Droits et Libertés

Disparition de l’Instance d’accès à l’information : en Tunisie, un verrou de plus

Le siège de l’INAI a été fermé cette semaine, ses employé·es transféré·es à la présidence du gouvernement. Une disparition discrète, qui prive les Tunisien·nes d’un acquis essentiel de la révolution : l’accès à l’information publique.
Par | 21 Août 2025

L’Instance nationale d’accès à l’information (INAI) a fermé ses portes cette semaine, sans communiqué ni explication officielle. Cette disparition, opérée discrètement, illustre l’opacité du pouvoir et marque une étape supplémentaire dans le démantèlement des institutions indépendantes.

Réactions immédiates

Le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) a dénoncé une atteinte directe au droit constitutionnel d’accès à l’information et "un pas supplémentaire vers l’opacité" , assimilant cette décision à la neutralisation de facto d’une autorité publique indépendante. 

L’organisation I-Watch a, de son côté, parlé d’un "recul démocratique grave" , pointant une volonté de détruire l’indépendance des institutions et de restaurer un modèle dans lequel l’information peut être filtrée et contrôlée.

Une violation constitutionnelle

La fermeture de l’INAI contrevient directement à la Constitution de 2022 rédigée sous l’impulsion du président Kaïs Saïed. Trois articles en particulier sont mis à mal :

  • Article 37 : il garantit les libertés d’opinion, d’expression, d’information et de publication, sans contrôle préalable.
  • Article 38 : il consacre le droit d’accès à l’information.
  • Article 55 : il stipule que les restrictions aux libertés doivent être prévues par la loi, proportionnées et justifiées.

Il est à noter que l’INAI avait été mise en place en vertu de la Constitution de 2014. La nouvelle Constitution de 2022 ne prévoit plus d’instance constitutionnelle spécifique, bien que son article 38 stipule que "l’État garantit le droit à l’information et le droit d’accès à l’information".

Un processus de répression informationnelle

Cette fermeture s’inscrit dans un climat de répression croissante. Depuis le coup de force de Kaïs Saïed en juillet 2021, le paysage médiatique est marqué par les arrestations de journalistes et de chroniqueur·ses, les restrictions des débats publics et la mise au pas progressive des médias publics. Le décret-loi 54 a renforcé ce climat en criminalisant largement les contenus jugés "mensongers" ou "diffamatoires", multipliant les poursuites contre les journalistes et internautes.

Pour les professionnel·les des médias, l’accès à l’information publique devient de plus en plus restreint, fragilisant le droit du public à être informé. Dans son dernier classement mondial de la liberté de la presse, Reporters sans frontières (RSF) a enregistré une nouvelle dégradation de la position de la Tunisie, soulignant un recul constant des garanties journalistiques.

La neutralisation de l’INAI fait suite à celle d’autres institutions indépendantes : la Haute Autorité indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA) et l’ Instance nationale de lutte contre la corruption (INLUCC) ont déjà été écartées, vidant de leur contenu les acquis démocratiques post-révolution.

Une instance issue de la révolution

L’INAI trouve ses racines dans le décret-loi n°2011-41 du 26 mai 2011, modifié par le décret-loi n°2011-54, qui consacrait le droit d’accès à l’information comme un pilier de transparence. Elle a été consolidée par la loi organique n°22 de 2016 et est entrée en fonction en 2017. Ses neuf membres, élu·es par l’Assemblée et nommé·es par décret, représentaient divers corps : magistrat·es, avocat·es, enseignant·es, journalistes, statisticien·nes et société civile.

L’INAI avait pour mission de garantir le droit d’accès à l’information, d’arbitrer entre l’administration et les citoyen·nes, et de promouvoir la transparence de l’action publique.

Mais l’instance était fragilisée depuis plusieurs années. Après le départ de son premier président, Imed Hazgui, en 2020, elle n’a jamais retrouvé sa stabilité. En juin 2023, son successeur Adnen Lassoued avait alerté sur l’urgence de renouveler ses membres. En mai 2024, un décret a acté le départ du vice-président, privant l’instance de quorum et paralysant son fonctionnement. Depuis, elle survivait administrativement sans direction officielle. La fermeture de son siège vient parachever ce processus de mise à mort institutionnelle.

5 minutes
Inkyfada Landing Image

Un média indépendant à la pointe de l’innovation éditoriale

Créez votre compte aujourd’hui et profitez d’accès exclusifs et des fonctionnalités avancées. Devenez membre et contribuez à renforcer notre indépendance.

Un média indépendant à la pointe de l’innovation éditoriale. Devenir membre