourus par El Seed. Crédit: Livre Lost Walls.

Un graffiti à moitié effacé à coups de pierre : l’œuvre du graffeur El Seed sur le site de Star Wars à Onk el Jmel n’a pas été du goût de tous. « On m’a fait pas mal de commentaires sur le fait que j’avais vandalisé le lieu… Mais finalement le fait qu’ils aient eux-même tenté d’effacer le tag, c’est aussi une manière de se réapproprier l’œuvre et le lieu. » Dans son livre Lost Walls, qui retrace son parcours en Tunisie, un mois sur la route, El Seed explique qu’il trouve « offensant qu’on limite notre héritage culturel au site de Star Wars ». Pour lui, la valeur de la région ne se limite pas seulement à cet endroit et c’est en dessinant sur le site qu’il s’est réapproprié cet espace et son histoire. Si l’initiative n’ a pas plu à tous, la démarche d’El Seed a le mérite de déterrer des trésors perdus de Tunisie, comme une maison de pierre ocre abandonnée depuis des années au milieu d’un paysage désertique, ou encore la mosquée de Jara à Gabès où El Seed a peint sur le minaret mi-2012.

De Tataouine aux îles de Kerkennah, El Seed est également allé trouver des murs solitaires au milieu de nulle part comme à Jérissa, ancienne ville minière. La ville dont la mine de fer était exploitée par les Français a connu ses heures de gloire pendant un temps jusqu’à sombrer dans l’oubli. « Des structures de fer sont encore présentes dans la ville. Elles inspirent une certaine nostalgie, comme si le temps s’était arrêté. On y raconte même que le fer aurait servi aux bases de la tour Eiffel », commente le graffeur.

Couverture du livre Lost Walls.
Des structures de fer sont encore présentes dans la ville. Elles inspirent une certaine nostalgie, comme si le temps s’était arrêté. On y raconte même que le fer aurait servi aux bases de la tour Eiffel
Jérissa, ville minière de l’Ouest de la Tunisie rattachée au gouvernorat du Kef. Crédit: Livre Lost Walls.

Sortir du tag « révolutionnaire »

Brouillons de dessins executés par El Seed. Crédit: Livre Lost Walls.

« Je voulais sortir du processus de l’art dit 'révolutionnaire' , montrer ces villes de la Tunisie, chargées d’histoire, que l’on a tendance à oublier. » Si El Seed trouve une certaine beauté dans les tags de la révolution qui expriment une liberté nouvelle par rapport à un art « bourgeois » du tag toléré et contrôlé sous Ben Ali selon le graffeur, il souhaite s’en démarquer. Les tags d’El Seed dénotent par rapport aux œuvres citoyennes de la révolution, comme les graffitis laissés sur les murs à l’entrée de Kasserine témoignant de la lutte pendant la révolution ou encore ceux de Regueb, portraits des martyrs de la ville.

El Seed semble vouloir aller vers une seconde phase de l’histoire de la révolution, celle où le pays se redécouvre et retrouve son héritage. Comme beaucoup d’autres Tunisiens issus de l’immigration ou simplement comme les Tunisiens qui étaient restés dans la capitale du pays, Faouzi de son vrai nom, admet qu’il a renoué avec la terre de ses ancêtres après la révolution. Plus encore, il s’agit pour lui d’un travail de mémoire dans une Tunisie marginalisée pendant plus de cinquante ans. Mis à part le village de son grand-père, El Seed n’a pas planifié à l’avance les villes dans lesquelles il s’est arrêté pour peindre. C’est au gré des rencontres et des récits locaux qu’il a choisi les lieux.

Se réapproprier l’histoire

C’est ce qu’il raconte dans son voyage improvisé à Guellala dans le sud du pays. En parlant avec son compagnon de voyage de son intention d’aller rencontrer la communauté juive de Djerba, ce dernier commence à lui parler en amazigh. Faouzi décide alors de prolonger son séjour pour aller dans le village berbère de Guellala. Plus qu’un voyage initiatique, l’histoire des murs perdus d’El Seed pose de nombreuses questions : la mise en valeur du patrimoine culturel, des minorités, et surtout de l’histoire du pays, souvent revue et corrigée depuis l’indépendance.

L’œuvre d’El Seed sur un mur à Douze, dans le sud de la Tunisie. Image fournie par l’artiste.
El seed en train de finir son oeuvre à Guellala, village berbère du sud tunisien sur l’île de Djerba.
L’œuvre de l’artiste sur le coupole d’un café dans la petite ville de Guellala sur l’île de Djerba.

El Seed lui même s’interroge sur la pertinence de dessiner en calligraphie arabe une œuvre, dans un village qui milite pour la valorisation de la culture berbère. Il opte alors pour les deux dans une tentative de réconciliation, comme il l’écrit dans son livre. « Taghouri Dassah » sera l’expression calligraphique peinte en bleue sur un dôme blanc de la ville. Le questionnement d’El Seed sur la réappropriation de l’histoire va jusqu’à ce titre dans son livre, « Je ne serai jamais ton fils », en clin d’œil à la saga Star Wars pour rompre avec le culte autour du site du décor du film à Onk el Jmel. Il va même plus loin dans une interview en dénonçant le fait que sur près de 155 ruines dans le sud tunisien, le gouvernement ne s’occupe d’en préserver qu’une dizaine.

