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Hazem, 30 ans, danseur, 1550 dinars par mois, un futur entre parenthèses


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31 Août 2025 |
À 30 ans, Hazem peut vivre de sa passion : la danse. Malgré des projets entraînants et un salaire stable, le jeune homme peine à se projeter. Son art lui suffit à peine pour vivre, et il est partagé entre l’envie de continuer son activité au sein de sa troupe ou se lancer en indépendant.
Comme tous les matins, Hazem prend un taxi en direction de l’Opéra de Tunis, sur l’avenue Bourguiba, où il exerce dans les rangs de la troupe du Ballet depuis près de six ans. Au côté d’une dizaine d’autres danseur·ses, il s’active aux répétitions pour toutes sortes de projets artistiques qui les mèneront à des tournées aux quatre coins de la Tunisie, voire du monde. 

Entre cours classiques, préparations physiques et répétitions, les danseur·ses sont loin de se ménager. “ Je fais de la danse depuis 2012. D’abord comme complément de revenu, quand je travaillais dans une boulangerie, puis j’ai voulu en faire ma profession”.

Après une formation artistique en 2015, Hazem s’est spécialisé en hip-hop et danse contemporaine. Son statut de danseur s’accompagne d’un contrat renouvelable chaque année et lui assure un revenu mensuel stable. Le jeune homme explique que, récemment, la nature de son contrat a changé, à l’instar du reste de la troupe : auparavant considéré·es comme prestataires de services, ils et elles sont à présent contractuel·les. Les salaires aussi ont changé : pour les danseur·ses diplômés d’un bac +3, le salaire monte à 1550 au lieu de 1200 dinars. 

"On essaie tous de s'habituer à ce nouveau cadre. C'est étrange comme position, d'être artiste et de travailler pour l'État. On a l'impression d'être des employés", explique-t-il. 

Hazem est célibataire et habite seul dans la banlieue nord de Tunis, depuis qu’il a intégré le ballet. Originaire du sud de la Tunisie, le jeune homme confie avoir eu des difficultés à gérer son argent au début de sa carrière de danseur, mais d’avoir appris à trouver un équilibre.  “Au début, j’étais moins bien payé, et je ne savais pas gérer mon budget. Maintenant, ça va mieux”, déclare le trentenaire. Même si ses revenus sont stables, celui-ci avoue être à la recherche d’un deuxième travail, en tant que professeur de danse, pour arrondir ses fins de mois.

"Les loyers sont chers dans la capitale, surtout quand on vit seul. Il faut apprendre à joindre les deux bouts".

Voici un aperçu de ses sorties et entrées d’argent mensuelles :

Certaines de ses dépenses mensuelles concernent sa condition d’athlète : nourriture saine, séance de kiné suite à une blessure, etc. Hazem confie surtout allouer une somme importante de son budget à la nourriture et aux vêtements. “C’est ma seule addiction !”, plaisante-t-il. Malgré tout, le jeune homme consomme rarement de nourriture extérieure, se coiffe lui-même et limite ses sorties, par manque de temps. 

Hazem jongle entre ses responsabilités au ballet et ses propres projets artistiques. Les déplacements à l’étranger, dans le cadre de festivals ou de tournées, sont très communs pour lui, mais représentent très vite une contrainte. Chorégraphe à ses heures perdues, il explique trouver rarement le temps de faire quoi que ce soit. 

"Avec mes engagements au ballet, c'est compliqué de me projeter de mon côté. C'est très éprouvant, mais j'ai besoin de ce revenu."

Récemment, grâce à l’augmentation de son salaire, le jeune homme a pu déménager de l’appartement en colocation qu’il louait depuis son arrivée à la capitale. Cet événement constitue sa plus grosse dépense : entre la caution, la location d’un véhicule, la facture a atteint 1350 dinars. Un somme considérable, mais Hazem a su rebondir. Celui-ci continue d’envoyer de l’argent à sa famille, malgré son budget serré, et s’efforce d’adapter son train de vie à ses revenus.

Voici le détail de ses rentrées et sorties d’argent mensuelles :

“En ce moment, on est sur la préparation d’un gros projet, pour un spectacle courant octobre, que j’apprécie beaucoup”. Travailler en tant qu’artiste en Tunisie est un privilège, selon lui. Avoir un revenu stable, encore plus, surtout dans un secteur aussi prestigieux. 

La carrière de danseur s’accompagne d’un rythme intense, d’une grande rigueur et d’une discipline irréprochable. Ses horaires sont variables, mais lors de certaines périodes de l’année, les plus chargés pour le ballet, il se retrouve à s’entraîner du matin au soir. Pourtant, pour Hazem, c’est plus qu’une évidence. 

"Je ne me vois pas faire autre chose que de la danse. En tout cas, pour l'instant."

Zone grise

Si Hazem a fait de sa passion son métier, son travail à l’opéra peut prendre des allures de corvée. “Des fois, le matin, quand je me lève, je n’ai pas envie d’aller travailler. Quand on est dans des projets créatifs et intéressants, c’est plus facile de s’investir et d’apprécier son travail au sein de la troupe. Mais parfois, c’est vraiment pénible”. 

Son activité professionnelle l’empêche de prendre des vacances pour aller voir sa famille, qu’il ne peut visiter qu’au moment des fêtes. La fatigue et le manque de temps sont très drainants, et le limitent au quotidien. Le jeune homme a notamment songé à reprendre ses études d’ingénieur en génie civil, avant de très vite déchanter. 

"Ce serait impossible d'étudier tout en travaillant. La danse me prend l’essentiel de mon temps."

D’autres difficultés peuvent perturber son quotidien de danseur, comme le manque d’accompagnement de la troupe, que Hazem décrit comme “inexistant”, bien que capital pour la productivité et le dynamisme de l’équipe. “Le seul accompagnement qu’on a, c’est celui entre danseurs. On se soutient, on est proches, surtout quand on voyage ensemble.”

Futur

Hazem confie sa volonté de quitter l’opéra pour se lancer en indépendant, un rêve qu’il chérit depuis déjà plusieurs années. “J’aimerais créer ma propre compagnie, et travailler sur des projets artistiques qui me ressemblent. Parfois, je me lance dans des recherches pour essayer de concrétiser mon projet, mais ça nécessite de sacrifier un temps que je n’ai pas.”

Pour l’instant, le plus important pour le jeune homme, c’est de continuer à bouger. Ses résidences à l’étranger, aux côtés de sa troupe, ont nourri en lui un amour du voyage et de l’exploration. Même si son futur, en Tunisie ou ailleurs, est encore incertain, Hazem s’accroche à cet ultime projet.  

"Je n'envisage pas d'emménager de manière définitive où que ce soit. Je veux continuer à explorer le monde à travers la danse, de voir chaque pays, son esprit, ses traditions."
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