Du scrutin de liste au scrutin uninominal
La réforme la plus importante du système électoral concerne le passage d'un système de liste, où le nombre de sièges à pourvoir est réparti proportionnellement au nombre de voix obtenues, à un système uninominal. Ce système se base sur un découpage territorial en circonscriptions électorales, dans lesquelles un·e seul·e député·e est élu·e. Il s'agit d'une élection à un tour, mais si aucun·e candidat·e n'obtient la majorité absolue, c'est-à-dire 50 % plus 1, un second tour est organisé entre les candidat·es ayant obtenu les deux pourcentages les plus élevés au premier tour. Le deuxième tour a lieu dans les deux semaines suivant l'annonce des résultats.
Le retrait de confiance : une mesure sans précédent
La deuxième grande réforme de la nouvelle loi électorale est le retrait de confiance, auquel la huitième sous-section a été consacrée. Selon cette nouvelle loi électorale, il est désormais possible de retirer la confiance à un·e député·e dans sa circonscription en cas de manquement à son devoir d'intégrité, de violation apparente de ses obligations parlementaires, ou de désintérêt nécessaire à la réalisation du programme présenté lors de la campagne électorale.
Pour ce faire, une pétition de retrait de confiance doit être présentée, justifiée et signée par un dixième des électeur·trices inscrit·es dans la circonscription concernée. Si la pétition est acceptée, l'Instance supérieure fixe une date pour le vote sur la pétition et invite les électeur·trices de la circonscription à voter pour ou contre le retrait de confiance au député mis en cause.
Si la majorité absolue des électeur·trices vote pour le retrait de confiance du député en question, son siège parlementaire est considéré comme vacant. Par conséquent, l'organe supérieur fixe une date pour des élections parlementaires partielles afin de pourvoir le poste libéré, dans un délai ne dépassant pas trois mois.
Le décret précise également que la confiance ne peut être retirée avant l'expiration de la première session parlementaire ou au cours des six derniers mois du mandat parlementaire. De même, une demande de retrait de confiance ne peut être présentée qu'une seule fois au cours de la législature.
Les hauts fonctionnaires privé·es de candidater
L'article 19 de la nouvelle loi électorale introduit trois conditions de candidature. Pour se présenter dans les circonscriptions électorales du territoire tunisien, les candidat·es ne doivent pas être de nationalité étrangère. Leur casier judiciaire doit être vierge et leur domicile situé dans la circonscription dans laquelle ils et elles veulent se présenter.
L’article 20 prévoit que les membres du gouvernement, les chef·fes de cabinets ministériels, les magistrat·es, les imams, les président·es des structures et associations sportives ne peuvent se présenter aux élections législatives qu’après un an de la fin de leurs mandats. Auparavant, cette exclusion ne concernait que les magistrats, les chef·fes de missions diplomatiques et consulaires, les gouverneur·es, les délégué·es, les secrétaires généraux des gouvernorats, et les maires.
Il est également interdit dans ce décret de se présenter en même temps aux élections législatives, présidentielles, régionales et municipales, si celles si surviennent au même moment.
Le parrainage doit obéir à la règle de parité
Le décret 2022-55 a introduit, par le biais de l’article 21 nouveau, une série de documents nécessaires pour se présenter aux élections : un quitus fiscal pour vérifier que les candidat·es ont payé tous leurs impôts municipaux, un certificat de résidence pour s’assurer que les candidat·es sont éligibles à la circonscription électorale, ainsi que le bulletin n°3 afin de garantir que les candidat·es disposent d’un casier judiciaire vierge. La quittance attestant le paiement d’impôt pour l’année écoulée devrait être conservée.
Ce nouvel article exige également de présenter, à l’officier d’état civil ou l'instance régionale des élections compétente territorialement, un résumé du programme électoral, accompagné d'une liste nominative comportant 400 parrainages des électeur·trices inscrit·es dans la circonscription électorale, avec signature légalisée des parrains et marraines.
Les parrainages devront être répartis en 50% hommes et 50% femmes, et les jeunes de moins de 35 ans doivent en représenter au moins 25%. Les électeur·trices ne peuvent parrainer qu’un·e seul·e candidat·e.
Le contentieux électoral
D’après l'article 27 nouveau, l’examen des recours contre les décisions de l’Instance, relatifs aux candidatures, est du ressort des Chambres de première instance compétentes territorialement auprès du Tribunal administratif. Les recours relatifs aux candidatures à l’étranger sont du ressort des Chambres de première instance auprès du tribunal administratif. Cette responsabilité relevait auparavant de la compétence des tribunaux de première instance des autorités compétentes.