Onk El Jmel site de Star wars au sud tunisien. « Je ne serai jamais ton père » dit l’inscription en clin d’oeil à la fameuse phrase du personnage de Dark Vador dans Star Wars.

El Seed a vu quelques unes de ses œuvres vandalisées lors de son périple en Tunisie. Dans d’autres endroits, des gens viennent au contraire le regarder, lui proposer de l’aide. En s’emparant de son histoire, comme lorsqu’il peint sur la maison de son grand-père à Temoula, El Seed tente désormais de faire passer un message sur une autre Tunisie, trop délaissée par l’ancien régime. « J’essaye dans mes graffitis d’aller plus vers le message. Alors qu’avant, je citais des poètes. Quand je peins ces « lost walls », l’idée c’est aussi de les faire parler, de montrer la richesse de ce pays. »

J’essaye dans mes graffitis d’aller plus vers le message. Alors qu’avant, je citais des poètes. Quand je peins ces « lost walls », l’idée c’est aussi de les faire parler, de montrer la richesse de ce pays
Temoula à quelques kilomètres de Gabès, El Seed y a écrit « Temoula, terre de mes ancêtres, il n’y pas d’autre lieu qui te vaut. »

Du street art à la calligraphie classique

Esquisse de l’inscription de Temoula.

En mélangeant la calligraphie et l’art du graffiti, El Seed a su conjuguer deux passions. « Adolescent, j’ai commencé à apprendre la danse tout en graffant. J’étais plus sérieux en danse que dans le graff mais en étudiant l’arabe littéraire, j’ai découvert l’art de la calligraphie classique. » Si El Seed refuse la dénomination de calligraphe, jugeant qu’il n’a pas eu de formation suffisante ni la certification des maîtresil s’inspire pourtant des plus grands comme le calligraphe irakien Hassan Massoudy. Issu d’une famille tunisienne immigrée en France, un père ouvrier chez Renault et une mère assistante maternelle, il grandit à Boulogne-Billancourt et se destine à des études d’économie.Il sort d’ailleurs diplômé de l’ESSEC et part devenir consultant aux États-Unis. Aujourd’hui, la trentaine, les lunettes sur le nez et des baskets aux pieds, El Seed a des airs de jeune prodige de la célèbre Sillicon Valley aux États-Unis. Il vit au Canada et voyage de Djeddah à Dubaï pour des commandes ou des conférences.

Connu à l’étranger, discret en Tunisie

Reconnu à l’étranger comme un artiste « visionnaire » pour ses œuvres qui ornent aussi bien une autoroute qatarie que la maison de la Tunisie en France ou encore un carré de soie Louis Vuitton, El Seed reste encore discret et peu connu en Tunisie. Le monde du street art y trouve pourtant des lieux d’expression depuis la révolution, comme les murs aux abords du TGM à Tunis. Une scène artistique s’est aussi développée avec des noms comme Sk-One, Meen-One, Va-jo et Ink-man.

El Seed, lui, reste en retrait, bataillant plus en Tunisie pour ses idées que pour une reconnaissance. L’un de ses idéaux est aussi de casser les préjugés autour de l’art islamique en général et de le démocratiser pour le rendre accessible au plus grand nombre. Il a d’ailleurs peint un verset du Coran (verset 13 de la sourate 49) invitant à la tolérance sur le mur de la mosquée de Gabès en réaction aux attaques du palais Abdellia en juin 2012. D’autres de ses murs rendent hommage à de célèbres poètes arabes comme Abu El Kacem Chebbi. Comme lui a dit le célèbre Jeffrey Deitch , ancien directeur du Musée d’Art contemporain de Los Angeles qui a écrit la préface de son livre : « Même pour les gens qui ne comprennent pas l’arabe comme moi, on perçoit toujours le sentiment derrière, et c’est un point très important pour toi que la force de la poésie arabe transcende le language. »

« Quand vous voyez l’eau, rappelez-vous de la source » dessiné sur une route du sud, dans un canyon.
Maison abandonnée à côté du Canyon dans les montagnes de Tataouine.
Inscription en plein milieu du Chott el Jerid, à quelques kilomètres de Tozeur.

Si El Seed continue de trouver de l’inspiration en Tunisie, le travail de Lost Walls peine à être reconnu dans son pays d’origine. Difficile à classer sur la scène artistique tunisienne, il a aussi eu un parcours atypique de businessman devenu initiateur d’un mouvement artistique. Quant à son nom d’artiste, il peut être interprété de façon multiples, comme le raconte El Seed dans une interview à la chaîne de télévision américaine CNN . Il porte une connotation tragico-héroïque, puisque c’est la version remaniée du Cid, le héros du dramaturge français Corneille. Pour Faouzi, c’est de là que découle le mot El Sayed, qui veut dire le maître en arabe, et c’est ainsi qu’à 16 ans il s’est surnommé lui-même « El Seed ». Enfin, le mot seed en anglais, qui veut dire la graine, la semence, renvoie aussi à l’idée d’un début, d’un commencement auquel participe cet artiste avec ce qu’on appelle désormais l’art du « calligraffiti » né dans les années 80.

Photo de couverture : Maison en ruines à Zaafrane, village désertique du sud tunisien à environ 120 kilomètres de Tozeur. Le mot calligraphié et tagué est “Seul” en arabe.