Toutefois, cet article manque de clarté en ce qui concerne l'examen du contentieux dans la capitale. Les 15 chambres du tribunal administratif de Tunis sont chargées d'examiner les litiges relatifs aux candidatures à l'étranger. Ainsi, aucun tribunal ne sera habilité à traiter les litiges qui surviendraient dans les circonscriptions électorales de Tunis, de la Mannouba et de l'Ariana.
La fin du financement public des campagnes électorales
La suppression du financement public des campagnes électorales est l'un des changements les plus importants de la loi électorale, les campagnes ne pouvant désormais être financées que par des fonds privés ou indépendants.
Élections partielles : décès, invalidité d'un candidat ou siège vacant
Selon l'article 33, avant sa révision, le remplacement d'un·e candidat·e en cas de décès ou d'invalidité devait se faire à partir d'une liste complémentaire présentée au moment du dépôt de la candidature. Or, cela n'est plus possible suite aux réformes entreprises par Kais Saïed, qui privilégie le scrutin uninominal, et écarte par conséquent les listes complémentaires.
L'article 33 nouveau stipule qu'en cas de décès ou d'invalidité d'un·e candidat·e au premier ou au second tour, les candidatures sont rouvertes dans la circonscription concernée, les dates sont de nouveau fixées dans un délai ne dépassant pas 45 jours. En d'autres termes, dès qu'un·e candidat·e décède ou devient invalide lors de l'un des deux tours, des élections partielles doivent être organisées dans la circonscription concernée.
Toujours suite au changement du mode de scrutin, la vacance d'un siège parlementaire nécessite l'organisation d'élections législatives partielles dans la circonscription électorale concernée dans un délai n'excédant pas trois mois, à compter de la date de la déclaration de vacance.
En vertu de l'article 34 nouveau, la vacance définitive du poste de député peut se produire en cas de perte de la qualité de membre, après le retrait de confiance prévu par le nouveau décret amendant la loi électorale.
Augmentation du nombre de circonscriptions et réduction du nombre de député·es
Suite à la révision de la loi électorale, le nombre de circonscriptions électorales est passé de 33, dont 6 à l'étranger, à 161. Le nombre total de sièges parlementaires est également passé de 217 à 161, soit un siège par circonscription, parmi lesquels 151 pour les circonscriptions sur le territoire tunisien et 10 à l'étranger.
Des peines plus sévères pour les crimes électoraux
L'article 161 nouveau durcit les sanctions imposées à toute personne prise en flagrant délit en train de donner des dons en espèces ou en nature dans l’intention d’influencer les électeur·trices, de faire délibérément obstruction à un·e électeur·trice pour l’empêcher de voter, ou de faire fuiter des bulletins de vote en dehors du bureau de vote.
Les peines pour ces crimes électoraux étaient d’un emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende allant de 1000 à 3000 dinars. Suite à la révision de la loi, la personne concernée risque une peine d’emprisonnement de deux à cinq ans et d’une amende de 2000 à 5000 dinars, avec le révocation du député et sa perte du droit à se présenter, à vie. L’électeur·trice bénéficiaire sera privé·e de son droit de vote pendant dix ans à compter de sa condamnation.
L'article 161 bis a également ajouté une peine pour tout·e candidat·e qui porte délibérément atteinte à l'honneur, à la dignité ou à l'appartenance régionale, locale ou familiale d'un·e autre candidat·e, à savoir un emprisonnement de deux à cinq ans et l'annulation des votes obtenus.
S'agissant de l'article 163 nouveau, il renforce la sanction du financement étranger. Un·e candidat·e qui a recours à un financement étranger ou anonyme pour soutenir sa campagne électorale risque de perdre son statut de parlementaire ainsi qu'une peine de cinq ans de prison et d'une amende comprise entre dix et cinquante fois la valeur dudit financement. Ce·tte candidat·e est également interdit·e définitivement de se présenter à toute élection à partir de la date de sa condamnation. Auparavant, l'interdiction de candidature n'était que de cinq ans.
La révision de la loi électorale soulève de nombreuses questions quant à son efficacité. Ces changements sont susceptibles d'exposer l'Instance supérieure à plusieurs difficultés en termes de contrôle et de favoritisme. Des problèmes se posent également au niveau des conditions nécessaires à la candidature, notamment à l'étranger. Par ailleurs, la stabilité du parlement est remise en cause suite aux nouvelles réformes relatives au retrait de confiance et à la déclaration de vacance.